Le Kabbaliste de Prague, de Marek Halter

kabbaliste de PragueJe m’appelle David Gans. Je suis né à Lippstadt, en Wesphalie, en l’an 1541 du calendrier chrétien, soit l’an 5301 après la création du monde par le Tout-Puissant, béni soit-Il. Je suis mort à Prague, soixante-douze ans plus tard. Une pierre porte mon nom dans le vieux cimetière juif. Y est gravée une oie au-dessus des six branches du bouclier de David.

J’avais acheté ce roman avant de partir à Prague, histoire de me mettre dans l’ambiance, mais je n’avais finalement pas eu le temps de m’y plonger. Du coup, je l’ai lu après, histoire de retrouver l’ambiance de la capitale de la Bohême, et notamment du vieux quartier juif, le Josefov, où se déroule une grande partie du roman, et qui est encore marqué par un des mythes juifs les plus importants : le Golem, dont ce roman est une réécriture.

Le Golem ( en hébreu : גולם signifiant « embryon », « informe » ou « inachevé ») est un être artificiel fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre façonné afin d’assister ou défendre son créateur. Selon une légende d’Europe centrale reprise dans le roman, il aurait été créé par le Rabin Loew, dit le Maharal de Prague, afin de protéger les juifs du ghetto contre les persécutions des chrétiens.

Mais en fait, cette légende n’est pas tout à fait l’objet essentiel de ce roman, car la naissance de Golem lui-même et son histoire n’interviennent que dans les cent dernières pages : l’essentiel, ici, à travers la voix d’un narrateur mort depuis des centaines d’années, est de remonter dans le temps jusqu’aux événements qui ont rendu la création de Golem nécessaire.

J’ai finalement bien fait d’attendre mon retour de Prague pour me plonger dans cette histoire : ce fut un plaisir pour moi de retrouver cette ville et de me balader à nouveau en pensée dans les lieux qui m’ont marquée : la vieille synagogue, les rues du ghetto juif qui ne s’appelait pas encore Josefov, Mala Strana, les bords de la Vlata… mais évidemment, ce n’est pas le seul intérêt de ce roman : grâce au talent de conteur de Marek Halter, qui fait encore une fois merveille, on est plongé dans une époque faite de mysticisme et de recherche de ce qui est caché, à travers la Kabbale, et de fanatisme religieux dont les juifs sont, encore une fois, les victimes : en cela le récit, très moderne, est presque une fable, dont émane une grande sagesse, et un appel à la tolérance : finalement, les choses n’ont guère changé depuis cinq siècles ; les hommes ont accumulé pensées et savoir, on pourrait croire que si on ne brûle plus les scientifiques dont les conclusions contredisent le discours religieux c’est que le fanatisme n’existe plus, et pourtant, de manière totalement irraisonnée, les Juifs sont encore accusés de tous les maux, et auraient parfois besoin d’un Golem pour les protéger.

Réflexion sur les pouvoirs incommensurables du Verbe, ce roman est une vraie réussite, que ce soit sur le plan narratif (on est captivé par l’histoire) que spirituel. A lire absolument !

Le Kabbaliste de Prague
Marek HALTER
Robert Laffont, 2010 (J’ai Lu, 2011)

La Bible au féminin * – Sarah, de Marek Halter

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Longtemps, pour moi, le cycle des saisons a tourné sur lui-même sans laisser de trace. Un jour suivait un autre, mon corps n’en portait pas la marque. Cela a duré des années et des années. Je ne m’appelais pas encore Sarah, mais Saraï. On disait de moi que j’étais la plus belle des femmes. D’une beauté qui faisait peur autant qu’elle attirait. Une beauté qui a séduit Abram dès son premier regard sur moi. Une beauté qui ne se fanait pas, troublante et maudite comme une fleur qui jamais n’engendrerait de fruit. Il n’y avait pas un jour où je n’exécrais cette beauté qui ne me quittait plus.
Jusqu’à ce que Yhwh, enfin, efface le geste terrible qui fut la cause de tout. Une faute commise dans l’innocence de l’enfance, pour l’amour de celui qui s’appelait alors Abram. Une faute, ou une parole que je n’ai pas su entendre dans l’ignorance ou nous étions.

Avant de continuer avec la Rentrée littéraire, replongeons dans cette fascinante série que Marek Halter a consacrée aux femmes de la Bible, et à son premier tome, Sarah. Replonger pour ma part, parce que je l’avais lu à sa sortie et qu’il m’avait fait une forte impression ; je l’ai relu cet été (sur mon hamac, comme vous pouvez le constater), histoire de me rafraîchir la mémoire : je l’ai donné en lecture estivale à mes futurs élèves de Culture Générale dans le cadre du programme sur le fait religieux et je compte m’en servir comme base pour un cours sur Abraham.

Ce roman nous raconte donc l’histoire de Sarah, la femme d’Abraham, le père des trois monothéismes. Celle qui, dans son enfance, s’appelle encore Saraï, est la fille bien aimée d’un des riches notables d’Ur. D’une beauté époustouflante, elle est aussi une rebelle qui refuse d’épouser un homme qu’elle n’aime pas et, par amour pour Abram qu’elle vient de rencontrer, commet un geste irréparable qui la rendra stérile.

Marek Halter s’intéresse surtout ici aux jeunes années de Sarah, et son talent extraordinaire de conteur rend le personnage vivant et vibrant : une petite fille, qui un jour devient femme dans une société aux rites de passage particulièrement importants (et extrêmement bien décrits) mais refuse le destin auquel elle semble promise, par amour essentiellement. Et c’est là tout l’intérêt de ce livre passionnant d’un point de vue historique et culturel : il mêle une histoire d’amour extraordinaire à la narration du passage du paganisme dont les rituels sont impeccablement décrits, au monothéisme. C’est passionnant, extrêmement bien écrit, ça se lit d’une traite et permet d’apprendre beaucoup de choses : que demander de plus ?

La Bible au féminin * – Sarah
Marek HALTER
Robert Laffont, 2003 (existe en poche)

La Reine de Saba, de Marek Halter

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J’aime énormément la série de Marek Halter sur les femmes de la Bible, inaugurée avec la trilogie La Bible au féminin : I. Sarah, II. Tsipporah et III. Lilah et poursuivie avec Marie en 2006 et La Reine de Saba en 2008. Il a également écrit une petite nouvelle pour le magazine ELLE, Bethsabée ou l’éloge de l’adultère. Et il reste tellement de personnages féminins fascinants dans le texte biblique (Dalila, Salomé, Judith, Athalie, Marie-Madeleine…) que j’espère bien qu’il va continuer sur sa lancée. J’aime la manière dont autour d’un personnage plus ou moins connu, il invente toute une histoire et nous transporte ailleurs dans les lieux et dans le temps.

Et si j’ai choisi de parler de La Reine de Saba, c’est que je suis littéralement fascinée par ce personnage mythique, que l’on retrouve dans la Bible mais aussi dans le Coran sous le nom de Bilqis, puis dans de nombreuses oeuvres littéraires, picturales et cinématographiques… oui, j’aime ce personnage mystérieux dont on ne sait finalement pas grand chose, sinon qu’elle envoûta par son charme et son intelligence le sage roi Salomon (et peut-être lui inspira le si magnifique Cantique des cantiques).

Dans le roman de Marek Halter, qui s’appuie sur les dernières recherches archéologiques, ce n’est pas seulement son histoire d’amour avec Salomon qui nous est contée. Comme il aime à le faire, l’auteur nous présente d’abord l’enfant qu’elle était avant la femme qu’elle est devenue, remontant aux sources de sa beauté et de sa sagesse.

La Reine de Saba
Marek HALTER
Robert Laffont, 2008