Le tour de mon quartier

Je dis beaucoup de mal d’Orléans. Encore qu’un peu moins, ces derniers temps. Mais enfin, ce n’est pas une ville dont je suis très fan. Par contre, très bizarrement (mais cette incohérence ne surprendra personne venant de moi) j’adore mon quartier, et c’est la raison pour laquelle il était compliqué pour moi de songer à déménager : certes, je voulais un appartement plus grand (et plus facile au quotidien), mais je ne voulais pas changer de quartier. Or celui où je vis est plutôt coté, et l’immobilier un peu compliqué. Ce que je ne savais pas, d’ailleurs, lorsque je suis arrivée : il y a 12 ans, début juillet, j’avais deux jours pour trouver un appartement, dans une ville où je n’avais jamais mis les pieds, et libre fin août. Le hasard a finalement plutôt bien fait les choses.

Alors, pour quoi j’aime ce quartier, me direz-vous ?

Et bien, d’abord, parce qu’il est calme et joli : de belles maisons, de beaux immeubles en brique rouge avec de fascinants détails architecturaux, et le truc que j’adore : les venelles, dans lesquelles on peut se promener tranquillement. Le centre-ville n’est pas loin, mais l’extérieur de la ville non plus. Autre avantage de la situation : pile entre les deux gares, celle d’Orléans-centre à 1/4 d’heure à pieds, et celle des Aubrais à deux arrêts de tram. Idéal pour moi qui m’échappe souvent.

Mais surtout, ce que j’adore, c’est qu’il y a de nombreux petits commerces : un fleuriste qui fait des choses magnifiques (et vend aussi des fruits et légumes locaux), un poissonnier, un fromager, un boucher (deux même), un épicier italien, une petite épicerie de proximité pour les urgences, un cordonnier, deux couturières, plusieurs traiteurs, depuis peu une épicerie fine/bio, et évidemment les habituels pharmacie, coiffeur, buraliste, supermarché et boulangers. Il y a aussi un marché, mais je n’y vais pas souvent parce que c’est le jeudi après-midi et que du coup, je travaille. L’avantage : on peut faire ses courses à pied. Il ne manque en fait qu’une librairie (il faut aller complètement de l’autre côté de la ville pour trouver la plus proche malheureusement) et un vrai café agréable (il y a des trucs, mais peu engageants). Cela manque aussi de restaurants et d’espaces verts mais bon, on ne peut pas tout avoir.

Et puis, le comble du chic : c’est ici que Proust vivait durant son volontariat militaire. Je l’ai déjà dit, mais je ne m’en lasse pas (oui, je sais, il m’en faut peu).

Questionnaire de Proust

CarnetsL’autre jour, dans les Chroniques de Françoise Sagan, je suis tombée sur ses réponses (merveilleuses, forcément) à ce célèbre questionnaire de Proust, et je me suis dit qu’après le questionnaire de Pivot ce serait amusant d’essayer d’y réfléchir, même s’il est très difficile, je trouve (et que la version qui a été proposée à Sagan diffère un peu de celle-ci : je rajoute ses réponses lorsque la question lui a été posée, et à la fin j’ajoute les questions « en plus »)… Il y a peut-être une certaine prétention à coller mes réponses à la suite de celles de ces deux grands noms de la littérature, mais bon…

1- Le principal trait de mon caractère. 
Proust : Le besoin d’être aimé et, pour préciser, le besoin d’être caressé et gâté bien plus que le besoin d’être admiré.
Sagan : Un certain humour, peut-être.
Moi : L’enthousiasme et la curiosité

2 – La qualité que je préfère chez un homme. 

Proust : Des charmes féminins
Sagan : L’imagination.
Moi : La finesse (intellectuelle)

3 – La qualité que je préfère chez une femme. 

Proust : Des vertus d’homme et la franchise dans la camaraderie
Sagan : L’imagination.
Moi : La bienveillance

4 – Ce que j’apprécie le plus chez mes amis. 
Proust : D’être tendre pour moi, si leur personne est assez exquise pour donner un grand prix à leur tendresse
Sagan : la même chose (i.e un certain humour, peut-être).
Moi : Leur présence

5 – Mon principal défaut. 
Proust : Ne pas savoir, ne pas pouvoir « vouloir »
Sagan : Un certain humour, sûrement.
Moi : Toujours vouloir plus !

6 – Mon occupation préférée. 
Proust : Aimer
Sagan : Ne rien faire
Moi : Lire et écrire

7 – Mon rêve de bonheur. 
Proust : J’ai peur qu’il ne soit pas assez élevé, je n’ose pas le dire, j’ai peur de le détruire en le disant
Sagan : Il y en a trop.
Moi : Vivre de l’écriture

8 – Quel serait mon plus grand malheur ? 
Proust : Ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère.
Moi : Perdre ceux que j’aime.

9 – Ce que je voudrais être. 
Proust : Moi, comme les gens que j’admire me voudraient
Moi : Moi, sans avoir à jouer un rôle social qui ne me convient pas

10 – Le pays où je désirerais vivre. 
Proust : Celui où certaines choses que je voudrais se réaliseraient comme par un enchantement et où les tendresses seraient toujours partagées.
Moi : Je suis bien en France (pour l’instant…)

11 – La couleur que je préfère. 
Proust : La beauté n’est pas dans les couleurs, mais dans leur harmonie.
Sagan : Rouge.
Moi : Le rouge

12 – La fleur que j’aime. 
Proust : La sienne – et après, toutes.
Sagan : rose
Moi : les pivoines

13 – L’oiseau que je préfère. 
Proust : L’hirondelle.
Moi : Le Phénix

14 – Mes auteurs favoris en prose. 
Proust : Aujourd’hui Anatole France et Pierre Loti
Sagan : Proust… et cent autres.
Moi : A part Didier ? Paul Auster, Siri Hustvedt, Sagan, tant d’autres…

15 – Mes poètes préférés. 
Proust : Baudelaire et Alfred de Vigny
Sagan : Baudelaire, Apollinaire, Eluard, Whitman, Racine
Moi : Baudelaire, Hugo

16 – Mes héros dans la fiction. 
Proust : Hamlet
Moi : Les miens !

17 – Mes héroïnes favorites dans la fiction. 
Proust : Bérénice
Moi : La Marquise de Merteuil

18 – Mes compositeurs préférés. 
Proust : Beethoven, Wagner, Schumann.
Sagan : Beethoven, Verdi, Fats Waller.
Moi : Bach, Mozart

19 – Mes peintres favoris. 
Proust : Léonard de Vinci, Rembrandt.
Sagan : Pissaro, Sisley, Hopper.
Moi : Gustave Moreau, Dali

20 – Mes héros dans la vie réelle. 
Proust : M. Darlu, M. Boutroux.
Sagan : Les distraits.
Moi : Je ne sais pas…

21 – Mes héroïnes dans l’histoire.
Proust : Cléopâtre
Moi : Simone Veil

22 – Mes noms favoris. 
Proust : Je n’en ai qu’un à la fois.
Sagan : Valparaiso, Syracuse, Santiago.
Moi : littérature

23 – Ce que je déteste par-dessus tout. 
Proust : Ce qu’il y a de mal en moi.
Sagan : L’assurance, la cruauté, la prétention.
Moi : L’étroitesse d’esprit, ceux qui veulent nous imposer leurs choix de vie

24 – Personnages historiques que je méprise le plus. 
Proust : Je ne suis pas assez instruit.
Moi : Tous les dictateurs

25 – Le fait militaire que j’admire le plus. 
Proust : Mon volontariat !*
Moi : Le Débarquement

26 – La réforme que j’estime le plus.
Proust : Pas de réponse
Moi : La Séparation de l’Eglise et de l’Etat, la loi Veil

27 – Le don de la nature que je voudrais avoir.
Proust : La volonté, et des séductions.
Sagan : jouer du piano
Moi : Savoir dessiner

28 – Comment j’aimerais mourir. 
Proust : Meilleur – et aimé.
Sagan : Vite et agréablement
Moi : En bonne santé !

29 – État présent de mon esprit. 
Proust : L’ennui d’avoir pensé à moi pour répondre à toutes ces questions.
Sagan : Épuisée par le questionnaire et tourmentée.
Moi : Interrogatif

30 – Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence. 
Proust : Celles que je comprends.
Sagan : Les excès
Moi : Celles que j’aurais pu commettre

31 – Ma devise.
Proust : J’aurais trop peur qu’elle ne me porte malheur
Moi : Demain est un autre jour…

Quel est pour vous le comble de la misère ?
Sagan : La maladie, la mort d’autrui, s’ennuyer avec soi.
Moi : la misère intellectuelle

Où aimeriez-vous vivre ?
Sagan : A Paris.
Moi : aussi !

Quels sont vos metteurs en scène de cinéma favoris ?
Sagan : Schlesinger, Fellini, Sirk, Truffaut
Moi : Woody Allen

Quels sports pratiquez-vous ?
Sagan : Autrefois, de plein air.
Moi : Pilates, Yoga, gymnastique en chambre

Seriez-vous capable de tuer quelqu’un ?
Sagan : J’espère que non, mais je crois que oui.
Moi : je ne sais pas

Qui auriez-vous aimé être ?
Sagan : Trop de gens.
Moi : Françoise Sagan ?

Quelle est la première chose qui vous attire chez un homme ?
Sagan : La chaleur, le naturel, la force.
Moi : un je-ne-sais-quoi indéfinissable

Croyez-vous à la survie de l’âme ?
Sagan : Non.
Moi : oui

* Dont je rappelle qu’il l’a effectué à la caserne Coligny à Orléans, à 100m de chez moi, et qu’il vivait dans l’immeuble qui jouxte le mien…

La Mode retrouvée – Les robes trésors de la comtesse Greffulhe, au Palais Galliera

la mode retrouvéeHier, visite à la comtesse Greffulhe.
On m’a fait monter dans un grand salon aux boiseries dorées, égayé par un admirable meuble de Beauvais, aux bouquets de fleurs les plus papillotantes sur un fond crème, un meuble au nombre incroyable de fauteuils, de chaises, de grands canapés, de délicieux petits canapés pour tête-à-tête.
Dans la pièce éclairée à giorno, la comtesse arrive bientôt décolletée, dans une robe noire, aux espèces d’ailes volantes derrière elle, et coiffée les cheveux très relevés sur la tête, et surmontés d’un haut peigne en écaille blonde, dont la couronne de boules fait comme un peigne héraldique.
Là-dedans, au milieu de ce mobilier d’un autre siècle, l’ovale délicat de son pâle visage, ses yeux noirs doux et profonds, la sveltesse de sa personne longuette, lui donnent quelque chose d’une apparition, d’un séduisant et souriant fantôme ; caractère que je retrouve dans son portrait pastellé par Helleu. (Journal des Goncourt, tome VIII (1889-1891), 25 avril 1891)

C’est d’une exposition de fanfreluches très littéraire et artistique dont je vais vous parler aujourd’hui. Une exposition qui vise à retranscrire la personnalité et l’allure d’une femme résolument fascinante : la comtesse Greffulhe. Son nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant. Cousine de Robert de Montesquiou, qui lui consacre nombre de pages, elle a surtout servi de modèle à Proust (dont on connaît le goût pour les parures féminines qu’il décrivait avec luxe de détails) pour le personnage de la duchesse de Guermantes, et posé pour plusieurs peintres et photographes.

Il y a de quoi être fasciné et émerveillé : c’est tout un pan de l’histoire de la mode qui s’offre au regard du spectateur. Des merveilles de robes, aristocratiques, luxueuses, éblouissantes et extravagantes : véritable professionnelle de la mode et artiste de la parure, la comtesse Greffulhe étonne par son goût très sûr et son souci du détail : elle prenait de nombreuses notes et savait quelles tenues la mettraient en valeur. Beaucoup de noir mais aussi des brocards, des pièces somptueuses des plus grands couturiers, des voiles dont elle était particulièrement friande car ils mettaient en valeur sa part de mystère. Des tenues où le corps est prisonnier, d’autres où il est plus libre, les deux mettant en valeur sa taille d’une finesse extraordinaire. Des robes que n’importe qui ne peut pas porter…

Charles Fréderic Worth (1825-1895). "Robe du soir portée par la Comtesse Greffulhe, vers 1896 - forme princesse, décolletée, velours noir, soie, broderie de perles, incrustations de lys blancs, revers de satin blanc, volant cranté en bas". Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.
Charles Fréderic Worth (1825-1895). « Robe du soir portée par la Comtesse Greffulhe, vers 1896 – forme princesse, décolletée, velours noir, soie, broderie de perles, incrustations de lys blancs, revers de satin blanc, volant cranté en bas ». Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

C’est aussi sa sensualité absolument fascinante et son charisme qui inspire les artistes, et notamment le peintre Paul-César Helleu, qui réalise une série d’esquisses, comme des instantanés, qui mettent la comtesse en scène dans sa vie privée, et débordent de grâce et de beauté.

Paul-César Helleu (1859-1927) "Le lys", portrait de la comtesse Greffulhe de dos (1891) Dessin aux trois crayons, collection particulière
Paul-César Helleu (1859-1927) « Le lys », portrait de la comtesse Greffulhe de dos (1891) Dessin aux trois crayons, collection particulière

Du reste, ce qui fascine également chez la comtesse, c’est son don pour la mise en scène de soi : elle contrôle son image jusque dans les moindres détails, et les instructions qu’elle laisse pour ses obsèques sont de véritables didascalies de dramaturge. Inquiétant ? Peut-être un peu, mais aussi terriblement émouvant.

Une exposition absolument éblouissante, et d’une grande richesse : robes, accessoires, lettres, photographies, peintures, illustrés par de nombreux extraits de textes concourent à rendre la comtesse vivante. A voir absolument !

La Mode retrouvée – Les robes trésors de la comtesse Greffulhe
Palais Galliera
10, avenue Pierre 1er de Serbie
75116 Paris
Jusqu’au 20 mars

Les manuscrits de la madeleine de Marcel Proust, aux éditions des Saints Pères


Vous connaissez ma passion pour la bibliophilie, les vieilles éditions, les livres rares et les manuscrits (je porte toujours le deuil de l’Institut et du Musée des lettres et des manuscrits). Aussi cela faisait-il longtemps que j’avais envie de découvrir les éditions des Saint-Pères. Cofondée par Jessica Nelson et  Nicolas Tretiakow, la maison s’adresse aux amoureux de l’objet-livre autant que du texte, en proposant de luxueuses reproductions de manuscrits originaux afin d’offrir aux lecteurs, en plus d’un bel objet, une plongée dans les coulisses de la création littéraire. En moyenne, ils publient trois œuvres par an pour un tirage qui va de 1000 à 3000 exemplaires, et s’attachent à proposer un catalogue varié et éclectique : si tout a commencé en 2012 avec la publication du manuscrit d’Hygiène de l’assassin d’Amélie Nothomb, le fond s’est depuis enrichi d’œuvres aussi diverses que La Belle et la bête de Jean Cocteau ou le Mépris de Jean-Luc Godard, Les Fleurs du Mal de Baudelaire, Voyage au bout de la nuit de Céline, Candide de Voltaire ou L’Écume des jours de Boris Vian.

Le dernier né s’appelle Marcel Proust. L’éditeur propose, dans un superbe coffret vert numéroté et tiré à 1000 exemplaires*, 3 carnets Moleskine correspondant à trois étapes d’écriture du plus célèbre passage de La recherche du temps perdu : celui de la madeleine. Dans ce passage, situé au début du premier volume, Du côté de chez Swann, le narrateur, par une très froide journée d’hiver, se voit offrir par sa mère du thé et des madeleines. Lorsque les miettes du gâteau et le breuvage chaud caressent son palais, il est immédiatement replongé, par le processus de la mémoire involontaire, dans d’anciens souvenirs : Combray, le dimanche matin, lorsque sa tante Léonie lui proposait une infusion de thé ou de tilleul. Ce passage, mythique, qui constitue le moteur de toute l’oeuvre proustienne et a donné la jolie expression « petite madeleine de Proust », n’est pourtant pas né comme ça sous la plume du romancier : les trois cahiers montrent ainsi trois étapes dans l’élaboration du passage et permettent de découvrir que la célèbre madeleine a d’abord été du pain grillé, puis une biscotte.

A ce moment éminemment sensuel de mémoire involontaire répond le plaisir tout aussi sensuel du lecteur qui découvre cette merveille. Le plaisir de caresser, le plaisir de humer cette odeur si particulière. Vous connaissez mon addiction aux carnets Moleskine. Vient ensuite le plaisir intellectuel : lire la préface de Jean-Paul Enthoven, et feuilleter les carnets, découvrir le travail d’un immense écrivain, les ratures, les corrections, les ajouts, cette écriture si particulière. Respirer à nouveau cette odeur enivrante. Et se rappeler que pendant quelques mois, Proust a vécu dans la maison d’à côté

Je suis en amour absolu avec ce coffret que je ne me lasse pas de feuilleter et de respirer extatiquement !

Les manuscrits de la madeleine de Marcel Proust
Editions des Saints Pères, 2015

*Il y aura ensuite un second tirage, ivoire, non numéroté