Aimer l’amour, l’écrire, d’Antoine Compagnon : l’amour vu par les grands écrivains

Tout semble en effet indiquer que l’on n’aimerait pas autant si l’on n’avait pas appris l’amour dans les livres, dans les mots et les phrases de la littérature, le rythme de l’alexandrin, le style du roman : « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour », décrétait La Rochefoucauld dans une sentence trop souvent citée. Et c’est peut-être cette vérité-là, faisant de l’amour une fabrication, voire une fiction ou un beau mensonge, qui incitait Paul Morand, écrivain de la conquête amoureuse, grand séducteur devant l’éternel, à se méfier du mot amour et à vendre la mèche. « L’amour n’est pas un sentiment, c’est un art. » N’est-ce pas l’une des citations les plus répandues de cet écrivain ? Oui, love serait le nom de l’émotion, mais amour celui de l’art, de l’art d’aimer, art très français.

Un autre de mes cadeaux de Noël, qui était d’ailleurs dans ma liste depuis de très nombreuses années (depuis sa parution), tant il correspond parfaitement à… moi.

Il s’agit d’une anthologie des plus belles pages d’amour issues des collections de la BNF, et présentées par Antoine Compagnon.

Un magnifique livre, et un magnifique cadeau pour un écrivain dont la mission (entre autres) est d’écrire l’amour : j’ai passé des heures à le feuilleter, à admirer toutes ces pages magnifiques couvertes de l’écriture de Flaubert, de Baudelaire, de Barthes, de Vian, d’Aragon, d’Annie Ernaux, de Colette et de tant d’autres. C’est beau, et ce superbe objet a trouvé sa place sur mon bureau !

Aimer l’amour, l’écrire
Antoine COMPAGNON
BNF/L’Iconoclaste, 2016

Au paradis des manuscrits refusés, d’Irving Finkel : drôle de bibliothèque

Les gens acceptaient très bien l’idée d’une sorte de sélection naturelle. Mais voici ce que lui se demandait : cette fameuse sélection naturelle, lourdement biaisée depuis toujours par l’intérêt commercial, faisait-elle vraiment en sorte de révéler au public toutes les œuvres dignes de ce nom ? La réponse était assurément non. Aucun deus ex machina ne venait immanquablement déposer chaque chef-d’œuvre entre les mains du parfait éditeur.

Hasard du calendrier (ou non), ce roman sorti en 1997 est paru dans sa version française la même année que Le mystère Henri Pick de David Foenkinos, dont le point de départ est plus ou moins le même. Je l’avais donc noté dans un coin de ma tête, mais comme on le sait, il me faut parfois un temps infini pour faire les choses.

Le docteur Montague Patience est le conservateur en chef d’une bien originale bibliothèque, qui contient des livres ne se trouvant nulle part ailleurs : les manuscrits refusés par les éditeurs et agents littéraires. Là, ces exclus sont choyés, appréciés, attendus, dans un lieu qui n’est pas de tout repos car il s’en passe, des choses, dans cette bibliothèque !

Une lecture réjouissante, pleine d’une fantaisie typiquement anglaise et gentiment satirique, qui m’a fait un bien fou. C’est très drôle, et il se passe des choses assez rocambolesques. Mais mine de rien, le roman pose aussi une question de fond : la littérature publiée avait-elle plus de valeur que la littérature impubliée ? Quelles étaient les différences entre la littérature éditée et non éditée ? Et vu le zèle avec lequel tous ces gens traitent les manuscrits qui leur parviennent, la réponse semble évidente, que la littérature est partout.

Bref, je recommande !

Au paradis des manuscrits refusés
Irving FINKEL
Traduit de l’anglais par Olivier Lebleu
Lattès, 2016, rééd 10/18, 2017

Le Mystère de Jean l’oiseleur de Jean Cocteau, aux Editions des Saints Pères

Le Mystère de Jean l'OiseleurComment la beauté de l’art ne ferait-elle pas triste figure devant la beauté insolente, poignante des airs à la mode et des danses de music-hall ?
En effet, ceux-ci doivent donner toute leur force d’un seul coup et céder la place, alors que l’art doit répandre la sienne peu à peu, sur un espace de plusieurs siècles.

L’an dernier, à la même époque, je vous avais parlé des éditions des Saints Pères, qui s’adressent aux bibliophiles et leur proposent de magnifiques reproductions de manuscrits originaux. Le dernier né met à nouveau à l’honneur Jean Cocteau : après le scénario manuscrit de La Belle et la bête, c’est cette fois un texte rare et émouvant qui nous est offert : Le Mystère de Jean l’Oiseleur, édité à 142 exemplaires seulement en 1925 (dont 12 hors commerce que Cocteau a offert à ses amis avec un dessin original) (un rêve de bibliophile) et jamais réédité depuis.

La genèse en est particulière : en 1924, dévasté par la mort de Radiguet, Cocteau s’enferme dans une chambre d’hôtel près de Nice. Dans cette chambre, le bureau fait face à un miroir : chaque jour, l’auteur reproduit alors inlassablement son visage, que pourtant il n’aimait pas. 31 autoportraits dont 14 en couleurs, sur lesquels il appose des notes, aphorismes, ce qui lui traverse l’esprit au moment de cet exercice d’introspection. Il écrit enfin la préface, et l’envoie à son éditeur, qui lui réclamait depuis longtemps une telle oeuvre.

Émouvant, intime, le travail de Cocteau, ses dessins et ses notes où se mêlent mysticisme, quête existentielle, réflexions sur la mort et l’art, intertextualité, ne peuvent que toucher. Et ce travail, l’édition présente le met particulièrement bien en valeur (en plus de le rendre accessible pour la première fois). Dans un coffret bleu azur, étoilé d’argent, se nichent deux volumes : la reproduction intégrale du manuscrit (volume 1), et une préface de Dominique Marny, vice-présidente du Comité Cocteau, suivie d’une analyse de l’oeuvre par David Gullentops et d’une version tapuscrite des aphorismes qui permet de les lire plus facilement (volume 2).

Une merveille donc, voire une double merveille : le texte est précieux, l’objet est magnifique et ravira les bibliophiles, d’autant que le tirage de tête, numéroté, est toujours disponible (mais attention, avec Noël qui approche, il risque de s’envoler très vite).

Le Mystère de Jean l’Oiseleur
Jean COCTEAU
Editions des Saints Pères, 2016

Le musée des lettres et des manuscrits

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L’autre jour, mes pas m’ont enfin portée au musée des lettres et des manuscrits, boulevard Saint Germain. Cela faisait plusieurs mois que je désirais le visiter, sans pour autant en trouver l’occasion, mais comme j’avais très envie de voir l’exposition consacrée à Cocteau, celle-ci était enfin trouvée, d’autant qu’il faisait beau et que j’avais très envie de me balader sur le boulevard…

L’immeuble qui abrite le musée est un ancien hôtel particulier, au 222 (un peu plus haut que le Flore), pourvu d’une jolie cour : propre, lumineux, accueillant, dans un quartier finalement parfait pour ce genre d’institutions, on se sent tout de suite bien dans cet endroit auquel il ne manque qu’un café (sauf si on considère le Flore comme une annexe…).  Le musée lui-même est divisé en deux parties : sur la mezzanine, la boutique (haut lieu de perdition) et les expositions temporaires, et en bas les collections permanentes.

En ce moment, l’exposition temporaire est consacrée à Cocteau, je vous en avais parlé : c’est une petite exposition, mais rudement intéressante, bien documentée, les objets exposés sont fascinants et l’ensemble retrace bien la vie et la carrière de Cocteau. Beaucoup d’éléments sont consacrés au cinéma, et ce serait presque mon seul reproche car finalement, n’est-ce pas redondant avec l’exposition de la cinémathèque ? A voir…

En regard de l’exposition consacrée à Cocteau, un hommage est rendu à Edith Piaf, une de ses proches amies. La légende veut qu’ils soient morts le même jour (ce qui n’est pas tout à fait vrai) et que la mort de Piaf aurait à la fois provoqué et éclipsé celle de Cocteau. Espace intéressant, composé essentiellement de lettres.

Quant aux collections permanentes… je pense que c’est un lieu où il faut aller plusieurs fois pour tout voir avec un minimum d’attention. Les manuscrits et autres écrits sont répartis en domaines : Histoire, Sciences et découvertes, Musique, Arts, Littérature, cette dernière section étant bien entendu celle qui m’a le plus intéressée : avoir sous les yeux les mots écrits de la main de Proust, de Hugo, de Vian, de tant d’autres m’a littéralement envoûtée. L’avantage en outre est qu’il y a peu de monde, donc on peut errer, vagabonder, rêvasser, admirer… enfin j’y étais bien, à m’imprégner de l’esprit de tant de génies. Oui, c’est un peu comme si ce lieu était habité, presque hanté, et j’en ferai certainement un lieu de… promenade ? Méditation ? Pèlerinage ? Régulier…

Disons que je pense que lorsqu’on aime l’écrit, on ne peut qu’aimer ce lieu !

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Toute une vitrine est consacrée à George Sand…

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Musée des lettres et des manuscrits
222 bd Saint-Germain, Paris