Je l’aime, de Loulou Robert : à la folie

Elle t’a rencontré et la vie qui lui paraissait absurde ne l’était plus.
Elle avait jusqu’alors respiré un air qui ne remplissait pas ses poumons. Mangé une nourriture dont elle n’aimait pas le goût. Parlé une langue qui n’était pas la sienne.
Elle pensait être une exception. Née dans un monde qui ne lui ressemblait pas. Erreur de parents. De codes génétiques. De temporalité. De géographie. Il y avait sûrement eu beaucoup d’erreurs.
Elle t’a rencontré ; alors elle se trompait. Il n’y avait pas d’erreur.
Le monde l’avait menée à toi.
Le monde avait un sens.
Elle s’est mise à croire au destin. 
Tu es devenu son air, sa langue, son monde.

Plaisir d’ouvrir (avec un peu de retard par rapport aux autres années) le bal de la rentrée littéraire 2019 avec le nouveau roman de Loulou Robert, le quatrième. Un plaisir car je la suis depuis Bianca et vraiment, texte après texte, elle m’éblouit par la force de son écriture. Ici, comme dans Sujet inconnuelle s’attaque au thème millénaire mais inépuisable de la passion amoureuse.

C’est l’histoire d’une jeune femme qui n’est pas vraiment malheureuse, mais pas heureuse non plus, qui vivote, qui s’ennuie un peu et se sent une étrangère. Une jeune femme qui manque d’amour, sa mère ne s’étant jamais intéressée à elle — jusqu’à ce que l’amour la foudroie et la rende vivante. Jusqu’à ce que sa vie se mette à tourner autour d’un homme.

Alternant la narration à la première personne et des commentaires à la deuxième, Loulou Robert parvient encore une fois à trouver les mots justes, qui nous percutent. Peut-on aimer trop ? A la fois lumineux et violent, le roman nous montre une femme dont l’amour (l’homme qu’elle aime) est devenu la seule raison de vivre, un amour qui la construit et la détruit en même temps, lui offre une certaine forme de rédemption tout en la conduisant en Enfer. Il y a de la folie en elle, c’est certain, et en même temps une sincérité touchante : une manière d’aimer extrême, mais belle, car y a-t-il plus belle folie que la folie amoureuse ? Malgré ses excès, moi, je la comprends…

Encore une fois, Loulou Robert fait mouche avec ce roman !

Je l’aime
Loulou ROBERT
Julliard, 2019

1% Rentrée Littéraire 2019 – 1/6
By Hérisson

Sujet inconnu, de Loulou Robert : les maux et les mots

Je ne te vois plus mais j’écris. Je t’attends mais j’écris. Je me réveille, je te cherche mais j’écris. Je bois de plus en plus mais j’écris. Je vais mal mais j’écris. Chaque heure, minute, seconde ; j’écris. Tout est supportable puisque j’écris. Toujours au même café. Je ne sais pas vraiment de quoi je parle. Les mots sortent sans que je les ai cherchés. Je n’ai rien cherché. Je n’ai rien demandé. J’étais une enfant bizarre. Une adolescente suicidaire. Une femme paumée et seule. Ma mère a un cancer. J’ai donc moi aussi un cancer. J’ai pour seul compagnon une peluche et un ermite sexagénaire. Je suis amoureuse et j’ai une marque au bras. Le bleu est devenu vert. Il tire sur le jaune. Je préférais le bleu. Aujourd’hui, j’écris. Je fais le lien. Cette douleur n’était pas vaine. Elle a un sens […] Toute cette angoisse n’est pas vaine. Elle me rend plus forte. J’écris et la passion prend une autre forme.

J’avais beaucoup apprécié les deux premiers romans de Loulou Robert, Bianca et Hope, très prometteurs pour la suite. Inutile donc d’expliquer pourquoi j’attendais avec impatience ce nouvel opus, dans lequel on retrouve une narratrice qui, si elle ressemble à celle des deux premiers romans, n’est pas tout à fait elle non plus, et d’ailleurs, elle n’a pas de nom.

Enfant bizarre et solitaire, adolescente perturbée, la narratrice semble ne rien ressentir, ne pas avoir d’envies, pas d’amis. Elle n’est attiré par personne. Et puis, la déflagration, le coup de foudre : elle comprend enfin ce que ressentir veut dire. Pour le meilleur et pour le pire.

Les phrases courtes et percutantes comme des coups de poings disent parfaitement l’urgence, la violence des pulsions qui habitent le roman. L’amour. L’amour. Ce qu’il nous fait quand il nous tombe dessus alors qu’on ne demandait rien et qu’on est secoué par quelque chose de plus grand que nous, qui nous émerveille et nous panique en même temps. Pulsion de vie, pulsion de mort et de destruction. Devenir adulte, apprendre la jouissance, l’émotion, la joie, la douleur.

C’est l’histoire d’un amour passionnel et ravageur. Celui qui nous fait monter au plus haut, et descendre au plus bas. Est-ce que l’amour permet de remonter à la surface quelqu’un en train de se noyer ? Est-ce que l’amour peut sauver ? Est-ce que deux éclopés peuvent avancer ensemble ? Pas dans ce roman, on le comprend dès les premières lignes.

Mais descendre au plus profond de la douleur (amoureuse, mais pas seulement), c’est aussi comprendre qui l’on est. C’est une sanctification qui nous permet d’avancer. Alors vient l’écriture, une pulsion de vie indissociablement liée au désir amoureux, l’écriture qui sauve, l’écriture qui sublime les maux, et de l’ombre naît la lumière, puisqu’elles ne peuvent exister l’une sans l’autre. Dans Oona et SalingerBeigbeder fait dire à Hemingway : Tout écrivain doit avoir un jour le coeur brisé, […] et le plus tôt est le mieux, sinon c’est un charlatan. Il faut un amour originel complètement foireux pour servir de révélateur à l’écrivain. Et c’est exactement ce qui se passe dans ce roman, à la fois sombre, violent et lumineux : la révélation d’un écrivain, dans et par le texte !

A lire d’urgence, il m’a totalement bouleversée, et vu ses thèmes, vous comprenez pourquoi…

Sujet Inconnu
Loulou ROBERT
Julliard, 2018

1% Rentrée littéraire 2018 – 8/6

Hope, de Loulou Robert

Hope de Loulou RobertCe qui est génial avec New York, c’est qu’à l’instant même où on pose le pied dans cette ville, on a la sensation de la connaître depuis toujours. C’est cette vue, ces films, ces chansons, ces voix. On en rêve, pour finir ici.

Quel meilleur symbole, pour ma première lecture dans mon nouvel appartement, qu’un roman qui s’appelle Hope ? 

Bianca a 17 ans, et après sa sortie de la clinique, son père l’a emmenée s’installer avec lui à New York : une nouvelle ville pour une nouvelle vie, et quelle ville mieux que New York pourrait permettre à la jeune femme de se réinventer ?

Hope est en quelque sorte la suite du premier roman de Loulou Robert, qui m’avait beaucoup émue, et j’ai beaucoup apprécié de retrouver ce personnage : Bianca grandit, se trompe, souffre, apprend, guérit ses blessures tant bien que mal. On ne peut que s’attacher à cette jeune fille qui se cherche, s’affirme, avec son grain de folie et sa voix unique, qui se lance dans le mannequinat un peu par hasard et sans illusions sur ce milieu de requins qui exploitent la misère du monde. Et pourtant, on ne peut pas dire que je sois en général très adepte des personnages d’adolescents : mais Bianca a cette maturité et cette fragilité qui rendent sa révolte émouvante. Et puis, bien sûr, il y a cette ville, New York, à la fois fascinante et effrayante, que Bianca arpente et où elle cherche sa liberté !

Un très beau roman, très touchant, parfaitement maîtrisé, avec lequel Loulou Robert s’affirme comme une auteure à suivre ! A lire absolument !

Hope
Loulou ROBERT
Julliard, 2017

Bianca, de Loulou Robert

BiancaIl m’a raconté qu’il avait entendu les infirmières dire qu’il l’avait bien cherché. Elles n’ont rien compris. On ne cherche pas un cancer, c’est lui qui vous trouve. Alors ça sert à quoi de vivre planqué derrière une vie saine à base de cinq fruits et légumes par jour, sans alcool, et sans risques. A rien si ce n’est à se faire chier toute sa vie.

Encore un premier roman aujourd’hui (décidément, les premiers romans sont très prometteurs en ce moment), dans un style totalement différent de celui d’hier, mais qui aborde pourtant des thèmes assez proches.

Bianca a 16 ans. Bianca a voulu mourir. Internée dans une unité spéciale réservée aux adolescents en souffrance, elle essaie de réapprendre à vivre.

Parfaitement maîtrisé, porté par une véritable vision du monde, ce roman aborde un thème éminemment difficile, celui du mal-être des adolescents : mélancolie, spleen, ennui, dépression, inadaptation au monde tel qu’il ne va pas, anorexie. Certains ne savent pas pourquoi ils vont si mal, c’est le cas de Juliette ; d’autres ne le savent que trop bien. Ici la pulsion de mort et la pulsion de vie s’affrontent. Se laisser couler ou remonter à la surface. Grandir, devenir adulte, c’est aussi accepter le monde réel tel qu’il est, dans toute sa laideur parfois, et s’accepter soi. L’une des grandes réussites du roman, c’est cette voix narrative extrêmement forte, celle de Bianca, une jeune fille très sensible, loin de la caricature de l’adolescent imbuvable que l’on a parfois dans les romans et qui nous donne juste envie de les gifler : au contraire, au contraire, elle est extrêmement attachante et touchante par son humour un peu désabusé. Cela donne un roman en équilibre sur un fil, entre la tristesse et la joie, la mélancolie et l’optimisme, flirtant à l’occasion avec quelque chose de très poétique.

Un très beau premier roman, très bien écrit, et qui aborde un thème essentiel de manière subtile et délicate, mais sans faux-semblants. Très positif, il est à mettre entre toutes les mains !

Bianca
Loulou ROBERT
Julliard, 2016