Voyage immobile

C’est à cette époque que, normalement, je commence à me projeter concrètement dans mon city trip estival. Après avoir réservé, j’achète des guides, je lis des blogs, je musarde sur instagram pour repérer ce qui me fait envie. Cette année, ça aurait dû être Séville, mais peut-être que j’aurais changé d’avis en cours de route parce que j’ai aussi de très fortes envies de Portugal et d’Italie. Bon, c’est loupé. On va rester là, il y aura sans doute un peu de Cap-Ferret et puis peut-être une excursion ici ou là (en fait j’ai ma petite idée, mais on verra) mais pas de joli voyage d’inspiration à l’étranger.

Alors, puisque je ne peux pas me projeter dans le voyage futur, je me suis replongée dans mes souvenirs de voyage. Tous ces endroits où j’ai aimé baguenauder, rêvasser, écrire… Et je me suis dit « tiens, si j’imaginais une journée parfaite à profiter des joies de la vie, qui n’aurait aucune obligation d’être vraisemblable géographiquement parlant ? ». Une sorte de voyage immobile.

Matin : s’étirer langoureusement dans le lit, écrire mes pages du matin. Prendre une douche, vêtir une robe légère et prendre un cappuccino en terrasse avec des cannoli.  Déambuler dans les petites ruelles, admirer les azulejos et les belles façades. Traverser les galeries, m’arrêter à la librairie et rejoindre le parc pour m’asseoir un moment et écrire quelques mots dans mon carnet.

Midi : déjeuner au bord du canal

Après-midi : profiter des heures chaudes pour aller faire le plein d’inspiration et de belles choses au musée ; en sortant prendre un petit goûter (pasteis de nata) avant d’aller faire un petit tour dans les magasins d’artisanat local. Puis aller faire une longue promenade au bord de l’eau et m’arrêter prendre un verre en terrasse lorsque le soir commence à tomber.

Soirée : marcher encore un peu pour profiter du soir, dîner à une terrasse, rentrer pour écrire un peu…

Voilà une bien belle journée passée à faire des choses que j’aime !

Haute fidélité, de Nick Hornby

Haute fidélité, de Nick HornbyIl me semble que si on place la musique (comme les livres, probablement, les films, les pièces de théâtre, et tout ce qui vous fait ressentir) au centre de l’existence, alors on n’a pas les moyens de réussir sa vie amoureuse, de la voir comme un produit fini. Il faut y picorer, la maintenir en vie, l’agiter, il faut y picorer, la dérouler jusqu’à ce qu’elle parte en lambeaux et que vous deviez tout recommencer. Peut-être que nous vivons tous de façon trop aiguë, nous qui absorbons des choses affectives tous les jours, et qu’en conséquence nous ne pouvons jamais nous sentir simplement satisfaits : il nous faut être soit malheureux, soit violemment, extatiquement heureux, et de tels états sont difficiles à obtenir au sein d’une relation stable, solide. Peut-être qu’Al Green est directement responsable de beaucoup plus que je ne pensais. 

Depuis le temps que j’entends parler de ce roman ! Mais je ne sais pas pourquoi (pas seulement le manque de temps), quelque chose me retenait. Et puis l’autre jour, une petite voix (oui, nous sommes un certain nombre dans ma tête) m’a dit que c’était le moment, alors soit. Et puis ça tombe bien, c’est le mois anglais.

Rob, le narrateur, tient un magasin de disques dans le nord de Londres, et vient de se faire plaquer pour la trèsnombreusième fois de sa vie, après des années de vie commune avec Laura. Et il essaie de s’en remettre comme il peut, en écoutant de la musique, et en faisant la liste de ses ruptures inoubliables, dont ne fait pas partie celle avec Laura, essaie-t-il de se convaincre : non, il est trop vieux pour avoir le coeur brisé, et ses ruptures les plus douloureuses étaient forcément les cinq premières…

Voilà un roman qui ne trahit pas sa réputation d’être extrêmement drôle, et plein d’autodérision. Mais, je l’avoue, aussi pathétique et lâche qu’il soit parfois, Rob m’a surtout éminemment attendrie et j’avais envie de le prendre dans mes bras pour consoler ce pauvre petit oiseau tombé du nid. Parce que, mine de rien, au-delà de l’humour ravageur, Nick Hornby analyse à la perfection le précaire masculin, subordonné au culte de la virilité et de la performance (alors qu’ils sont des pauvres petites choses fragiles, au fond), et le conditionnement amoureux : est-ce que nos histoires présentes se jouent dans nos histoires passées, nos amourettes d’adolescent et de jeune adulte même si elles ont duré deux jours ? Les cinq premières histoires qui conditionnent toute notre vie ? C’est, finalement, un roman sur l’abandon : en ayant été abandonné ou trahi (dans sa tête du moins) par ses cinq premières copines, Rob a développé une mauvaise image de lui-même, ne cesse donc de répéter un schéma identique, et refuse de s’engager. Sauf que ça, bien sûr, il ne le comprend pas vraiment. Et c’est vrai que nous sommes tellement conditionnés, hommes comme femmes, que nous ne nous en apercevons pas toujours, mais si ce constat est valable pour les deux sexes, je finis par me demander si malgré les apparences et la société qui les oblige à jouer aux durs, les hommes (certains en tout cas) ne sont pas plus sensibles et fragiles émotionnellement que nous, en particulier ceux qui se comportent comme de parfaits c*** (oui je sais, je ne viens pas de découvrir le fil à couper le beurre et ce n’est pas avec ça que je vais gagner un prix Nobel, mais tout de même). Et ce roman, imprégné de musique (c’est même une véritable playlist), en est la parfaite illustration : si Rob agit parfois comme un tocard, c’est qu’il est au fond trop sensible…

Bref un roman drôle, très, mais pas seulement. Je l’offrirais bien à quelqu’un…

Haute fidélité
Nick HORNBY
Traduit de l’anglais par Gilles Lergen
Feux Croisés/Plon, 1997 (10/18, 1999)

Le mois anglais

Les filles au lion, de Jessie Burton

Les filles au lion, de Jessie BurtonOn ne connaît pas forcément le sort qu’on mérite. Les moments qui changent une vie — une conversation avec un inconnu à bord d’un bateau par exemple — doivent tout au hasard. Et pourtant, personne ne vous écrit une lettre, ou ne vous choisit comme ami, sans une bonne raison. C’est ça qu’elle m’a appris : vous devez être prêt à avoir de la chance. Vous devez avancer vos pions.

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas englouti un roman de 500p en une journée. C’est pourtant ce qui est arrivé avec ce thriller historico-artistique en lice pour le Prix Relay des voyageurs 2017, et que j’ai lu avidement entre ma chaise longue et mon lit.

Cela fait cinq ans qu’Odelle a quitté Trinidad pour Londres, espérant y trouver les choses importantes : la culture, l’histoire et l’art. Mais malgré son diplôme de littérature anglaise la couleur de sa peau fait que, dans l’Angleterre de la fin des années 60, elle ne trouve pas de travail à sa hauteur, et doit se contenter d’un poste de vendeuse dans un magasin de chaussures, où elle s’ennuie. Jusqu’au jour où Marjorie Quick lui donne sa chance et l’engage comme secrétaire au Skelton Institute : pour Odelle, c’est le début d’une aventure au cours de laquelle elle se lancera sur la piste d’un mystérieux tableau, et se trouvera enfin comme écrivaine…

Il y a beaucoup de choses dans ce riche roman qui mêle deux temporalités, celle du Londres des années 60 et celle de l’Espagne au début de la guerre civile. Exil, colonialisme, racisme, mais surtout art et création : Ars vincit omnia affirme la devise inscrite en lettres d’or au fronton du Skelton Institute, et de fait, l’art et la culture sont au coeur de cette histoire : si Odelle est écrivain, on nous parle surtout de peinture, puisque l’intrigue tourne autour d’un prodigieux et mystérieux tableau : la reconnaissance tue-t-elle la liberté ? Comment naît la valeur d’une oeuvre — et d’un peintre ? Comment créer lorsqu’on est une femme ?

Finalement, la dimension d’enquête n’est pas ce qui est le plus important même si c’est évidemment intéressant et qu’on veut connaître le fin mot de l’histoire du tableau (j’avais néanmoins plus ou moins saisi très rapidement les tenants et les aboutissants alors que je suis assez peu perspicace en général), en revanche toutes les interrogations sur la pulsion créatrice, son lien avec le désir, et la création féminine, m’ont passionnée, non sans me rappeler d’ailleurs le prodigieux Un Monde Flamboyant de Siri Hustvedt ou Big Eyes de Tim Burton.

Bref un très beau roman, dont on tourne les pages sans pouvoir s’arrêter, riche et parfaitement maîtrisé : une lecture parfaite pour l’été, que je recommande chaudement !

Les filles au lion
Jessie BURTON
Traduit de l’anglais par Jean Esch
Gallimard, 2017

 En lice pour le Prix Relay des voyageurs 2017 

Bridget Jones’ Baby, de Sharon Maguire

bridget-jones-babyNe peut pas revenir en arrière et refaire les mêmes erreurs. Doit en faire de nouvelles.

J’attendais que ce film soit disponible en VOD depuis sa sortie au cinéma, autant dire une éternité : j’ai beaucoup aimé le roman, qui est de ceux qui vous réconcilient avec la vie, je savais que le film était très différent mais j’étais néanmoins curieuse.

Bridget a 43 ans et est de nouveau célibataire. Daniel vient de mourir, Darcy s’est marié à une autre : bref, sa vie est sur de mauvais rails, d’autant qu’au boulot, ce n’est pas la joie non plus. Mais, suite à une nuit avec un inconnu lors d’un festival puis avec Mark lors d’un baptême, le tout avec des capotes vegan périmées, elle attend un bébé. Problème : qui l’a mis là ?

Daniel manque, indéniablement, et le personnage de Jack (Patrick Dempsey) a beau être particulièrement charmeur et drôle, il lui manque ce petit truc indéfinissable. Cela mis à part, on passe évidemment un excellent moment avec ce film drôlissime et énergique, qui malgré l’intrigue de base prend une direction assez différente du roman. Bridget reste la même, totalement immature et gaffeuse, Mark est aussi choupitrognon (même si je trouve que Colin Firth vieillit assez mal, mais cela n’engage que moi), Emme Thompson campe une gynécologue extraordinaire, et on éclate de rire bien souvent avec des scènes d’anthologie (mais, malheureusement, sans la déclaration d’amour la plus touchante de l’histoire des déclarations d’amour qui est dans le roman). Le tout, bien évidemment, sur fond de décors londoniens, ce qui n’est pas rien.

Bref, un film qui fait du bien, qui donne la pêche, qui ne sera pas mon préféré dans la série parce que sans Daniel ce n’est quand même pas pareil, mais qui m’a fait passer une excellente soirée ! Précipitez-vous si vous ne l’avez pas encore vu !

Bridget Jones Baby
Sharon MAGUIRE
2016

Bridget Jones : the Edge of Reason, de Beeban Kidron

Bridget Jones Edge of reasonYou think you’ve found the right man, but there’s so much wrong with him, and then he finds there’s so much wrong with you, and then it all just falls apart.

Je déclare officiellement ouverte la saison du « je me cale au fond du canapé enroulée dans un plaid tout doux pour regarder une comédie romantique en boulottant des chocolats ». Comme s’il fallait des excuses tiens… Bref. L’autre jour, en lisant le dernier opus des aventures de Bridget, je me suis dit que ça faisait quand même un sacré bout de temps que je n’avais pas revu ce film n°2. Aussitôt pensé, (presque) aussitôt fait.

Bridget et Mark sont heureux et amoureux. Mais les problèmes vont vite surgir, sinon il n’y aurait pas d’histoire…

Un film à la fois à mourir de rire et d’une mignonitude absolue, qui parvient à redonner du peps à l’éternel dilemme féminin : le good boy vs le bad boy. D’un côté Mark Darcy, l’homme idéal quand même, qui pardonne à Bridget toutes ses bourdes, maladresses et bêtises : parce qu’il sait bien, lui, que si elle agit souvent sottement, c’est parce qu’elle manque de confiance en elle ; et vu le nombre de bêtises que j’ai pu faire pour exactement les mêmes raisons, ne rencontrant que consternation et agacement, je dis : Mark, you Rock. Mais le problème, c’est Daniel Cleaver, toujours dans les parages : c’est un enfoiré affectif, on a envie de lui mettre des claques, mais soyons honnête, il donne aussi de furieuses envies de luxure… Moi je prendrais bien les deux (oui, je suis gourmande, au restaurant je prends toujours l’assortiment de desserts).

Un film que j’adore parce qu’il fait un bien fou, on éclate de rire à chaque scène mais on final on a aussi des étoiles de bonheur dans les yeux, la bande original donne envie de danser, les images de Londres de se précipiter dans le premier Eurostar. On en ressort reboosté !

Bridget Jones : the Edge of Reason
Beeban KIDRON (d’après le roman d’Helen FIELDING)
2004

Notting Hill (Coup de foudre à Notting Hill) de Roger Michell

Notting HillAnd don’t forget… I’m also just a girl, standing in front of a boy, asking him to love her.

Ben oui, forcément, vu que je me suis rendu compte la semaine dernière que cela faisait une éternité que je n’avais pas revu ce film et que je n’en avais jamais parlé ici, l’autre soir je n’ai pas pu résister…

Anna Scott est l’une des plus grandes stars d’Hollywood et passe sa vie à fuir les paparazzi. William Thacker dirige une librairie spécialisée dans les livres de voyage à Notting Hill à Londres. Un jour, par hasard, Anna pousse la porte de la librairie…

A chaque fois, ce film m’émerveille et me fait oublier toute la laideur du monde (ce qui, en ce moment, est un vaste programme) : tout en tendresse, en délicatesse, en humour, c’est un film qui fait aimer la vie. Aznavour en chanson d’ouverture, Hugh Grant dans les années où il était le plus craquant (surtout en libraire), Julia Roberts irradiant d’une lumière éblouissante, Londres, Notting Hill, une belle histoire d’amour (et d’amitié) : franchement, que demander de plus !

Une nouvelle fois, je réclame un Nobel pour Richard Curtis, qui a écrit le scénario !

Notting Hill (Coup de foudre à Notting Hill)
Roger MICHELL
1999

Jonathan Weakshield, d’Antoine Sénanque

Jonathan WeakshieldOn enviait les pires assassins à force de les traiter en êtres d’exception, « monstres », « prédateurs », « génies du mal » sans jamais souligner la vérité de leur nature : la médiocrité. Les métaphores étaient les auréoles de ces rebuts du monde. Leur gloire diffusait comme une eau sale portant les germes que la morale ne consommait pas, mais qui désaltérait les angoisses. Des hommes croupis.

Sur le papier, ce roman n’était pas forcément ma came. Mais j’ai choisi de faire confiance à son auteur, Antoine Sénanque, dont j’avais beaucoup apprécié les deux précédents romans, Salut Marie et Etienne Regrette ; cela dit, ce roman est d’une tonalité totalement différente, point de loufoque et de fantaisie grave, mais c’est bien quand même !

1899. Alors que tout le monde le croyait mort, Jonathan Weakshield, une légende des bas-fonds londoniens, revient dans la capitale britannique bien décidé à régler ses comptes et surtout à protéger la femme qu’il aime de ceux qui en ont à régler avec lui.

Roman d’aventures où les points de vue se multiplient, Jonathan Weakshield nous offre un tableau saisissant du Londres du tournant du siècle et de ses zones de non-droit, entre Whitechapel encore hanté par l’ombre de Jack l’Éventreur et Seven Dials, en passant par la tristement célèbre prison de Reading. Et, si l’on voyage un peu, c’est bien la ville de Londres qui constitue le cadre principal de l’histoire, et devient finalement un véritable personnage : le Londres des pauvres, des bandits, allons jusqu’à les appeler pirates tant l’influence de Stevenson est évidente, le Stevenson de L’île au trésor, celui surtout de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de Mr Hyde, dont l’intrigue est presque contemporaine. Pourtant, le personnage éponyme, Jonathan Weakshield, est beaucoup plus complexe que le héros du très manichéen roman de Stevenson : fascinant, il n’est bien évidemment pas « bon », et pourtant il est capable d’amour, l’amour le plus lumineux qui soit, ce qui le sauve en partie et fait qu’on ne peut pas, fondamentalement, le mépriser ou le haïr. Et là est le coeur du roman : l’amour, seule valeur cardinale dans une société puritaine et étouffante, sur laquelle plane la faute qu’elle a commise envers Wilde, présent en filigrane dans toute l’histoire.

Un roman envoûtant, étonnamment poétique parfois (mais une poésie assez Baudelairienne version « une charogne »), sombre et lumineux, qui se lit avec beaucoup d’intérêt et de plaisir, même si on n’est pas au départ particulièrement adepte de romans d’aventures, parce que c’est beaucoup plus que ça !

Jonathan Weakshield
Antoine SÉNANQUE
Grasset, 2016