Phallaina, de Marietta Ren

PhallainaAutant je suis globalement rétive à la lecture sur support numérique des livres, autant je suis très intéressée par les expérimentations que permet ce support : livres enrichis, nouvelles manières d’écrire… C’est comme cela que je suis tombée sur Phallaina, une « bande défilée » de Marietta Ren, qui a le mérite d’utiliser pleinement les potentialités offertes par la tablette…

Audrey, traductrice, souffre depuis toujours de crises hallucinatoires durant lesquelles elle voit le monde envahi par des baleines. Après avoir consulté nombre de médecins qui ne comprennent pas ce qu’elle a, elle est prise en charge à Nereis, un centre d’expérimentation, où on découvre qu’elle est porteuse d’un physeter, anomalie du cerveau dont tous ceux qui en sont atteints développent une attitude extraordinaire à la plongée en apnée. Et si tout cela était en lien avec un très vieux mythe ?

Absolument extraordinaire, et je pèse mes mots, ce roman graphique, qui défile sous nos yeux comme la longue fresque des Phallainas à l’institut nous propose une véritable immersion, presque en apnée, dans un univers à la fois mythologique, scientifique, et totalement poétique. Le graphisme est absolument magnifique : les dessins sont beaux, les superpositions dans certaines scènes donnent une impression de 3D, et les moments d’hallucination sont animés, ce qui donne le sentiment de vivre l’expérience hallucinatoire d’Audrey avec elle. Si on ajoute le son, ni invasif ni juste décoratif, et l’histoire elle-même, parfaitement passionnante, cela donne : une pépite, tout simplement.

Et en plus, cette pépite est gratuite. Aucune raison donc de ne pas s’immerger pendant environ 1h30 dans le monde de Phallaina, de préférence sur tablette (mais fonctionne aussi sur smartphone), avec ses écouteurs !

Phallaina
Marietta REN
France Télévision, 2016
Disponible sur l’Apple Store et Google Play

Alienare, de Chloé Delaume et Franck Dion

AlienareNous avons pris le pont de la Désespérance, passé l’île aux Symptômes, suivi la route de l’Apraxie, évité les marais des Troubles Obsessionnels Compulsifs en prenant par la rive du fleuve Münchhausen.
Il ne reste plus que l’étang de Diagnostication, ensuite ce sera tout droit. Le dernier lieu est illisible, mais il fait face au bâtiment. Cornélius est formel, et Léonard aussi.

Ce n’est pas vraiment un roman que je vous présente aujourd’hui, mais une expérience originale. A dire vrai, cela faisait un moment que j’attendais qu’un auteur s’empare vraiment des potentialités offertes par le numérique, et l’autre jour j’ai donc écouté d’une oreille très attentive Chloé Delaume parler d’Alienare dans Le Temps des Écrivains.  Le principe est celui d’une histoire qui se construit avec du texte mais aussi avec ce qui ressemble à des morceaux de jeux vidéos et des créations sonores. Une oeuvre hybride, synergique, dans laquelle le lecteur est totalement immergé, et que l’on trouve dans le rayon applications et non dans le rayon livre.

En ouvrant l’application, vous vous trouvez propulsé dans le futur, au Ministère du Redressement Productif Mondial, département des archives : au poste de visionnage, vous consultez un dossier classé secret, constitué de rapports personnels et d’enregistrements vidéos. Dans un futur post-apocalyptique où l’humain a appris à s’optimiser comme un ordinateur sur lequel on télécharge de nouveaux programmes, la matrice s’est détraquée. Une équipe mixte est alors envoyée dans une zone blanche pour la détruire.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est extrêmement bien fait : l’impression par moments que la machine se détraque, les images dans lesquelles on est plongé et qui font froid dans le dos, les voix qui résonnent (dont celle très particulière de Chloé Delaume elle-même). L’univers présenté est quant à lui glaçant, mélange d’anticipation, de réflexion sur la société actuelle et de mythes anciens qui donne quelque chose de curieux. L’expérience de la lecture en est bouleversée, c’est une lecture verticale et multisensorielle. Esthétiquement, c’est sublime. Littérairement, j’ai quand même quelques réserves : pas sur l’écriture elle-même, Chloé Delaume a parfaitement su donner une voix, un style à chacun de ses personnages, certains passages sont comme hypnotiques. Non mes réserves vont à l’histoire elle-même : je crois bien que je n’ai pas tout compris, certaines choses m’ont échappé, mais ce n’est pas forcément une référence car je ne suis pas amatrice du genre science-fiction habituellement !

En tout cas, une belle expérience que je conseille à tout ceux qui ont une tablette (ou au pire un smartphone mais à mon avis c’est moins bien) de la marque à la pomme !

Alienare

Alienare
Chloé DELAUME et Franck DION
Création sonore Sophie COURONNE
Seuil, 2015