Alice se figura comment les autres les voyaient : une jeune femme en bonne santé qui perdait son temps avec un vieil homme cassé par l’âge. Ou bien avaient-ils plus d’imagination et de bienveillance qu’elle ne le présumait ? Se pouvait-il qu’ils devinent que la vie avait plus de sel à ses côtés, que le monde avait précisément besoin de gens de son espèce, dévoué et pugnace ?
Fait assez inhabituel pour être signalé, c’est après avoir écouté Le Masque et la Plume que j’ai noté ce roman dans ma liste à lire (j’adore cette émission mais honnêtement, en général, ils me donnent plutôt envie de ne pas lire des romans que j’ai pourtant adoré). Comme il était question d’écriture, je n’ai pas tardé à le lire.
C’est un roman construit en trois parties distinctes. Dans la première, Alice, 25 ans, assistante d’édition qui voudrait écrire, vit une liaison étonnante avec un homme qui a l’âge d’être son grand-père, Ezra Blazer, un grand écrivain couronné par de nombreux prix et notamment le Pulitzer, qui l’a séduite alors qu’elle lisait dans un parc. Dans la deuxième, Amar Jafaari, un américano-irakien, est retenu à l’aéroport par les services de l’immigration anglais, et essaie de rassembler les souvenirs éparpillés de sa vie. Dans la troisième, Ezra Blazer donne une interview (et éclaire le lien entre les deux parties).
Loin de m’avoir déplu, ce roman m’a tout de même grandement déconcertée. Mais commençons par la minute people : Ezra Blazer, c’est Philip Roth, avec qui Lisa Halliday a effectivement entretenu une relation. Vous me direz « on s’en fout », et effectivement ne pas le savoir ne gêne absolument pas la lecture, mais on passerait à côté de certains détails, et notamment dans la dernière le fait qu’Ezra a été couronné par le prix ultime, le prix Nobel (et j’avoue que ce détail choupitrognon m’a profondément émue) alors que la première partie est rythmée par les Nobel attribués à d’autres.
Bref, déconcertant. La première partie est très factuelle, pas inintéressante mais sur laquelle je ne saurais trop quoi dire (j’avoue que j’attendais le grand auteur Pygmalion qui aide sa protégée à advenir à l’écriture, la révèle à elle-même grâce à ses conseils, et… non). La deuxième est déconcertante par son absence totale de lien apparent avec la première (même si j’avais quand même mon idée, qui s’est révélée juste), mais passionnante par les thèmes qu’elle aborde : la mémoire et l’identité. La troisième est déconcertante par sa forme, mais très bien menée, mais surtout éclaire le reste.
C’est donc une sorte de puzzle, dont on se rend compte une fois toutes les pièces rassemblées qu’il est parfaitement maîtrisé et d’une grande intelligence. A découvrir par curiosité, Lisa Halliday étant sans doute une des nouvelles voix de la littérature américaine destinées à compter.
Asymétrie
Lisa HALLIDAY
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Cohen
Gallimard, 2018