A l’amie des sombres temps, de Geneviève Brisac : lettres à Virginia Woolf

Il n’y a pas de littérature sans gestes superstitieux. Ils sont désir de croire que les vies ont un sens, et que les mots le portent, envers et contre tout. Des gestes rituels qui témoignent aussi du caractère sacré de l’art.

Curieux projet que celui de Geneviève Brisac dans ce nouveau volume de la collection « Les Affranchis », qui invite les auteurs à écrire la lettre qu’ils n’ont jamais écrite. Curieux, mais très intéressant : elle a choisi d’adresser une série de missives à Virginia Woolf, pour prendre de ses nouvelles, lui donner des nôtres, et lui dire tout ce que son œuvre a apporté.

J’ai trouvé ce petit volume extrêmement stimulant. C’est d’ailleurs un exercice que l’on pourrait tous faire, écrire une lettre à un auteur qu’on aime, qui compte. Cela donne un très beau texte, qui interroge nombre de sujets : l’épistolaire lui-même, dans un geste autoréflexif, les fleurs, l’époque actuelle, le féminisme, l’ombre menaçante du Covid, la mort, la dépression, les femmes et l’écriture. Le texte est intime, profond, mais aussi souvent drôle, le style est vif et primesautier, et j’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture !

A l’amie des sombres temps. Lettres à Virginia Woolf.
Geneviève BRISAC
Nil, 2022

Lettres de rupture, présentées par Agnès Pierron

lettres de ruptureAdieu pour la dernière fois. Je pars, et trouve autant de plaisir à m’éloigner de vous maintenant que j’en avais autrefois de m’en rapprocher. (lettre du marquis de Sade à Mademoiselle Colet, 25 décembre 1764)

Lorsqu’ils sont amoureux, nos grands hommes (et nos grandes femmes) n’hésitent pas à mettre leur plume au service de missives érotiques. Lorsqu’ils ne le sont plus; ils n’hésitent pas à rompre de manière parfois tout aussi littéraire.

Cela ne se fait plus, les lettres de rupture. Aujourd’hui, on laisse un post-it, on envoie un texto laconique, voire on cesse tout simplement de répondre à l’autre en espérant qu’il comprenne vite. Dommage, car cela avait quand même de l’allure, une lettre de séparation en bonne et due forme, et c’est un plaisir que de lire ces lettres de séparation, qui traduisent parfois la souffrance amoureuse de celui qui aime sans être aimé, mais aussi l’orgueil, la cruauté, la jalousie, les remords et regrets.

Jean-Jacques Rousseau à Marie-Thérèse Levasseur. Joséphine à Napoléon. Benjamin Constant à Juliette Récamier. George Sand à Alfred de Musset. Gustave Flaubert à Louise Colet. Albert Einstein à Miléva. Guillaume Apollinaire à Lou. Virginia Woolf à Leonard. Anaïs Nin à Henry Miller. Françoise Sagan à un mystérieux amant… Chaque histoire est contextualisée de manière à ce que l’on comprenne bien les raisons de la lettre, qui n’est pas toujours porteuse d’un message de séparation définitive.

Chaque auteur s’y montre sous son jour le meilleur… ou le pire. Sade est orgueilleux. Rousseau, geignard, comme à son habitude. Flaubert se révèle un mufle, Einstein un phallocrate de la pire espèce. Sagan, délicieuse de drôlerie et de légèreté. Quant à Virginia Woolf, sa lettre est déchirante puisque c’est plus qu’une rupture, mais une lettre d’adieu avant son suicide.

Est-ce qu’être écrivain aide à rompre ? Est-ce que les mots apaisent les mots ? Sans doute un peu. En tous les cas, cette petite excursion littéraire au pays de la rupture amoureuse est des plus savoureuses, délicieusement complétée par un assez drôle lexique insolite de la rupture.

Lettres de rupture
Présentées par Agnès PIERRON
Le Robert / Des lettres, 2015, collection « mots intimes »

Lettres érotiques, présentées par Agnès Pierron

Lettres érotiquesFigurez-vous un os à moelle, une corne de cerf, tout ce que vous pourrez imaginer de dur. On eût dit un vit antédiluvien pétrifié dans une grotte à stalactites, un phallus de bronze tombé des aines du dieu Lampsaque, un Lingham indien voulant faire la conjonction mystérieuse avec l’ioni sacré, un symbole générateur du van symbolique des processions d’Eleusis, une colonne napoléonienne dressée sur la place Vendôme de mon pubis, un pupitre pour lire l’Évangile d’amour dans la messe de Vénus. (Théophile Gautier, très en verve)

Les grands auteurs ne notre littérature, ainsi que d’autres hommes et femmes célèbres, sont souvent de petits coquins derrière l’image un peu compassée qu’on en a souvent. Lorsqu’ils écrivent à l’être aimé ou désiré, ils mettent toutes les ressources de leur maîtrise de la langue au service de l’entretien de la flamme du désir, la narration de prouesses sexuelles ou tout simplement de l’érotisation d’une relation qui ne l’est pas à la base.

Ce que nous propose ce recueil de lettres de longueur variable, du petit mot à la longue missive, c’est donc une plongée au coeur de l’intime de nos célébrités, et notamment des écrivains : de Henri IV à Griselidis Real en passant par Sade, Beaumarchais, Mozart, Flaubert, Maupassant, Gautier, Joyce, Eluard, Anaïs Nin et Henry Miller, ou encore un couple d’inconnus dont le mari est dans les tranchées.

Classées par ordre chronologique et très bien contextualisées, complétées par un petit lexique insolite des mots du sexe, ces lettres permettent aussi d’ébaucher une histoire de l’érotisme : d’un siècle à l’autre, les mots, les expressions ne sont pas les mêmes. Mais chaque expéditeur a aussi sa propre manière : c’est parfois lyrique et sensuel, d’autres fois très cru, à l’occasion grivois et potache. Sade se montre assez soft, Beaumarchais est d’une jalousie amusante, Gautier nous livre un véritable morceau de bravoure où on sent déjà Le Godemichet de la gloire

Bref, une lecture plaisante et amusante, qui égayera votre été !

Lettres érotiques
Présentées par Agnès PIERRON
Le Robert / Des lettres, 2015, collection « mots intimes »

Correspondances

Vous vous souvenez, avant l’apparition des emails, du plaisir qu’il y avait à recevoir des lettres d’amis ou d’amoureux, à les ouvrir, à les garder pour pouvoir les relire ? Moi-même, il y a quelque temps, je m’étais replongée avec joie dans une boîte où j’avais conservé toutes ces missives, cartes postales et petits mots datant de mon adolescence.

Ce plaisir oublié, Georgia propose de le faire renaître. Qui est Georgia ? Une vieille machine à écrire Underwood qui adore faire des surprises, et vous propose de recevoir des lettres, extraites de correspondances plus ou moins célèbres, régulièrement dans votre boîte aux lettres (la vraie). De jolies lettres, soignées, sur du papier de qualité, qui vous permettront de plonger dans le quotidien de Virginia Woolf, Flaubert, ou encore Churchill.

Une jolie idée en tout cas, et un cadeau pour le moins original, pour soi ou pour un ami !

Love et caetera, de Tristane Banon

Love etc.Avouer mon admiration, dire que telle ou telle personne fait partie de mon panthéon personnel, cela revient à trouver, dans l’environnement des artistes qui font mon quotidien, ce qui me définit le mieux.

Alors que le bashing médiatique est à la mode, Tristane Banon choisit au contraire, dans ses chroniques, d’adresser des mots d’amour aux personnalités qui la touchent : au lieu de dire la haine, le mépris, l’agacement, elle dit l’admiration. Ce livre est un recueil de ces lettres d’amour radiodiffusées, des lettres dont l’impératif est qu’elles s’adressent à des gens qu’elle admire mais ne connaît pas personnellement. Pour les besoins du livres, d’autres, plus personnelles, ont été ajoutées, et l’ensemble des textes a été contextualisé.

Cette idée de départ est jolie, et c’est bien ce projet qui a attiré mon attention, projet que j’estime d’ailleurs salutaire et on devrait tous se livrer de temps en temps à l’exercice ; peut-être que si on y mettait un peu plus d’amour, d’ailleurs, le monde irait mieux.

L’ensemble est, évidemment, touchant, mais inégalement : comme le dit l’auteure, dire qui nous aimons c’est aussi dire qui nous sommes, et parmi les personnalités auxquelles s’adressent Tristane Banon, certaines me laissent totalement de marbre, d’autres me sont inconnues, et je n’en apprécie pas quelques unes. Mais certaines lettres m’ont vraiment beaucoup émue, notamment celle à Gisèle Halimi, ou celle à Eric Naulleau, qui permet de voir le personnage sous un jour différent. Et puis, l’idée générale de dire aux gens qu’on les aime tant qu’ils sont en vie fait du bien.

Après, je trouve que Tristane Banon a un peu tendance à tourner en rond sur certains événements, et cela finit par mettre à distance. Je suis également réservée sur l’écriture « slam » qui ne me semble pas nécessaire ici, mais le fait est que je déteste le slam, donc d’autres sans doute apprécieront.

En tout cas, c’est une belle idée, et lire des mots d’amour, d’admiration, ça met un peu de beauté dans le quotidien.

Love et caetera
Tristane BANON
L’Archipel, 2015

Je n’ai rien à te dire, sinon que je t’aime au musée des lettres et des manuscrits

correspondance amoureuse
Evidemment, avec un titre pareil, cette exposition ne pouvait que m’attirer comme un aimant (!).

Alors pour être honnête, le titre est peut-être un petit peu réducteur : oui, l’exposition propose de voir quelques unes des plus belles correspondances amoureuses issues des collections du musée, mais pas uniquement : c’est aussi, plus généralement, une magnifique exploration du sentiment amoureux dans la littérature, avec des éditions rares du Cantique des Cantiques, de L’Art d’aimer d’Ovide, du Banquet de Platon, etc.

En fait, ce qui est en jeu ici, ce sont les différentes formes du sentiment amoureux, la recherche du mot juste à mettre sur les sentiments, les confidences, les maladresses, le tout dans un écrin aux tons clair et décoré de fleurs bleues, où l’on circule agréablement. Bref, une petite exposition, mais très agréable !

Alors pour terminer, comme je sais que certains vont m’interpeller sur le sujet, je vais quand même dire un mot de « l’affaire » autour de la société Aristophil, qui gère le Musée et l’Institut des lettres et des Manuscrits. Alors pour être honnête, je n’ai pas bien compris de quoi on les soupçonnait (je rappelle que je suis une artiste, et que donc pour tout ce qui est contingences de la vie réelle il vaut mieux s’adresser à quelqu’un d’autre), et pour être encore plus honnête, peu me chaut finalement puisque pour l’instant ce ne sont que des soupçons (présomption d’innocence, tout ça) : ce qui m’importe, à moi, c’est que la société Aristophil sauve des manuscrits de grande valeur, ce que l’Etat n’est pas capable de faire de manière générale (je veux dire : le rouleau des 120 journées de Sodome il serait où sans Aristophil ? Dans une collection privée et seuls quelques privilégiés pourraient le voir) et les met à disposition du public à travers des expositions intéressantes et accessibles. Ce que, encore une fois, ne fait pas l’Etat. Après, on peut disserter très longtemps sur le sujet « la fin justifie-t-elle les moyens ? », mais chacun ayant son avis, ça va être compliqué. Donc sujet clos.

(Par contre, à l’heure où j’écris ces lignes, le site du musée est inaccessible, donc je me demande s’il n’est pas fermé…)

Je n’ai rien à te dire sinon que je t’aime
Musée des Lettres et des Manuscrits
Jusqu’au 15 février 2015

Le musée des lettres et des manuscrits

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L’autre jour, mes pas m’ont enfin portée au musée des lettres et des manuscrits, boulevard Saint Germain. Cela faisait plusieurs mois que je désirais le visiter, sans pour autant en trouver l’occasion, mais comme j’avais très envie de voir l’exposition consacrée à Cocteau, celle-ci était enfin trouvée, d’autant qu’il faisait beau et que j’avais très envie de me balader sur le boulevard…

L’immeuble qui abrite le musée est un ancien hôtel particulier, au 222 (un peu plus haut que le Flore), pourvu d’une jolie cour : propre, lumineux, accueillant, dans un quartier finalement parfait pour ce genre d’institutions, on se sent tout de suite bien dans cet endroit auquel il ne manque qu’un café (sauf si on considère le Flore comme une annexe…).  Le musée lui-même est divisé en deux parties : sur la mezzanine, la boutique (haut lieu de perdition) et les expositions temporaires, et en bas les collections permanentes.

En ce moment, l’exposition temporaire est consacrée à Cocteau, je vous en avais parlé : c’est une petite exposition, mais rudement intéressante, bien documentée, les objets exposés sont fascinants et l’ensemble retrace bien la vie et la carrière de Cocteau. Beaucoup d’éléments sont consacrés au cinéma, et ce serait presque mon seul reproche car finalement, n’est-ce pas redondant avec l’exposition de la cinémathèque ? A voir…

En regard de l’exposition consacrée à Cocteau, un hommage est rendu à Edith Piaf, une de ses proches amies. La légende veut qu’ils soient morts le même jour (ce qui n’est pas tout à fait vrai) et que la mort de Piaf aurait à la fois provoqué et éclipsé celle de Cocteau. Espace intéressant, composé essentiellement de lettres.

Quant aux collections permanentes… je pense que c’est un lieu où il faut aller plusieurs fois pour tout voir avec un minimum d’attention. Les manuscrits et autres écrits sont répartis en domaines : Histoire, Sciences et découvertes, Musique, Arts, Littérature, cette dernière section étant bien entendu celle qui m’a le plus intéressée : avoir sous les yeux les mots écrits de la main de Proust, de Hugo, de Vian, de tant d’autres m’a littéralement envoûtée. L’avantage en outre est qu’il y a peu de monde, donc on peut errer, vagabonder, rêvasser, admirer… enfin j’y étais bien, à m’imprégner de l’esprit de tant de génies. Oui, c’est un peu comme si ce lieu était habité, presque hanté, et j’en ferai certainement un lieu de… promenade ? Méditation ? Pèlerinage ? Régulier…

Disons que je pense que lorsqu’on aime l’écrit, on ne peut qu’aimer ce lieu !

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Toute une vitrine est consacrée à George Sand…

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Musée des lettres et des manuscrits
222 bd Saint-Germain, Paris