Les dernières Déesses, de Kateřina Tučková : les anciens cultes

Longtemps, Dora avait cru que c’était cet événement qui avait marqué le début de tous leurs malheurs. Sauf que ça n’avait pas commencé là, à l’instant où, dans le chalet de Koprvazy, ils avaient découvert le corps de leur mère. Dora n’était pas bête, elle comprenait que ça avait commencé bien avant, tellement avant que sa courte mémoire ne pouvait pas remonter jusque-là. Elle ne se faisait pas d’illusions : derrière ces mines contrites et ces « Quel malheur ! » ou « Pourquoi vous, pourquoi justement vous ? ! » il se chuchotait dans son dos ce qu’elle avait fini par entendre : il fallait s’y attendre, ça devait arriver. D’une façon ou d’une autre ça devait se terminer par un malheur. Parce que sa mère elle aussi était une déesse et que les déesses n’ont pas le destin facile.

L’autre jour, en lisant La Sorcière de Limbricht, mon œil a été attiré par un autre ouvrage de cette nouvelle collection qui met en avant des autrices d’aires linguistiques peu traduites en français, et des histoires de femmes en marge. Comme on voit, je n’ai pas mis très longtemps à succomber à la tentation de cette histoire de femmes puissantes.

Les Déesses de Zitkova : c’est le sujet de la thèse de Dora, en ethnographie. Comme tout sujet de thèse, elle ne l’a pas choisi au hasard : elle-même est issue d’une de ces lignées de guérisseuses qu’on appelle déesses dans sa région des Carpates blanches. Mais il s’agit d’une thèse effectuée au temps de la dictature communiste, qui avait à l’époque entrepris une véritable chasse aux sorcières, dictée cette fois par le matérialisme scientifique. Autant dire que cette thèse passe à côté de beaucoup de choses, et, après la Révolution de Velours, Dora décide de lever le voile sur certains mystères.

J’ai adoré ce roman, qui se révèle passionnant sur le plan historique : on a l’habitude des chasses aux sorcières du XVIIe siècle (et il en est un peu question), mais on ne parle que peu (en tout cas en Europe de l’Est) de celle entreprise par les régimes communistes, qui accusaient ces femmes non plus d’avoir pactisé avec le Diable, mais au contraire d’être contre le progrès ; quoi qu’elles fassent, à toutes les époques, ça ne va pas. L’ouvrage aborde également les recherches des nazis concernant ces femmes, dont ils pensaient qu’elles étaient les dépositaires de très anciens cultes qui étaient à l’origine de certaines de leurs théories. Tout cet arrière-plan historique est fascinant.

L’histoire elle-même (puisqu’il s’agit d’un roman et non d’un livre d’histoire) est tout ce que j’aime : une lignée maternelle, un héritage, et la question de trouver sa place de femme, et j’ai avec plaisir suivi Dora dans ses explorations, même si je n’ai pas trouvé le personnage spécialement sympathique. J’avoue également que je me suis complètement perdue dans les personnages, et qu’un arbre généalogique aurait été bienvenu. Mais le vrai problème, selon moi, et qui a un peu gâché mon impression finale, vient du dernier chapitre : selon moi, il manque des choses, je pense que j’ai compris de quoi il était question mais je n’en suis même pas certaine.

Néanmoins, malgré ce bémol, je crois que cela reste un roman à découvrir, sur un thème assez à la mode mais dont personnellement je ne me lasse pas, et qui, de par l’aire géographique concernée, est traité avec originalité.

Les Dernières Déesses
Katerina TUCKOVA
Traduit du tchèque par Eurydice Antolin
Charleston, « Les Ailleurs », 2023