Nous avons pris le pont de la Désespérance, passé l’île aux Symptômes, suivi la route de l’Apraxie, évité les marais des Troubles Obsessionnels Compulsifs en prenant par la rive du fleuve Münchhausen.
Il ne reste plus que l’étang de Diagnostication, ensuite ce sera tout droit. Le dernier lieu est illisible, mais il fait face au bâtiment. Cornélius est formel, et Léonard aussi.
Ce n’est pas vraiment un roman que je vous présente aujourd’hui, mais une expérience originale. A dire vrai, cela faisait un moment que j’attendais qu’un auteur s’empare vraiment des potentialités offertes par le numérique, et l’autre jour j’ai donc écouté d’une oreille très attentive Chloé Delaume parler d’Alienare dans Le Temps des Écrivains. Le principe est celui d’une histoire qui se construit avec du texte mais aussi avec ce qui ressemble à des morceaux de jeux vidéos et des créations sonores. Une oeuvre hybride, synergique, dans laquelle le lecteur est totalement immergé, et que l’on trouve dans le rayon applications et non dans le rayon livre.
En ouvrant l’application, vous vous trouvez propulsé dans le futur, au Ministère du Redressement Productif Mondial, département des archives : au poste de visionnage, vous consultez un dossier classé secret, constitué de rapports personnels et d’enregistrements vidéos. Dans un futur post-apocalyptique où l’humain a appris à s’optimiser comme un ordinateur sur lequel on télécharge de nouveaux programmes, la matrice s’est détraquée. Une équipe mixte est alors envoyée dans une zone blanche pour la détruire.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est extrêmement bien fait : l’impression par moments que la machine se détraque, les images dans lesquelles on est plongé et qui font froid dans le dos, les voix qui résonnent (dont celle très particulière de Chloé Delaume elle-même). L’univers présenté est quant à lui glaçant, mélange d’anticipation, de réflexion sur la société actuelle et de mythes anciens qui donne quelque chose de curieux. L’expérience de la lecture en est bouleversée, c’est une lecture verticale et multisensorielle. Esthétiquement, c’est sublime. Littérairement, j’ai quand même quelques réserves : pas sur l’écriture elle-même, Chloé Delaume a parfaitement su donner une voix, un style à chacun de ses personnages, certains passages sont comme hypnotiques. Non mes réserves vont à l’histoire elle-même : je crois bien que je n’ai pas tout compris, certaines choses m’ont échappé, mais ce n’est pas forcément une référence car je ne suis pas amatrice du genre science-fiction habituellement !
En tout cas, une belle expérience que je conseille à tout ceux qui ont une tablette (ou au pire un smartphone mais à mon avis c’est moins bien) de la marque à la pomme !
Alienare
Chloé DELAUME et Franck DION
Création sonore Sophie COURONNE
Seuil, 2015