De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel Guenassia

De l'influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles, de Jean-Michel GuenassiaMoi, je me plais dissimulé dans le clair-obscur. Ou perché tout en haut, comme un équilibriste au-dessus du vide. Je refuse de choisir mon camp, je préfère le danger de la frontière. Apparemment, ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre. Si un soir vous me croisez dans le métro ou dans un bar, vous allez obligatoirement me dévisager, avec embarras, probablement cela vous troublera, et LA question viendra vous tarauder : est-ce un homme ou une femme ? 

J’avais beaucoup aimé le dernier roman de Jean-Michel Guenassia, La Valse des arbres et du cielet c’est donc en toute logique que j’ai eu envie de lire celui-ci, intriguée par le titre…

Paul est lesbien. Androgyne dans son apparence, il ne connaît pas son père et a été élevé au milieu des femmes, entre sa mère Léna, un drôle de numéro pour tout dire, et sa compagne Stella. Lui-même est exclusivement attiré par les femmes, mais pas n’importe lesquelles : les femmes qui aiment les femmes.

Le roman, plein de tendresse, questionne des sujets passionnants : les familles homoparentales, l’identité sexuelle complexe et dont le spectre est beaucoup plus large que la binarité à laquelle le sujet renvoie souvent, transgenre/cisgenre, homosexuel/hétérosexuel/bisexuel. Il y a aussi une intéressante inversion des normes, avec le personnage de Léna qui réagit à l’hétérosexualité de son fils comme beaucoup réagissent lorsqu’ils apprennent l’homosexualité du leur : mal. Le roman se lit donc plutôt avec plaisir. Mais, pour autant, j’ai pas mal de réserves : d’abord j’ai eu du mal avec tout l’aspect « psychanalyse de comptoir », qui m’a laissée perplexe. Surtout, le roman veut embrasser trop de thématiques, et l’histoire finit par devenir à la fois embrouillée et caricaturale, on sent les grosses ficelles, et au final, on n’y croit guère. Le sujet était donc éminemment intéressant, mais cela aboutit à un roman pas mauvais, mais moyen, duquel je pense il ne me restera très vite rien. Dommage…

De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles
Jean-Michel GUENASSIA
Albin Michel, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 40/42
By Herisson

Point Cardinal, de Léonor de Récondo

Point Cardinal, de Léonor de RécondoLaurent est complètement nu. Il attrape son sac à dos sur la banquette arrière et pose sur le fauteuil passager, fouille dedans, sort un caleçon, un bas de jogging, un T-shirt, des chaussettes. Fait vite. La voiture est jonchée de vêtements, de lingettes usagées. Un chaos à l’image de son désordre intérieur. Révolté d’avoir arraché ses habits de lumière, Laurent retourne à l’ombre, jure, s’habille, se crispe, range tout ce qui doit l’être dans la mallette qui trouvera refuge dans le coffre, sous la moquette. Lui restera le mensonge.

J’avais tellement aimé AmoursAlors, très logiquement, j’étais impatiente de lire ce dernier roman de Léonor de Récondo, avec qui j’ai eu le plaisir d’échanger quelques mots lors du Forum Fnac Livres

Laurent a une vie en apparence banale. Un travail, une maison, une femme, deux enfants. Mais voilà. Laurent ne se sent pas bien dans son corps masculin. Alors le samedi soir, en cachette, sous prétexte d’aller faire du sport, il devient Mathilda et va danser au ZanziBar. Cela aurait pu durer longtemps, de ne pouvoir être lui-même qu’en mentant. Mais, profitant d’un week-end où sa famille n’est pas là, pour la première fois Laurent laisse la voie libre à Mathilda dans sa maison. Et oublie une épingle où sont entortillés de longs cheveux blonds de sa perruque…

Un roman bouleversant, d’une sensibilité et d’une délicatesse infinies servies par une écriture ciselée, où il est question de quête de soi et d’identité — devenir ce que l’on est, profondément, cesser de se cacher et de faire semblant. C’est un chemin qui s’accomplit dans la douleur : celle de Laurent, bien sûr, mais aussi celle de Solange, sa femme, et celle de ses enfants. Parce qu’il y a soi, et qu’il y a les autres, ce qu’on aime et qui se sentent trahis, qui ont peur du regard des autres. Il y a les collègues aussi, leurs réactions contrastées. Mais tout, dans ce roman, reste tendre et bienveillant, d’une grande justesse, les choses ne se fissurent pas comme elles auraient pu le faire, notamment au sein du couple, la sexualité lorsque le corps de l’autre se transforme. Parce que, finalement, c’est l’amour qui peut vaincre tous les obstacles. Peut-être que c’est un peu optimiste, mais cet optimisme fait du bien.

Un roman absolument nécessaire donc, très loin de la caricature, qui à travers un destin bien particulier et un thème que l’on ne trouve pas si souvent abordé en littérature pose la question universelle d’être soi. A lire absolument !

Lu par Leiloona

Point Cardinal
Léonor de RÉCONDO
Sabine Wespieser, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 27/30
By Herisson

 

Les garçons et Guillaume, à table, de Guillaume Gallienne

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Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant: «Les garçons et Guillaume, à table!» et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: «Je t’embrasse ma chérie»; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus.

Il est enfin disponible en VOD, ce film que je voulais voir depuis sa sortie et qui a fait un véritable carton aux Césars.

Pendant longtemps, Guillaume est persuadé d’être une fille. Il faut dire que sa mère le considère comme telle, et comme il lui voue un véritable culte, il cherche à tout prix à lui ressembler. Du coup, tout le monde se persuade qu’il est homosexuel, et lui-même le pense… ou plutôt, il se persuade qu’il aime les garçons, mais comme il est une fille, il considère son comportement comme tout ce qu’il y a d’hétérosexuel.

A noter que ce film a d’abord été un spectacle, ce qui se retrouve dans la manière de filmer puisque, par un effet de mise en abyme, c’est le comédien qui raconte l’histoire…

Sur un sujet grave, Guillaume Gallienne parvient à nous offrir une comédie brillantissime et hilarante — car, ne le cachons pas, certaines scènes sont à mourir de rire — mais qui n’oublie pas de nous faire réfléchir. Castigat ridendo mores. Car le sujet est sérieux, même s’il est traité avec une autodérision de bon aloi : celui de la construction de l’identité sexuelle. Élevé comme une fille, considéré comme une fille par sa mère, le petit Guillaume aime à se déguiser en princesse, ce qui ne laisse pas de surprendre son père qui, sans être un rustre mal dégrossi, n’en est pas moins perplexe et se pose beaucoup de questions sur son plus jeune fils. Ou plutôt, il ne s’en pose pas trop, considérant que celui-ci est évidemment homosexuel. Oh, il essaie bien de le rééduquer et l’envoie dans un pensionnat en Picardie (région de France manifestement assez réputée comme rustre et arriérée) où le pauvre enfant est évidemment maltraité. Changement de cap et direction la plus tolérante Angleterre. Lie back and think of England. Sauf que le héros a beau essayer de penser à l’Angleterre, ça ne marche pas du tout et les garçons, ce n’est peut-être finalement pas pour lui.

Evidemment, on ne peut pas ne pas penser à Edouard Louis en regardant ce film, puisque finalement le sujet est le même, quoiqu’inversé, et que Guillaume Gallienne part lui aussi d’une base autobiographique. Mais là où Edouard Louis nous donne la nausée, Gallienne, dont la performance d’acteur est absolument éblouissante, parvient à nous amuser avec cette histoire d’un garçon qui doit assumer son hétérosexualité dans une famille qui a décrété qu’il était homosexuel, mais aussi à nous émouvoir et à nous attendrir. Certaines scènes, très métaphoriques (avec des chevaux… très classique psychanalytiquement parlant) sont vraiment très belles.

A voir absolument !

Les garçons et Guillaume, à table !
Guillaume GALLIENNE
France, 2013

Vu par Géraldine