La physique, la biologie, les mathématiques, à leur extrême pointe, recoupent aujourd’hui certaines données de l’ésotérisme, rejoignent certaines visions du cosmos, des rapports de l’énergie et de la matière, qui sont des visions ancestrales. Les sciences d’aujourd’hui, si on les aborde sans conformisme scientifique, dialoguent avec les antiques mages, alchimistes, thaumaturges. Une révolution s’opère sous nos yeux, et c’est un remariage inespéré de la raison, au sommet de ses conquêtes, avec l’intuition spirituelle. Pour les observateurs vraiment attentifs, les problèmes qui se posent à l’intelligence contemporaine ne sont plus des problèmes de progrès. Il y a déjà quelques années que la notion de progrès est morte. Ce sont des problèmes de changements d’état, des problèmes de transmutation. En ce sens, les hommes penchés sur les réalités de l’expérience intérieure vont dans le sens de l’avenir et donnent solidement la main aux savants d’avant-garde qui préparent l’avènement d’un monde sans commune mesure avec le monde de lourde transition dans lequel nous vivons encore pour quelques heures.
Je suis souvent frustrée par les ouvrages scientifiques : pas seulement parce que j’ai l’impression que ce que nous savons est une goutte dans l’océan de ce que nous ne savons pas, mais surtout parce que les scientifiques ont souvent cette tendance qui m’agace à nier l’existence de ce qu’ils ne peuvent pas expliquer, alors même que l’histoire des découvertes scientifiques devrait les conduire à un peu plus d’humilité ; c’est ce que je reprochais récemment à la conclusion de l’essai d’André Brahic, et c’est pour cela que j’aime les essais de Didier van Cauwelaert : l’ouverture d’esprit, qui consiste à ne rien rejeter a priori (sans pour autant tout gober). Et c’est exactement cet esprit que j’ai retrouvé dans cet essai, qui date de 1960 et qui était mentionné dans Hippie de Paulo Coelho.
Le but de cet essai est de réconcilier la science et la spiritualité, le matérialisme et l’ésotérisme, en ouvrant des portes, en observant les faits et en posant des questions, autour de ce que les auteurs appellent « fantastique », à savoir ce qui ébranle les lois de l’univers telles que nous les connaissons, mais qui n’est pas nécessairement irréel. La première partie montre comment le XIXe siècle a fermé la porte à ce fantastique et que le XXe siècle essaie de la rouvrir tout en restant attaché au positivisme et à l’idée qu’il n’y a plus rien à découvrir ni à inventer. Il s’agit donc de regarder le passé au lieu d’oublier les connaissances des Anciens, et les auteurs prennent donc appui sur l’alchimie et les civilisations disparues. Dans un second temps, les auteurs mènent une réflexion sur l’histoire invisible, à savoir celle dont on ne parle pas d’habitude, en prenant l’exemple de l’Allemagne nazie et de ses fondements ésotériques et mystiques. Enfin il est question du fantastique intérieur et de l’infini de l’homme, ces facultés qu’il n’utilise pas ou peu ou mal mais qui peuvent le mener à l’accomplissement.
Inutile de vous dire que j’ai dévoré cet essai avec gourmandise tant c’est exactement ce qui me passionne : jamais péremptoire, il oblige à un pas de côté par rapport à ce qu’on considère habituellement comme d’un côté « la science » et de l’autre disons « la magie », et invite à sortir du dualisme pour choisir la voie moyenne entre le rationalisme acharné souvent entaché d’un biais de confirmation (on exclut tout ce qui tendrait à remettre en cause tout ce que l’on pense être le fonctionnement du monde) et l’occulte. En fait, en le lisant, j’ai souvent pensé à Boileau : le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblables. Les chapitres sur les civilisations anciennes, l’alchimie et les fondements ésotériques du nazisme sont absolument fascinants (au point que je me suis fait une bibliographie pour creuser ces questions, je vous préviens). Et j’aime surtout cette idée d’ouverture d’une nouvelle ère pour l’homme, où il trouvera son accomplissement véritable.
Bref, un essai passionnant et vivifiant, qui pose beaucoup de questions et invite à la réflexion, même si tout n’est pas à prendre pour argent comptant !
Le matin des magiciens. Introduction au réalisme fantastique
Louis PAUWELS et Jacques BERGIER
Gallimard, 1960 (Folio, 1972-2018)