Quand le passé reprend vie en couleurs, de Wolfgang Wild et Jordan Lloyd : photographies colorisées du monde de 1839 à 1949

Pour bon nombre d’entre nous, le passé est en noir et blanc.
Bien entendu, nous savons que le passé n’était pas vraiment en noir et blanc, pas plus que les gens de la Belle Epoque n’avaient l’allure saccadée qu’on leur voit dans les tout premiers films. Et pourtant, face à une vieille photo en noir et blanc, c’est ainsi que nous imaginons le passé.

L’idée peut sembler tout d’abord étrange, voire sacrilège : coloriser des clichés en noir et blanc, parfois parmi les plus connus : le train qui déraille en gare de Montparnasse en 1895, la construction de la tour Eiffel, la série de portraits de Florence Thompson par Dorothea Lange, le portrait d’Abraham Lincoln, le naufrage du Titanic… On a toujours connu le passé, les images du passé, en noir et blanc, pourquoi vouloir leur donner de la couleur ?

Et bien parce que ça change tout : alors qu’avec le noir et blanc le passé semble lointain (ce qu’il est) et irréel, comme si les gens sur la photo n’étaient pas de vraies personnes, en chair et en os, comme on en croise tous les jours, ici il prend vie, grâce au travail exceptionnel et minutieux de Jordan Lloyd dont on pourrait dire que c’est de la magie : pour les photographies qu’on connaît (et même les autres puisque les clichés originaux sont à la fin, mais c’est plus frappant pour ceux qu’on a déjà vus souvent), on a l’impression de les avoir toujours connues en couleur tant c’est naturel.

J’ai vraiment adoré me plonger dans ce livre et remonter le temps (l’ordre choisi pour les 130 photos est antichronologique), au fil des événements historiques, croiser des personnages connus et des lieux qui ont bien changé : un voyage qui ravira les amateurs d’histoire et/ou de photographie (c’est bientôt Noël), et un livre de table basse absolument parfait !

Quand le passé reprend vie en couleurs. Photographies colorisées du monde de 1839 à 1949
Wolfgang WILD et Jordan LLOYD
Glénat, 2020

L’Art de la joie, de Goliarda Sapienza : l’effort solitaire d’être différent

Comment rendre cet après-midi d’été étendue sur le roc, effleurée par les dernières caresses du soleil qui tombe ? Comment redire la joie de cette découverte ? Comment la raconter aux autres ? Comment communiquer le bonheur de chaque acte simple, de chaque pas, de chaque rencontre nouvelle… de visages, de livres, de crépuscules et d’aubes et d’après-midi du dimanche sur les plages ensoleillées ? […] S’arrêter là, dans cette plénitude de joie des sens et de l’esprit, et retenir ainsi pour toujours en moi, en vous, les dix plus belles années de la vie.

Nous repartons en Sicile, avec ce roman dont le titre, si conforme à ma propre éthique de vie, m’attirait beaucoup. Mais bizarrement, cela faisait de longues semaines que je l’avais acheté, sans pour autant me jeter à l’eau, pas seulement à cause de son volume (c’est un cube, et honnêtement il n’est pas facile à manipuler pour cette raison) : quelque chose me retenait, et même pendant le confinement, que je faisais un peu les fonds de bibliothèque et que je ne manquais pas de temps, il ne me tentait pas. Et puis là, l’autre jour, j’ai eu l’impulsion. Enfin.

Née avec le siècle, le 1er janvier 1900, ce qui facilite le calcul de son âge, Modesta a un destin hors-normes : née dans une famille très pauvre et bien vite orpheline, elle est élevée dans un couvent où on prévoit qu’elle prendra le voile, mais elle devient princesse, intellectuelle et femme totalement libre.

Alors, pour tout dire j’ai eu beaucoup de mal avec ce roman, que j’ai trouvé interminable et cru ne jamais finir. Ce qui m’a posé problème, dans les faits, ce n’est pas la longueur en elle-même que les longueurs, et cette impression de lire un premier jet et non un roman abouti et terminé : il y a des pages absolument sublimes, belles à pleurer, sur la liberté, celle de Modesta, âme libre de poète dans un corps libre de femme sauvage qui recherche toujours la joie, le plaisir, les sensations, la dimension charnelle et sensuelle du monde, et ce dans une société patriarcale et misogyne, écrasée par la religion, et ce côté-là m’a émerveillée. Mais il y a aussi des passages plats, qui ressemblent à un brouillon au point que je ne comprenais strictement rien de ce qui se passait, des personnages qui débarquent sans crier gare et des incohérences : à plusieurs reprises, je suis sûre que des personnages réapparaissent alors qu’on nous avait annoncé leur mort. Sans compter que certaines façons d’agir de Modesta m’ont laissée un peu perplexe, et j’ai souvent eu du mal à la comprendre…

Me voilà donc bien ennuyée avec ce monument de la littérature italienne, qui m’a par certains côté rappelé Le Guépard de Lampedusa, dont le propos sur cette éthique de la joie, ce bonheur intérieur construit par soi-même, cette affirmation de la liberté intérieure qui s’affranchit des rigueurs sociales m’ont ravie, mais qui aurait mérité d’être un peu retravaillé.

L’Art de la joie
Goliarda SAPIENZA
Traduction de Nathalie Castagné
Le Tripode, 2016

Troie ou la trahison des dieux, de Marion Zimmer Bradley : la fin d’un monde

Je savais bien que tu ne pouvais pas comprendre, interrompit la vieille femme. Sache d’abord qu’à l’origine il n’existait aucun roi dans ce pays, mais seulement des reines, fille des Déesses, qui choisissaient elles-mêmes le compagnon qu’elles souhaitaient et régnaient sans partage. Les adorateurs des Dieux de l’Olympe, des hommes armés d’épées de fer, sont venus plus tard s’installer chez nous. Dès lors, quand une reine a désigné l’un d’eux pour devenir son compagnon, il s’est aussitôt proclamé roi en exigeant le droit de régner. C’est ainsi que Dieux et Déesses sont entrés en conflit. Et puis, un jour, Troie est devenue le théâtre de leurs querelles…

Comme beaucoup, j’ai découvert Marion Zimmer Bradley lorsque j’étais adolescente, avec le cycle d’Avalon que j’ai lu plusieurs fois. Bon, j’ai appris depuis que la version française était plus une adaptation qu’une traduction, il faudra donc que je retravaille la question (j’ai aussi appris des choses pas très glorieuses sur l’auteure, mais ce n’est pas le sujet). Bizarrement, je n’ai rien lu d’autre, à part Glenravenne et peut-être ce roman, qui jouit d’une nouvelle édition : j’étais certaine de ne jamais l’avoir lu, et pourtant j’ai eu de curieuses réminiscences. Le mystère demeure.

Alors l’histoire de la guerre de Troie, on la connaît. Ou plutôt, on croit la connaître : les épopées, écrites par des hommes, ne sont peut-être que des mensonges et il faut, dans cette histoire qui voit basculer le destin d’une cité, des femmes, et peut-être de l’humanité, redonner leur place à celles qui en sont les principales héroïnes. Raconter la guerre de Troie, à travers le regard de Cassandre.

J’ai retrouvé dans ce roman ce qui m’avait séduite adolescente, époque à laquelle je m’intéressais déjà (mais sans le formuler aussi clairement) au féminin sacré et aux cultes de la Grande Déesse, cette idée que le véritable rôle des femmes a été minimisé dans l’histoire écrite par les hommes ; d’ailleurs, on retrouve sous la plume de Marion Zimmer Bradley des similitudes avec les travaux de Merlin Stone ou Layne Redmond. Car c’est bien à un basculement que l’on assiste ici, le combat épique entre la puissance féminine et la puissance masculine, entre la Grande Déesse mère et les dieux masculin. L’Amour, Aphrodite, et la guerre, la destruction, Arès même s’il n’est pas nommé, Zeus, Poséidon. Quant à Cassandre, prêtresse de la Déesse Mère et du dieu solaire Apollon, un peu sorcière, prophétesse que personne ne croit, c’est un personnage absolument magnifique. Du reste, dans ce roman, les personnages féminins sont grands, et les hommes (sauf Enée) petits. Même s’ils gagnent.

Evidemment, on n’est pas obligé de tout analyser comme moi : cela reste un roman passionnant, une épopée, qui se lit avec beaucoup de plaisir même si on connaît plus ou moins la fin.

Troie ou la trahison des dieux
Marion ZIMMER BRADLEY
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hubert Tezenas
Pygmalion, 1989, rééd. 2020

La sorcière, de Jules Michelet : le souffle de la révolte

A son apparition, la Sorcière n’a ni père, ni mère, ni fils, ni époux, ni famille. C’est un monstre, un aérolithe, venu on ne sait d’où. Qui oserait, grand Dieu ! en approcher ? 
Où est-elle ? aux lieux impossibles, dans la forêt des ronces, sur la lande, où l’épine, le chardon emmêlés, ne permettent pas le passage. La nuit, sous quelque vieux dolmen. Si on l’y trouve, elle est encore isolée par l’horreur commune ; elle a autour comme un cercle de feu.
Qui le croira pourtant ? C’est une femme encore. Même cette vie terrible presse et tend son ressort de femme, l’électricité féminine. 

Il y a quelque temps, je disais que savoir qu’un jour j’écrirais sur les sorcières ; je pensais plutôt à un livre (un essai), et surtout que ça ne serait pas pour tout de suite. Et voilà qu’un colloque est organisé sur le sujet à Orléans, et que j’ai l’occasion de faire une proposition de communication. Qui ne sera peut-être pas acceptée, d’autant que je suis un peu rouillée à ce niveau, mais enfin j’y travaille, c’est amusant d’ailleurs pour moi de replonger dans ce type de travaux que je n’ai pas effectués depuis plus de 10 ans, et je me suis dit que me plonger enfin dans cet ouvrage fondateur n’était pas superflu. Enfin, parce que je l’ai acheté il y a de nombreuses années mais j’ai toujours tourné autour sans oser m’y lancer, et c’est désormais chose faite.

L’hypothèse de Michelet dans cet essai est que la sorcière est un type féminin : elle s’incarne dans des figures diverses, et il envisage sa naissance au Moyen-Age comme une révolte contre le désespoir du peuple et des femmes accablés par l’Eglise et les seigneurs. D’où date la Sorcière ? Je dis sans hésiter : « Des temps du désespoir. » La sorcière est le crime de l’Eglise (ce parti pris sera reproché à l’auteur, on s’en doute). Car, là où l’Eglise n’offre aucun espoir terrestre mais seulement un illusoire paradis après les souffrances épouvantable de la vie, la sorcière propose médecine, secours, et incarne cette pulsion de vie que la religion cherche tant à éradiquer. Le premier livre est donc consacré à cette histoire de l’avènement de la sorcière. La deuxième quant à elle s’intéresse à quelques grands procès et aux crimes de l’Inquisition.

Éminemment romantique, à la fois épique et lyrique, cet essai est habité par un souffle qu’on croirait parfois hugolien : révolté, Michelet se révèle extrêmement moderne, car que fait-il d’autre, finalement, que réhabiliter la sorcière et d’ouvrir la voie à sa résurrection comme figure féministe ?

D’un point de vue historique, on sait aujourd’hui qu’il y a des erreurs factuelles, notamment d’époque ;  d’un point de vue littéraire, c’est magnifique, extrêmement bien écrit ; d’un point de vue humain, c’est étonnant. J’avoue néanmoins que la première partie m’a davantage intéressée, mais l’ensemble est à lire pour tous ceux qui sont curieux du sujet !

La Sorcière
Jules MICHELET
1862 (GF, 1966)

La Femme-Tambour, de Layne Redmond : le rythme du monde

La Femme-Tambour raconte l’histoire d’un pan de l’héritage spirituel féminin enfoui et oublié. Nous y découvrons un instrument rituel qui a retenti des grottes sacrées de l’ancienne Europe jusqu’aux cultes à mystères romains. Nous apprenons comment l’Occident, en bannissant les percussions féminines de la vie religieuse, est parvenu à dépouiller la femme de son pouvoir. Nous verrons enfin comment le tambour sur cadre est en train de redevenir l’outil de guérison et de transformation individuelle et culturelle qu’il était à l’origine. 

Cela faisait des semaines que j’avais envie de m’acheter un tambourin, en tout cas que j’y pensais : j’imaginais (et c’est une hypothèse qui n’en exclut pas d’autres) qu’après le dessin et la peinture, la mosaïque et la « sculpture » en pâte auto-durcissante, j’avais besoin de franchir une étape de plus dans l’ancrage, et d’une activité créatrice mettant encore plus en jeu le corps. Aussi, lorsque dernièrement je suis allée dans une grande enseigne culturelle pour faire le plein de matériel de dessin, j’ai aussi embarqué un tambourin (pour enfants). Et bim ! Quelques jours plus tard, à ma plus grande surprise, j’apprends sur Instagram la sortie de ce livre datant de 1997 et enfin traduit en français, une référence (mais qui m’avait échappé malgré la longue bibliographie d’ouvrages non traduits sur le sujet que j’ai lus pour ma thèse) qui aborde le thème du féminin sacré sous l’angle de la musique rythmique et du tambour sur cadre, famille dont fait partie mon tambourin (que j’ai du coup, sur une impulsion, repeint en rouge, pour une raison qui est dans le livre). La vie n’est-t-elle pas absolument fascinante ?

Le fait est que dès que j’ai tenu le livre dans mes mains (un jour comme par hasard qui s’était déjà distingué par d’importantes découvertes sur mon cheminement personnel) ça s’est mis à vibrer de l’intuition profonde (qui s’est vérifiée) que cet essai allait m’apporter beaucoup.

Dans cet essai, remarquablement préfacé par Camille Sfez, Layne Redmond s’intéresse à ce qui n’est guère abordé dans les essais sur le féminin sacré comme ceux de Merlin Stone ou Marija Gimbutas, entre autres : la vie des prêtresses sacrées de la Déesse au son du tambourin. Elle revient donc d’abord sur cette Déesse Mère primordiale et protéiforme et à son culte, des rituels fondés sur la musique rythmique célébrant l’énergie de vie. Puis vient le temps du déséquilibre et de la séparation avec les religions monothéistes patriarcales, qui condamnent à peu près tout. Aujourd’hui, avec l’effondrement des structures sociales et religieuses, on assiste à un retour et une affirmation de la puissance féminine, et des musiques rythmique.

Un essai qui n’est pas très long mais qui m’a fait l’effet d’une secousse sismique de forte magnitude tant il m’a permis de rassembler des idées éparses qui flottaient dans mon esprit. Il complète parfaitement les autres ouvrages sur le sujet (ou les introduit, c’est selon) en adoptant un angle précis qui loin d’être restrictif permet au contraire d’élargir la vision. C’est donc absolument passionnant, et surtout, j’ai acquis la conviction, au fur et à mesure que je prenais de multiples notes et que jaillissaient tant d’idées que je crois bien tenir un projet de livre, que je n’avais peut-être pas fait ma thèse pour rien, finalement, et qu’elle était la première pierre d’autre chose. Mais ça, c’est une autre histoire…

En tout cas, voilà un essai passionnant, inspirant, enrichissant, que je vous conseille vraiment, et qui sera parfait sous le sapin (avec ou sans tambourin) !

La Femme-Tambour
Layne REDMOND
Traduit de l’anglais et illustré par Marie Ollier
Leduc.s, 2019

La Symphonie du nouveau monde, de Lenka Horňáková-Civade : les justes

Les filles, les femmes, elles font aussi la guerre. A chacun la sienne. Je me demande si ce n’est pas plus facile pour nous. On nous met dans une tranchée, on nous dit d’avancer, de reculer, on nous indique où tirer. Et nous, on tire et on meurt. On devient des héros. Les femmes, elles, elles meurent plusieurs fois, pour le père, le mari, le frère, le fils. C’est héroïque. Je suis content d’avoir une fille. 

Lenka Horňáková-Civade est une autrice que je suis depuis son premier roman, Giboulées de soleil, et c’est un plaisir de la retrouver en cette rentrée littéraire avec son troisième, dans lequel elle poursuit l’exploration de l’histoire de son pays, lorsqu’il s’appelait encore la Tchécoslovaquie.

1938. La jeune Tchécoslovaquie fête ses 20 ans lorsqu’elle est trahie par les accords de Munich et que l’inexorable marche à la guerre commence et que l’Europe plonge dans la tourmente. Vladimir, consul à Marseille, se bat pour sauver autant de gens qu’il peut dans le vide juridique que propose la situation. Son chemin croise celui de Bojena, qui a quitté Prague avec son mari et compte rejoindre son frère aux Etats-Unis, après avoir naissance à un enfant qui n’est pourtant pas Josefa, la petite fille qui l’accompagne…

Je résume la trame principale, mais en réalité le roman, beaucoup plus complexe, superpose plusieurs temporalités. Et c’est une nouvelle fois un magnifique roman, bouleversant et d’une délicatesse infinie sur l’errance, le déracinement, et ces héros du quotidien qui se sont battus contre l’innommable et que l’histoire n’a pourtant pas toujours retenus : Vladimír Vochoč, personnage réel, a ainsi permis a des centaines de personnes de fuir la menace nazie en leur délivrant un passeport Tchécoslovaque, et ce pendant presque un an : il a obtenu la distinction de  « Juste parmi les Nations » en 2016, à titre posthume. Et pourtant, qui le connaît ? Pas moi, et j’ai été ravie de rencontrer un homme tel que lui. Quant à Bojena, c’est un magnifique personnage de femme, lumineuse et courageuse, qui irradie tout le roman.

Bref : un très beau roman, d’une poésie rare, à ne pas manquer !

La Symphonie du Nouveau Monde
Lenka Horňáková-Civade
Alma, 2019

1% Rentrée Littéraire 2019 – 2/6
By Hérisson

Homo deus, une brève histoire du futur de Yuval Noah Harari : la fin de l’humanité ?

Au fil des millénaires, l’histoire a été riche en bouleversements techniques, économiques, sociaux et politiques. La seule constante a été l’humanité elle-même. Nos outils et institutions sont très différents de ceux des temps bibliques, mais les structures profondes de l’esprit humain restent les mêmes. C’est bien pourquoi nous pouvons encore nous reconnaître dans les pages de la Bible, dans les écrits de Confucius ou dans les tragédies de Sophocle et d’Euripide. Ces classiques sont l’oeuvre d’hommes exactement pareils à nous, d’où notre sentiment qu’ils parlent de nous. Dans le théâtre moderne, Oedipe, Hamlet et Othello peuvent bien porter des jeans et des T-shirts et avoir des comptes Facebook, leurs dilemmes sont les mêmes que dans la pièces originale.

L’autre jour en finissant de lire Le matin des magiciensje me suis souvenu qu’après ma lecture de Sapiensj’avais acheté Homo Deus et qui m’attendait toujours quelque part. Il y a un lien, puisqu’à la fin de son essai Pauwels imagine une nouvelle humanité qui exploiterait pleinement son potentiel de conscience, et que Harari réfléchit aussi au (possible) futur de l’humanité. Je me suis donc lancée dans cette lecture.

Le point de départ de cet essai est le constat que, bon an mal an, les choses ne vont pas si mal que ça sur bien des points, et qu’on ne meurt plus que peu (à l’échelle globale) de la guerre, des épidémies ou de la famine : même si ces problèmes ne sont pas totalement réglés bien sûr, le fait est qu’aujourd’hui on meurt plus de maladies liées à la sur-alimentation et de suicide. Partant de là, Harari s’interroge sur les futurs défis de l’humanité : le défi écologique bien sûr, mais surtout le défi ontologique qui consistera à triompher de la vieillesse et de la mort et de promettre le bonheur à tous. Ce sera faire de l’homme une divinité, homo deus, qui prendra la place d’homo sapiens. C’est en tout cas le plus probable compte tenu du présent, mais cela pourrait bien mener à une destruction pure et simple de l’être humain. Harari se penche donc d’abord sur ce qu’est l’être humain et sa place dans le monde ; ensuite, il s’interroge sur la manière dont il façonne ce monde, et la religion de l’humanisme ; enfin, il envisage comment il pourrait bien perdre le contrôle.

Un essai qui s’avère absolument passionnant sur bien des points : ses analyses sur la fiction (au sens large) et les liens intersubjectifs, l’opposition entre religion et spiritualité (La quête s’ouvre par une grande question du style : qui suis-je ? Quel est le sens de la vie ? Qu’est-ce qui est bien ? Alors que la plupart des gens se contentent d’accepter les réponses toutes faites des pouvoirs en place (la religion au sens large, NDLR), les personnes en quête de spiritualité ne sont pas aussi facilement satisfaites. Elles sont décidées à suivre la grande question où qu’elle les mène, et pas simplement aux endroits qu’elles connaissent bien ou souhaitent visiter : cette opposition n’est pas nouvelle, mais je trouve que c’est très clairement exprimé), l’humanisme, les différents états de conscience.

Le problème, outre que l’ensemble est assez déprimant, surtout la fin qui donne envie d’aller vivre sur une île déserte tant cela ressemble à une dystopie à la Black Mirrorc’est que je trouve qu’Harari reste trop souvent prisonnier du dualisme et du biais de confirmation scientifique « si l’existence de quelque chose n’est pas prouvée, ça n’existe pas » : du coup, je me suis souvent retrouvée en désaccord « philosophique » avec certains de ses présupposés, qui ne sont finalement que des pétitions de principe. Selon moi par exemple, l’homme a bien une conscience individuelle, et il ne se résume pas à un algorithme ; d’autant que les algorithme, il faut arrêter d’en faire une nouvelle religion : l’idée est que finalement ils nous connaissent mieux que nous même et, à terme, feront les choix à notre place. Alors d’abord c’est loin d’être au point : l’autre jour je suis allée voir ce que l’algorithme d’Instagram estimait être mes centres d’intérêt, je crois que j’ai eu le plus gros fou-rire de ma semaine : entre les vêtements pour aller à la pêche, des célébrités dont je n’avais jamais entendu parler et le hockey sur glace, on était loin d’être dans la justesse. En outre, ne vous moquez pas mais je suis sûre que quelque chose échappera toujours aux algorithmes : l’amour ; les algorithmes pourront nous dire quelle personne est la mieux pour nous (c’est ce que font les applications de rencontre), mais certainement pas celle dont on tombera amoureux. Et c’est ce qui nous sauvera !

Bref, une réflexion sur l’humain qui, malgré mes désaccords, m’a profondément intéressée, notamment parce qu’il propose beaucoup de pistes de réflexion !

Homo deus. Une brève histoire du futur
Yuval Noah HARARI
Traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat
Albin Michel, 2017