Love Warrior, de Glennon Doyle : le voyage du guerrier

Mais aujourd’hui, je me demande si l’amour, au lieu d’être un sentiment, n’est pas un lieu partagé par deux personnes. Un endroit sacré qui se crée lorsque deux êtres s’estiment suffisamment en sécurité pour laisser leurs véritables natures faire surface et se toucher. L’amour serait donc un lieu où on peut se rendre ? J’aurais alors été incapable de saisir ce concept, car je le faisais avec mon esprit planant dans les hauteurs et que l’amour ne peut être compris de cette façon ? Ne peut-on comprendre l’amour qu’en se rendant sur place ? Surplomber la vie de haut et plonger — c’est-à-dire penser, admirer et analyser l’amour de loin — a peut-être un prix : je ne peux pas tomber amoureuse. Car je ne me déplace pas jusqu’à l’amour. Je reste à l’écart. J’ai plus ou moins décidé qu’en n’étant pas vraiment présente je ne risquais pas d’être blessée par autrui. Mais peut-être ne puis-je pas davantage être aimée ? Mon corps est peut-être l’unique vaisseau à même de me conduire jusqu’à l’amour.

J’avais été enchantée par ma découverte de Glennon Doyle et de son magnifique texte Indomptée. J’étais donc ravie que soit enfin traduit un autre de ses textes, qui, dans les faits, est paru quelques années avant  — et que, dans la logique, il faudrait lire celui-ci en premier, puisque l’autrice y commence un long chemin vers soi, grâce à l’amour, mais qu’il n’est pas terminé.

Dans ce texte, qui appartient au genre du memoir, Glennon Doyle raconte comment elle est devenue une guerrière de l’amour, et ce grâce à la crise qu’elle a traversée dans son mariage avec Craig, crise engendrée par les infidélités de son mari, mais dont les racines sont beaucoup plus profondes et anciennes. Ici, le couple constitue un creuset de transformation et de développement des deux individus, et l’amour est un engagement actif.

Le point aveugle étant que l’ouvrage est paru en 2016, et que depuis, le chemin s’est poursuivi, et que ce qu’on pourrait croire un dénouement n’en est finalement pas un. Mais on va faire comme si.

Ce texte m’a littéralement bouleversée, tant il a résonné intimement avec mes propres réflexions. Il est de prime abord très dur et sombre : Glennon Doyle y aborde sans fard toute la haine et la trahison de soi que l’on peut parfois opérer pour cacher ses failles et jouer un rôle, celui que la société attend de nous, et qui se manifeste chez elle en se coupant totalement de son corps : boulimie, alcoolisme, sexe « automatique », elle vit toute une partie de sa vie en se cachant derrière ce qu’elle appelle sa « représentante », ce que l’on appelle souvent le « faux self ». Celui qui agit à l’extérieur et protège notre vrai moi, authentique mais vulnérable.

Plongée dans l’ombre, nécessaire pour arriver dans sa lumière. Il s’agit donc, ici, d’un véritable voyage vers soi. Retourner aux fondations, tout détruire pour reconstruire solidement, intégrer ses ombres et congédier le représentant. Cela passe par l’écriture, mais avec cette idée que si celle-ci nous aide à être authentique, elle est aussi une manière de parfois se couper de soi : Une écrivaine est pareille à un hélicoptère : elle décrit des cercles autour de l’expérience humaine, plutôt que de vraiment la vivre, et ce à une distance éliminant tout risque.

Cela passe par le corps. Etre pleinement dans son corps, dans ses émotions. Manger, et savourer. Faire l’amour parce qu’on le désire vraiment.

Cela passe par l’acceptation de la souffrance, parce qu’elle fait partie de la vie, et que vouloir échapper à cette souffrance, c’est renoncer à vivre pleinement.

Et devenir une guerrière de l’amour. Je connais désormais mon nom : la guerrière de l’amour. Je suis issue de l’amour, je suis l’amour et je retournerai à l’amour. L’amour bannit la peur. Une femme ayant retrouvé sa véritable identité de guerrière de l’amour est la force la plus puissante de cette planète.

Bref : un texte bouleversant et inspirant sur un sujet absolument essentiel, l’amour comme force qui nous transforme !

Love Warrior
Glennon DOYLE (2016)
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Betsch
Leduc, 2022

Indomptée, de Glennon Doyle : une femme sauvage

Chacun de nous est né pour donner au monde quelque chose qui n’a encore jamais existé : une façon d’être, une famille, une idée, un art, une communauté — quelque chose de nouveau. Nous sommes ici pour nous exprimer pleinement, nous imposer et imposer nos idées, nos pensées et nos rêves, changer le monde pour toujours par ce que nous sommes et ce que nous puisons dans notre intériorité. Nous ne pouvons donc pas nous contorsionner pour essayer de loger dans cet ordre visible étroit. Il nous faut nous libérer pour voir ce monde se réorganiser sous nos yeux.

Glennon Doyle est une autrice très connue aux Etats-Unis et bizarrement pas du tout en France, où ses livres ne sont pas traduits à l’exception de son dernier, qui vient de sortir, et c’est donc avec beaucoup de curiosité que je l’ai découverte, ses réflexions et ses sujets étant aussi les miens.

Indomptée appartient à un genre qu’on ne trouve plus tellement en France alors que c’est finalement Montaigne qui l’a inventé : les Américains appellent ça memoir ou parfois essays (au pluriel) : un texte où se côtoient expérience personnelle de l’auteur et réflexion générale. Ici, Glennon Doyle explore son chemin de libération, raconte comment elle s’est laissé mettre en cage par la société qui voulait qu’elle soit une gentille petite fille, comment elle s’est libérée et a affirmé son pouvoir en ressentant, en écoutant sa voix intérieure, en osant imaginer, en n’ayant pas peur de détruire pour construire. Tout cela, grâce à l’amour.

Bien sûr, tout cela n’a pas manqué de me faire penser à Femmes qui courent avec les loups ; et aussi à Elizabeth Gilbert, j’ai tout de suite senti la connexion entre les deux, et, de fait, on apprend au bout de quelques chapitres qu’elles sont amies. En tout cas, j’ai trouvé ce texte extrêmement inspirant : Glennon Doyle avec sincérité et authenticité des sujets difficiles comme la boulimie, l’alcoolisme, la « fake life », le fait de s’empêcher de vivre pour se mettre à l’abri de la souffrance, sur la manière dont les émotions nous parlent, sur l’éducation. Et surtout sur l’amour comme force de transformation et de libération : il y a vraiment des pages sublimes sur la manière dont l’amour nous construit. Après je suis en désaccord sur certains points (et un point en particulier), mais c’est le jeu !

Bref : une lecture inspirante, qui m’a beaucoup nourrie !

Indomptée
Glennon DOYLE
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Delphine Billaut
Leduc, 2021