La lumière est à moi et autres nouvelles, de Gilles Paris : quitter l’enfance

Quelques minutes d’éternité entre ses bras, avant de voir l’intensité du bleu. La lumière est brûlante sur ce rocher. Rien ne sera plus comme avant. Je le sais. Un instant suspendu à côté de lui, à humer ce monde que je ne connais pas encore. Je ressens la chaleur des rayons de soleil en cette fin de journée, comme la caresse d’une vie qui s’offre à moi. Mon passé défile dans ma tête comme un tourbillon. Mais je ne doute plus de moi. Aujourd’hui je suis montée sur ce rocher, avec lui, forte et fragile à la fois.

Quel plaisir de retrouver Gilles Paris et son talent incomparable pour dire l’enfance, avec ce recueil de nouvelles.

Brune et Anton, qui vivent la même histoire mais nous la racontent chacun de son point de vue. Ambre, qui vit seul avec sa mère. Anna, qui tombe amoureuse. Benji, dont la grand-mère n’aime personne. Un ado fasciné par son oncle. Un enfant perdu. Christie, qui s’attache curieusement à Julian. Alice, qui n’a pas connu sa mère. Lucie, qui attend le retour de son père disparu en mer. Aaron, fils d’un funambule musicien. Une veille de Noël. Ruth, qui voit le monde pour la première fois. Tom, qui pense à son frère qui n’a pas vécu. Rose, qui déteste son prénom. Ethel, qui veut retrouver son frère. Un petit garçon atteint de parasomnie. Lior, dont le prénom signifie « la lumière est à moi ».

Tous les personnages de ces nouvelles empreintes de sensualité et de mélancolie sont au seuil, passage entre le monde de l’enfance et celui des adultes : histoires tristes, étranges, douloureuses, habitées par la perte et le manque — d’une mère, d’un père, d’un frère, d’une sœur. Histoires d’amour ou histoires de familles restituées avec la naïveté et la profondeur , la véracité d’une voix : encore une fois l’auteur nous prouve combien il est doué pour faire parler les enfants.

Toutes ces nouvelles sont différentes, et pourtant elles sont reliées par des fils rouges : la mer, présence symbolique et obsédante ; et la lumière, qui éblouit à travers les larmes. Un très beau recueil donc, qui n’est pas toujours très gai, mais qui a la beauté des soleils noirs !

La Lumière est à moi et autres nouvelles
Gilles PARIS
Gallimard, collection « Haute enfance », 2018

1% Rentrée littéraire 2018 – 22/6

Le Vertige des falaises, de Gilles Paris

Le Vertige des falaises, de Gilles ParisChez les Mortemer, on garde ses émotions pour soi. Elle vient d’attraper mes doigts, sans s’y accrocher cette fois, comme lors de nos promenades le long des falaises. On remonte lentement l’allée du cimetière, la maison des morts avec toutes ces tombes grisâtres où on été ensevelis des hommes, des femmes et des enfants que je n’ai pas connus et pour lesquels je ne ressens absolument rien. Tout comme avec grand-père et papa. J’ai mes raisons. Olivia s’appuie sur mon épaule et fait peser son grand âge. En un an elle a perdu un mari et un fils. Je serais presque heureuse de rentrer à la maison si maman n’était pas si malade. On n’a pas besoin des hommes. Ils n’apportent que du malheur.

Le dernier roman de Gilles Paris. A priori, pas celui dont il m’avait brièvement parlé lorsque nous nous étions rencontrés il y a 3 ans. Mais comme on le sait, un écrivain ne fait pas toujours ce qu’il veut avec ses histoires…

Marnie est une adolescente spéciale : solitaire et contemplative, elle vit avec sa mère et sa grand-mère dans une maison toute de verre et d’acier sur une petite île appartement presque entièrement à sa famille. Son île, elle ne veut pas la quitter : le Continent ne l’attire pas, elle ce qu’elle aime ce sont les falaises. Par contre, elle déteste les hommes : son père, son grand-père, et elle n’a pas hésité à planter un compas dans le ventre d’un de ses camarades d’école. Elle a des raisons pour haïr les hommes. Des secrets de famille. Mais Marnie sait-elle toute la vérité ? Marnie dit-elle toute la vérité ?

Dans ce huis-clos insulaire à l’ambiance pesante, épaisse, pour tout dire assez anxiogène, les voix narratives se mêlent, alternent, en une chorale qui constitue les pièces d’un puzzle qui s’assemble petit à petit sous nos yeux. Marnie essentiellement, mais aussi Olivia, Géraud, Agatha, Vincy, d’autres très ponctuels : chaque point de vue, chaque regard est ici important pour que la Vérité se révèle. Et c’est une vérité violente, qui fait mal. Les hommes n’ont pas le beau rôle, la plupart du temps, sauf lorsqu’ils son adolescents et peuvent espérer apporter un peu de lumière dans le chaos.

Un très beau roman encore une fois, dont l’ambiance n’est pas sans rappeler ceux de Daphné du Maurier : la grande maison solitaire, dont la transparence absolue n’est qu’un mirage, le mystère qui plane sur chaque page, et une certaine lumière, aussi, finalement…

Le Vertige des Falaises
Gilles PARIS
Plon, 2017

Ma vie de Cougette, de Claude Barras

Ma vie de courgetteOn ne compte plus les récompenses et nominations obtenues par ce petit film d’animation sorti en octobre. Et, si je n’ai pas lu le roman de Gilles Paris dont il est une libre adaptation, j’aime particulièrement l’univers tendre de l’auteur, et j’attendais donc avec impatience qu’il soit enfin disponible en VOD.

Icare dit Courgette a 9 ans. Sa vie bascule lorsqu’il perd sa mère, alcoolique et violente ; quant à son père, il est depuis longtemps parti avec « une poule ». Courgette se retrouve donc au foyer des Fontaines où, après des débuts un peu difficiles, il se trouve une nouvelle famille : la directrice, Mme Papineau, les éducateurs Rosy et monsieur Paul, et les autres enfants qui ont tous une histoire tragique, Simon, Ahmed, Jujube, Béatrice, Alice. Il y a aussi Raymond, le policier qui s’est occupé de lui et qui lui rend visite. Et bientôt arrive Camille, dont il tombe amoureux.

Un film résolument bouleversant et dans lequel on reconnaît l’univers tendre de Gilles Paris et sa capacité absolue à saisir l’âme des enfants. La grande réussite de ce film est d’arriver à se mettre à leur hauteur et de parvenir à dégager une certaine naïveté, une candeur qui contrebalance les histoires effroyables dont ils sont les victimes innocentes : Courgette dessine son papa avec une poule (une vraie, qui pond des oeufs, parce qu’il n’a pas compris les remarques de sa mère), ils se posent des questions sur l’amour et la sexualité. Cela donne donc un film qui fait parfois pleurer, qui émeut toujours, et qui fait à l’occasion sourire, aussi : une belle histoire d’optimisme, de résilience, avec des enfants blessés mais qui parviennent à retrouver foi en leur vie grâce à l’affection qu’ils se portent les uns aux autres et aux adultes qui font tout pour leur offrir une vie meilleure.

Un très très beau film, à voir absolument, avec vos enfants si vous en avez !

Ma vie de Courgette
Claude BARRAS
D’après Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris
2016

Entretien avec… Gilles Paris

Gilles ParisSamedi dernier, Gilles Paris était à la librairie Passion Culture d’Orléans, pour faire la promotion de son joli roman L’été des luciolesJ’en ai profité pour le questionner un peu…

Les narrateurs de tes romans sont des enfants. Pourquoi ce choix ?

Le prochain sera aussi un enfant, un petit Maxime de 9 ans. C’est un âge où on ne juge pas, où on essaye de comprendre : pour moi, c’est la définition même de la tolérance. Après, plus on grandit et plus on a un avis tranché et hâtif. Si seulement on pouvait garder cette fraîcheur, ce naturel en grandissant… j’ai envie de revenir vers ça, de dédramatiser les conflits, la maladie, la mort, les situations difficiles. Je suis quelqu’un de très pudique au fond, et il est très difficile pour moi de parler de choses personnelles, de ma vie privée. Je ne suis pas pour l’autofiction. J’ai commencé à écrire à 12 ans, et je m’abrite derrière l’enfant pour parler de sujets qui me tiennent à cœur.

C’est très difficile de se mettre dans la tête d’un enfant, de parler comme lui. Comment travailles-tu ?

En fait, ce serait écrire comme un adulte qui serait très difficile pour moi. J’écris vite, et je passe ensuite beaucoup de temps à retravailler. Le plus difficile en réalité, ce ne sont pas les mots ou le vocabulaire, mais la manière de réagir, d’autant que les enfants évoluent beaucoup. Je passe beaucoup de temps avec les enfants, pour savoir comment ils réagiraient. La langue elle-même, je la maîtrise à force de travail. Il y a des choses que je m’interdis d’utiliser, comme les grossièretés.

La maman de Victor tient un blog. Quel est ton regard sur les blogs de lecture ?

Lorsque j’ai créé mon agence en septembre 2006, j’ai très vite compris l’incidence des blogs sur la littérature. Les blogueurs exercent des métiers variés, pas forcément en lien avec la littérature, et ce sont donc des lecteurs qui parlent aux lecteurs, dans un contact direct. Ce n’est plus la presse que l’on reprend, mais les blogs, car les lecteurs ont tendance à avoir plus confiance. Et ils prolifèrent : aujourd’hui il y en aurait plus de 1200, c’est une véritable toile d’araignée ! Il faut aimer les blogs, et lire les commentaires, qui viennent souvent d’autres blogueurs d’ailleurs. Leur curiosité est insatiable, et ils ont une grande liberté dans leurs choix !

Est-ce que tu as des rituels d’écriture ?

Je peux écrire n’importe où, du moment que j’ai mon ordinateur, sur lequel j’ai écrit mes trois derniers romans et qui me sert de porte-bonheur. En écrivant, j’écoute de la musique, je fume comme un pompier et j’ai toujours à portée de main une bouteille d’eau et du chocolat noir. La musique est importante, car elle est une passerelle pour aller vers la littérature, la musique aide à ressentir les émotions. Après, quand je peux, j’aime écrire au bord de la mer, n’importe où mais de préférence loin et isolé. Là, je peux écrire très longtemps, à un rythme très soutenu que j’ai du mal à avoir à d’autres moments.

Quelle place tient la lecture dans ton quotidien ?

Je lis bien sûr les livres que je dois défendre, et j’ai un peu de mal à trouver du temps pour les autres. Mais j’achète beaucoup de livres sur les salons, et je mets à profit les périodes propices comme les vacances pour lire les auteurs amis ou à découvrir.

Tes derniers coups de cœur ?

Il y en a plusieurs : les nouvelles de Tatiana de Rosnay, qui m’ont beaucoup plu par leur manière de traiter les petites lâchetés du quotidien dans un livre qui reste léger et aérien. Un roman de la rentrée : Louise de Julie Goizet chez Leo Scheer, une histoire de famille qui n’est pas sans rappeler Françoise Sagan*. Et puis Mon amie américaine de Michèle Halberstadt chez Albin Michel, qui pose la question de savoir jusqu’où on est prêt à aller par amitié…

Merci Gilles !

* NDLR : nous reparlerons de ce roman en temps utiles

Au pays des kangourous

Sans titre

Ce matin, j’ai trouvé papa dans le lave-vaisselle.
En entrant dans la cuisine, j’ai vu le panier en plastique sur le sol, avec le reste de la vaisselle d’hier soir.
J’ai ouvert le lave-vaisselle, papa était dedans.

Je connaissais Gilles Paris de nom. Mais je n’avais rien lu de lui et je dois avouer que lorsque j’ai reçu la sélection du prix Confidentielles, ce roman ne m’inspirait pas plus que ça, raison pour laquelle je ne l’ai pas lu en priorité. Et bien, de fait, j’avais tort. Si si, je vous jure, c’est absolument incroyable, mais il m’arrive parfois (bien que très rarement) d’avoir tort.

Simon a neuf ans. C’est un petit garçon attachant qui vit l’essentiel du temps avec son père écrivain (mais qui ne publie pas sous son nom). Sa mère, dont il recherche désespérément l’attention, il ne la voit que très peu : sans cesse en voyage d’affaire au « pays des kangourous », elle semble fuir à la fois son mari, qui manque d’ambition, et son fils, qui la dérange et qu’elle chasse toujours d’un geste de la main comme on chasse un moustique. Un matin, Simon trouve son père dans le lave-vaisselle. Il appelle alors Lola, sa grand-mère, une femme fantasque et aimante…

Ce roman constitue donc une très très jolie surprise. J’ai été un petit peu déstabilisée au départ par l’écriture « enfantine », mais en fait, après un temps d’adaptation, on s’y fait très bien. Car comment ne pas s’attacher à ce petit bonhomme à la fois naïf et lucide, qui ne comprend pas vraiment le monde des adultes ? De fait, le tour de force de ce roman est d’arriver à être à la fois léger, plein d’humour, parfois fantasque et onirique (Simon rêve beaucoup, et raconte ses rêves), et extrêmement touchant, voire triste. Il aborde avec beaucoup de délicatesse des thèmes ô combien difficiles : la dépression d’un parent, la disparition de l’autre. Mon seul bémol concerne la petite Lily : on nous dit sur la quatrième de couverture qu’elle est autiste, mais ce n’est jamais dit dans le cours du roman, et franchement, vu la manière dont elle se comporte et sa manie d’apparaître et de disparaître, j’aurais plutôt pensé qu’il s’agissait d’un fantôme ou d’une chimère inventée par Simon. Ou alors, j’ai loupé un élément. Mais surtout, que ce bémol ne vous empêche pas de lire ce magnifique roman !

Lu par Sylire, Géraldine

Au pays des kangourous
Gilles PARIS
Don Quichotte, 2012