Lisbonne est une ville mythique, aussi mythique sinon davantage que Dublin et Prague. Ici, il n’y a pas que Joyce et Kafka. Il y a certes Pessoa. « Pessoa, toujours Pessoa, notre destinée », comme se lamentait gentiment José Cardoso Pires, dans une récente déclaration d’amour à sa ville d’adoption, intitulée Lisbonne. Livre de bord. Voix, regards, ressouvenances (1997). Mais il n’y a pas que Pessoa, comme il n’y a pas que Joyce et Kafka à Dublin et Prague. Ces dix dernières années, une pléthore d’écrivains a contribué à tracer de nouvelles lignes (de fuite), à parfaire le portrait de la ville. Lisbonne a quelque chose que les autres villes ne possèdent pas : elle est le début et la fin, l’alpha et l’oméga ; elle est au bout du monde et en son centre, elle est un cul-de-sac de l’Europe en équilibre sur trois continents. Cela n’a laissé personne indifférent. A commencer par Ulysse, Personne par excellence, et Pessoa, Personne par déférence. (Bertrand Westphal, « Pourquoi une géocritique de Lisbonne ? »)
Je continue sérieusement à préparer mon séjour lisboète (et comme vous pouvez le constater, j’ai déjà confectionné ma memory box), et j’ai poursuivi mes investigations littéraires par la relecture de cet ouvrage dont j’avais fait la recension dans une autre vie, ouvrage qui constitue les actes d’un colloque organisé conjointement par les universités de Lisbonne, Limoges et Clermont-Ferrand et qui porte sur la géocritique (lire là pour savoir ce que c’est).
Au fil des contributions, nous voilà plongés dans la légende de la fondation de Lisbonne par Ulysse (et oui !), le tremblement de terre de 1755, la peinture, la bande dessinée, le cinéma (Wim Wenders), le mythe de Sébastien, et l’écriture de Lisbonne chez toute une pléiade d’écrivains aussi divers que Larbaud, Soupault, Reda, Volodine, Baudelaire, Rolin, Torga, Mann, Muñoz Molina, Tabucchi, Saramago. Et bien sûr, Pessoa.
Evidemment, c’est un véritable plaisir intellectuel de se replonger dans des études universitaires pointues, a fortiori lorsqu’on connaît ceux qui les ont écrites (80% des contributeurs ont été soit mes profs, voire ont dirigé mes recherches, soit je les ai croisés à l’occasion d’un colloque ou un autre). Mais l’essentiel est surtout ici l’image littéraire et artistique qui est donnée de Lisbonne, image d’une ville ouverte sur l’ailleurs, ville qui se rêve avant de se voir, « fantasme de ville » comme le dit Alain Montandon, qui se démultiplie : fourmillante, sensuelle, lumineuse et colorée, c’est une ville palimpseste, saturée de signes et de sens.
Lisbonne, ville de papier, de textes, d’écrivains et de littérature : je n’ai pas fini de la rêver et de la fantasmer avant de pouvoir enfin me promener dans ses ruelles et pouvoir peut-être, moi-même, apporter ma petite pierre à cet édifice.
Lisbonne, géocritique d’une ville
Etudes réunies par Alain MONTANDON
Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2006