Je venais de comprendre ce qu’était Le Masque : une réunion publique de beaux parleurs, un concours d’éloquence, le mariage de l’Actors Studio et du grand oral de l’ENA, une pièce de théâtre où les qualités que l’on pouvait développer dans la presse écrite n’étaient jamais requises et où il fallait inventer son texte, son rôle, et surtout les tenir. Somme toute, une version moderne de la commedia dell’arte, dont l’essence est d’être improvisée sur une scène, face à un public, par des personnages masqués qui jouent la naïveté, l’ingéniosité, le dépit, la ruse, la colère ou l’émotion.
Le Masque et la Plume vient de fêter ses 60 ans. A cette occasion, une émission spéciale que je vous conseille vivement d’écouter si ce n’est déjà fait (elle donne la parole aux critiques mais aussi aux critiqués, et est émaillée d’extraits de grands moments ; France Inter a également mis en ligne quelques archives), mais aussi un livre écrit par Jérôme Garcin himself.
L’ouvrage prend la forme d’un abécédaire, de « Artisanat » à « zutistes » en passant par « Bastide (François-Régis) », « Dieux », « Instants Critiques », « Livres (la bande des) » ou encore « Méchanceté » et « Zeugma ».
Si l’ensemble est très personnel, car le point de vue assumé est celui de Garcin, auditeur pendant toute sa jeunesse avant de devenir lui-même critique et de finalement prendre les commandes de l’émission, c’est aussi très instructif justement parce que nous sont du coup révélées les arcanes de l’émission culte, sorte d’objet radiophonique non identifié dès sa création. Si nous reprochons souvent aux uns ou aux autres leur partialité, leur mauvaise foi, leur dilettantisme, le fait est que cet aspect est inscrit dans l’ADN du programme, et que s’ils étaient sérieux, on les aimerait moins. Ici on est dans le théâtre, dans la mise en scène, dans l’engueulade outrée (il y a notamment des émissions d’anthologie voyant s’affronter Bory et Charensol sur un film ou un autre, leurs échanges ayant inspiré à François Morel sa pièce Instants critiques : à côté, nos loustics actuels pourraient presque passer pour mesurés), dans la recherche du bon mot quitte à être injuste ou à cultiver l’art de parler d’un livre qu’on n’a pas lu en commentant la quatrième de couverture, le nom de l’auteur et le rabat. Au fil des mots, donc, Jérôme Garcin nous révèle les coulisses de l’émission, fait le portrait des chroniqueurs passés ou présents, nous livre d’amusantes ou touchantes anecdotes, un choix de répliques, quelques lettres d’auditeurs…
C’est vraiment passionnant, pour peu que l’on apprécie cette émission, que personnellement j’aime énormément pas tant pour ses conseils avisés (il y en a peu) que justement pour cet aspect théâtral et comique (je ne l’écoute d’ailleurs plus dans le train, j’en ai marre de passer pour une maboul : je l’écoute dans la voiture, comme ça je peux m’engueuler avec eux ; ceci dit, je passe quand même pour une maboul aux feux rouges). Après, il est vrai qu’un auteur m’a signalé l’autre jour que c’était tout de suite moins drôle quand ils parlaient de ton bouquin et qu’ils ne l’avaient visiblement pas lu, ce que je veux bien croire. Mais on les aime comme ils sont !
Nos dimanches soir
Jérôme Garcin
Grasset, 2015
En bonus : une de mes archives préférées, dans laquelle Charensol et Bory s’étripaillent sur L’Empire des sens et la distinction érotisme/pornographie (avec le fameux : quand on fait une fellation sur une cantate de Bach, c’est de l’érotisme)
Et puis, quand même, le mythique générique, La Fileuse de Mendelssohn par Barenboim :