Tu es une fille. Ce n’est pas un drame non plus, tu vois. Tu as les yeux bridés mais on n’est pas en Chine. On n’est pas en Inde. En Inde, « c’est une fille » est aujourd’hui une phrase interdite. Dire « c’est une fille » avant la naissance est passible de trois ans de prison et de dix mille roupies d’amende : on n’a plus le droit de demander ou de pratiquer une échographie pour voir le sexe de l’enfant et avorter en conséquence car trop de filles disparaissent ; à force de les étouffer dans l’œuf, il y a des villages entiers d’hommes célibataires. A force de liquider les filles, ils ne trouvent plus d’âmes sœurs. Avant l’invention de l’échographie, on les tuait à la naissance. Si tu étais née en Inde ou en Chine, tu serais peut-être morte. A Rouen tout va bien. On t’aime quand même.
Le nouveau roman de Camille Laurens, qui interroge ce que c’est qu’être « une fille », de la naissance à l’âge adulte, comment on se construit, tombe parfaitement bien par rapport à mes sujets de réflexion actuels (qui l’eût cru ?).
« C’est une fille ». Les premiers mots qu’elle entend, même si elle ne les retient pas. C’est même encore une fille, elle a une soeur aînée et ses parents auraient (comme tout le monde) préféré un garçon. Est-ce qu’elle sent leur déception, même s’ils disent qu’une fille, « c’est bien aussi » ? Peut-être. En tout cas, Laurence Barraqué est une fille, née et grandie à Rouen dans les années 60 : qu’est-ce que c’est, alors, être une fille ? Qu’est-ce que cela implique, comme expérience ?
Ce roman m’a à la fois passionnée et bouleversée. Camille Laurens entreprend ici de sonder le mystère de l’altérité, la différence/séparation des sexes, comment elle s’apprend dans l’enfance, comment on donne (comment on a longtemps donné) aux petites filles le sentiment de leur insuffisance : une fille c’est bien aussi, certes, mais enfin, un garçon, c’est mieux. Le début est assez drôle, touchant et naïf : Camille Laurens se met à hauteur d’enfant pour ses observations, et cela fait souvent sourire. Pas longtemps : les expériences qui suivent sont empreintes de violence. Une agression incestueuse qu’il faut taire, et qui bouleverse toute sa sexualité à venir, ses fantasmes, la découverte du plaisir et de son corps avec la masturbation, la quête du désir et de l’amour. Puis vient l’expérience de la maternité et c’est à nouveau une violence…
Toujours, dans ses explorations, Camille Laurens se tient à distance : le pathos est absent même si les drames sont extrêmes. Toujours, aussi, elle s’attache aux mots, à la langue, à son fonctionnement. Et bien sûr, au-delà des expériences particulières, ce roman ne peut que toucher certaines parts de nous. Et c’est ce qui le rend essentiel !
J’ai longtemps été journaliste mais, dans ce livre, je suis surtout une femme née en plein milieu du XXe siècle qui tente d’écrire sur un sujet qui l’habite, qui pose des questions avec son expérience, ses convictions, sa curiosité. Une femme qui a été touchée, secouée par la rencontre avec ces femmes qui se sont confiées si volontiers et si spontanément. Leurs paroles sincères, parfois très renseignées sur le sujet, voire militantes, et la documentation que j’ai amassée — articles, blogs, études, statistiques, ouvrages de référence… — m’ont permis, je crois, d’approcher au plus près de leur réalité. Leur réalité, car j’ai bien conscience que ce refus d’enfant revendiqué concerne principalement — du moins pour le moment — les Européennes et les femmes des pays « développés » et des grandes villes.
Régulièrement l’Univers m’oblige, par des réseaux de signes, de coïncidences et de synchronicités, à m’interroger sur le sujet de la maternité et de la non maternité, et ces temps-ci il s’est fait particulièrement insistant : c’est une réflexion dans un livre, c’est une curieuse discussion sur le sujet avec une connaissance, c’est ce livre arrivé à moi « par hasard ».
Dans ce qui est à la fois un essai et un récit, Laurence Santantonios, qui a elle-même deux enfants, choisit d’explorer et d’interroger le choix de celles qui n’en ont pas : se confronter à la différence, pour mieux comprendre. Après avoir interrogé le fameux « instinct maternel », elle montre d’abord que pour certaines femmes, les déterminées, ne pas avoir d’enfant est un vrai projet de vie, en positif ; pour d’autres, les ambivalentes, c’est surtout que leur vie a fait qu’elles ne sont pas mères et que dans d’autres circonstances elles auraient pu l’être. Nonobstant, il est question aussi de la responsabilité, des regrets de certaines de certaines d’avoir mis au monde des enfants, de la pression sociale et des dernières avancées socio-médicales.
Un texte qui m’a passionnée, parce que des années après le texte de Pia Petersen sur le sujet, il m’a obligée à faire le point avec moi-même. Ce qui est clair, c’est que ne pas avoir d’enfant n’est pas clairement un choix en positif, c’est la vie qui a fait que, en faisant que pour diverses raisons je n’ai jamais vécu en couple, ce qui pour moi est la condition sine qua non (je dirais même que pour moi le couple est le plus important, et que je ne mettrais pas une histoire d’amour en danger pour avoir un enfant). Nonobstant, cela ne me manque absolument pas et j’envisage totalement sereinement un avenir sans enfant (sans homme absolument pas, mais c’est un autre problème), attendu que j’aurai 42 ans la semaine prochaine et que si concrètement tout est possible, on va dire que c’est mal embarqué. Si je vais plus loin, sans toutefois être certaine de ce que j’aurais fait ou pas dans d’autres circonstances, il me semble que mon choix aurait sans doute été de ne pas en avoir parce que je ne me sens absolument pas faite pour ça, comme je l’ai dit l’amour du couple passe avant tout et j’aurais peur qu’un enfant abîme ça (ça arrive souvent), je ne crois pas être capable de l’abnégation que demande la maternité, et d’ailleurs contrairement à beaucoup de femmes personne dans mon entourage ne me fait de remarques sur la question : je crois que moi ayant un enfant, alors que je suis totalement lunaire et inadaptée au réel (je travaille sur le sujet, mais je ne serai jamais une pragmatique), cela paraît aussi incongru à ceux qui m’aiment qu’un lapin avec des bretelles. Cela dit, si demain un père potentiel me tombe du ciel, que ferai-je ? Je n’en sais rien.
Bref, cet essai m’a permis de m’interroger sur le sujet, même si comme on le voit je n’ai toujours pas de réponse. Plus généralement, les multiples analyses et témoignages montrent que, pour de plus en plus de femmes, ne pas avoir d’enfant est tout autant un projet de vie qu’en avoir, car la féminité n’est pas nécessairement associée à la maternité et que pour certaines, l’évidence est qu’elles ne veulent pas. Et que, malgré le regard de la société, ce choix est peut-être amené à se développer. En tout cas, ce livre intéressera tout le monde, celles qui ont fait le choix d’être mère, celles qui ont fait le choix de ne pas l’être.
Libre à elles
Laurence SANTANTONIOS
Mauconduit, 2018
A l’abri des regards, dans sa chambre, elle observait sa silhouette presque maigre, ses fesses un peu plus rondes et les deux étrangères qui avaient pris possession de son buste. Les deux formes femelles la dérangeaient, elle aurait aimé les expulser complètement de son corps, terre d’asile malgré lui ; c’était une identité nouvelle, double, une assimilation à faire dans son être qu’elle sentait encore si proche de l’enfance. Elle avait l’impression que les regards des autres ne fixeraient plus que cela ; tous ses efforts tendaient à paraître impassible, inchangée, surtout ne pas fuir, ne pas courir, laisser les seins sans mouvement, qu’ils ne se fassent pas remarquer, qu’ils se cachent, comme les gens que l’on tolère, mais qui ne devraient pas être là, comme des gens qui se terrent parce qu’ils sont en danger. Se faire tout petits, pour peut-être un jour être acceptés. Ses formes inquiètent Delphine.
Un roman qui traite un sujet malheureusement d’actualité : le viol.
Delphine grandit avec sa mère dans une cité-dortoir près d’Arles!; Elle aime les jolies choses, mais a l’impression qu’elles sont réservées aux autres. Sa mère, triste, n’est plus touchée par rien, a oublier ce que c’était que de rire et de jouir depuis que le père de Delphine l’a abandonnée en découvrant qu’elle était enceinte. Delphine grandit, devient adolescente, son corps change, elle devient une femme, mais alors que ce changement devrait se faire dans la douceur, il se fait dans la violence, celle d’un homme qui la viole…
Un roman très sensible sur un sujet extrêmement difficile : Comment on devient une femme lorsqu’on a été violée à 12 ans ? Comment on apprend la féminité lorsque celle-ci a été outragée à peine éclose ? Comment on apprend une sexualité qui ne soit ni violence ni domination ? Comment on se réapproprie son corps ? Comment on apprend la confiance et l’amour ?
Un roman qui parle de résilience et de renaissance. Très beau et délicat, il m’a beaucoup touchée !
Pas sur la bouche
Karine LANGLOIS
La Rémanence, 2019
Bien plus encore que 2017, 2018 me laisse perplexe lorsque j’en fais le bilan. J’ai l’impression qu’il s’agissait d’une année de transition et de libération, où j’ai avancé même si je n’en vois pas les résultats concrets, et je commence à trépigner et à avoir besoin de changements. Disons que ce fut une année de violentes secousses, de tsunami émotionnel et existentiel. Je suis toujours dans les turbulences de ma mid-life crisis, j’ai admis l’évidence que depuis des années je me voilais la face et que non, décidément, je ne suis pas à ma place là où je suis et que la vie que je mène, sur tous les plans, n’est pas la mienne. Sauf qu’il ne suffit pas de le constater pour que ça change, et concrètement pour l’instant ça ne change pas…
Beaucoup de choses ont changé, pourtant, sans forcément que ce soit des résolutions. Je me suis parfois surprise à faire des choses que trois semaines avant l’idée même m’aurait fait pousser de hauts cris. Surprise à ne plus faire des choses qui, auparavant, m’étaient essentielles : d’ailleurs, de toute l’année, je ne suis allée qu’une seule fois à Paris ce qui, vous en conviendrez, est une révolution (il faut dire que l’Univers m’a bien aidée, entre les grèves perlées de la SNCF et un claquage au mollet à la fin de l’été qui m’a littéralement immobilisée et obligée à cesser de gesticuler). Surprise à ralentir : le rythme du blog, d’ailleurs, s’en est ressenti, ce qui n’était pas du tout un manque de motivation, ni une envie d’arrêter, simplement, à un moment, j’ai éprouvé le besoin de poser les choses, de voir où je voulais aller, et je ne sais pas si vous vous êtes rendu compte qu’il prenait, petit à petit, un virage un peu plus « personnel » et plus « lifestyle » — et, curieusement, ou non d’ailleurs, ce sont ces articles, notamment celui sur l’hypersensibilité, qui suscitent le plus de réactions, notamment en « off ». Surprise, aussi, à avoir de nouvelles envies, à remettre en cause certains de mes choix de vie (ou plutôt ce que je croyais être des choix et qui n’en étaient pas), certains de mes fonctionnements, certains de mes systèmes de pensée, et à me demander si c’était réellement bon pour moi, à avoir de nouveaux désirs qui jusque-là ne m’avaient pas effleurée.
Mon rapport à mon corps a complètement changé. Il y a encore du chemin avant que je cesse de me battre avec lui, mais je n’en suis plus séparée et d’ailleurs il m’a beaucoup parlé cette année, en me faisant des trucs bizarres que je n’avais jamais eus (un claquage, un torticolis, et autres). C’est lié aussi à mon rapport à la féminité, sujet sur lequel j’ai beaucoup lu et réfléchi (notamment grâce aux ouvrages d’Adeline Fleury et de Camille Sfez), et qui va plus loin que ce que j’envisageais jusque-là.
Mon rapport à la nature a complètement changé. Je me suis surprise à prendre du plaisir à me promener dans les bois, en montagne, à m’entourer de matières naturelles, et notamment les pierres, les plantes, à prêter attention aux phases de la lune. Si l’eau a toujours été mon élément, j’apprends à apprécier les autres.
J’ai beaucoup, beaucoup écrit, furieusement même, à raison de plusieurs heures par jour, un texte essentiel pour moi, très personnel mais qui je pense a aussi une résonance universelle (au point où j’en suis, autant me prendre pour Victor Hugo), qui avoisine les 250000 mots et qu’il faudra élaguer si un jour je souhaite en faire quelque chose. Ce texte, et les événements intimes auxquels il est lié, m’ont beaucoup fait grandir, à la fois sur le plan de l’écriture (en relisant des choses plus anciennes j’ai l’impression d’avoir progressé) et sur le plan personnel, en tant que femme : je suis allée au cœur de mon labyrinthe et affronté la tribu des minotaures qui empoisonnaient ma vie. J’ai fait la paix avec certaines blessures de mon passé, je crois. Je me suis trouvée. Et à la lumière de ce texte, j’ai entièrement repris mon premier roman, qui je m’en suis rendu compte n’était pas achevé, tout comme moi je ne l’étais pas, et c’est sans doute la raison pour laquelle il ne trouvait pas sa maison.
En 2017, j’avais amorcé des changements, et encore une fois je pense que mon déménagement était éminemment symbolique, comme un nouveau départ, mais transitoire. En 2018, j’ai donc l’impression de m’être « purgée » de mon passé, de m’être libérée de mes entraves.
Enfin, sort of… Parce que le problème, c’est que j’ai l’impression que moi j’ai avancé, j’ai revu mes priorités, découvert ce que je voulais vraiment, et où était ma place, mais les changements dans ma vie ne suivent pas. Comme si cette vie qui ne me convient pas ne cessait de m’attraper par le bras pour me tirer en arrière.
Toujours aucun éditeur à l’horizon (enfin si, j’ai eu un appel au mois de juin pour mes nouvelles érotiques, on devait signer le contrat et puis je ne sais pas, l’éditeur ne m’a jamais recontactée et comme je ne le « sentais » pas je n’ai pas insisté (j’ai appris depuis que probablement j’avais eu raison de suivre mon intuition)), et j’ai beau me dire que c’est arrivé même aux plus grands auteurs, j’ai beau savoir qu’écrire est ce que je dois faire, le fait est qu’écrire plusieurs heures par jour, avoir des dizaines de projets, tout en se disant que personne ne lira jamais ce qu’on écrit, c’est extrêmement frustrant et au final décourageant.
Toujours aucun changement d’air à l’horizon. J’ai un besoin urgent de quitter Orléans que je ne supporte plus, et de faire un autre travail, lié mais différent. Et ailleurs. En avril, j’ai demandé à nouveau le poste qui me fait rêver et qui me permettrait un changement salutaire. Je ne l’ai pas eu. A nouveau.
Quant à ma vie sentimentale… on verra, mais c’est vraiment le domaine de ma vie où j’ai le plus l’impression de patauger dans la mélasse, et que je n’y arriverai jamais.
Bref, une année de transition, qui a été assez violente même si je sens bien au fond et malgré les doutes et agacements que je suis sur la bonne voie, ce que l’Univers ne cesse de me dire en m’envoyant des signes et des synchronicités. Mais j’ai tout de même hâte de la voir se terminer et de passer à autre chose, un véritable nouveau départ, parce que les transitions, c’est mignon mais épuisant, et surtout je ne suis pas l’incarnation de la patience. Je sens bien que les choses sont en train de se décanter, que des dizaines de projets mijotent en moi et n’attendent que le bon moment pour se manifester. Mais voilà : j’ai envie de réels changements, concrets, et de neuf (ce qui tombe bien, puisque c’est la rime de 2019).
Janvier…
Des montagnes pour commencer l’année
De la neige
Des moments que je n’attendais plus
Février…
Encore plus de neige
Un texte essentiel dont le titre voulait faire effraction dans le réel
Tout au long de notre vie de femme, notre corps sera régi par ce qu’on appelle le cycle menstruel.
Depuis des millénaires, les règles sont tabou : il faut les cacher, ne pas en parler, utiliser métaphores et euphémismes plus ou moins réussis, faire comme si ça n’existait pas, et dans certaines civilisations on va même jusqu’à mettre les femmes à l’écart lorsqu’elles ont « leurs Lunes » (métaphore jolie, pour le coup, utilisée par les amérindiennes et que j’aime parce qu’elle dit bien le lien avec le cycle lunaire). Tabou, alors qu’il n’y a rien de plus naturel, et que les règles façonnent tout de même toute l’histoire de l’humanité, et il n’y a du coup rien d’étonnant à ce que le féminisme actuel veuille lui redonner ses lettres de noblesse.
C’est l’objet de ce documentaire pédagogique d’Angèle Marrey, écrit avec Justine Courtot et Myriam Attia, qui s’adresse en priorité aux adolescentes mais sera vu avec profit par tous, et qui vise à la fois à dédramatiser et démythifier le cycle menstruel. En 30 minutes, sont abordés l’aspect technique, la question du cycle (et notamment son influence sur les humeurs), la fascination (pré-monothéiste) /répulsion que le phénomène engendre (et toutes les stupidités sur la notion d’impureté, alors qu’au contraire les règles permettent un nettoyage à la fois physique et psycho-émotionnel), et les protections et leur coût. Le tout assorti de nombreux témoignages, y compris masculins.
Un excellent documentaire, qui permet d’apprendre beaucoup de choses, et pour les femmes de s’interroger sur leur propre rapport à leurs règles et donc à leur corps, et comprendre que tout cela est on ne peut plus normal (même si, il faut bien être honnête, traverser une phase de désespoir existentiel à chaque fois qu’elles surviennent comme c’est mon cas est un petit peu pénible, même si on sait d’où ça vient, d’autant que j’ai la même crise existentielle à chaque Pleine Lune à laquelle je suis hypersensible aussi, ce qui fait deux par mois, et que ces jours-là j’ai tendance à faire des conneries). Mon seul point de désaccord concerne la fin : le documentaire parle des protections, tampons et serviettes, et de leur coût financier, environnemental et de leurs risques. Mais la seule méthode alternative proposée est celle du flux instinctif libre, sur laquelle je suis plus que perplexe déjà en théorie (à mon avis il est inadapté quand on a un flux abondant) et qui surtout présuppose de pouvoir aller aux toilettes très souvent et dès qu’on en a besoin, ce qui n’est pas le cas de bon nombre d’entre-nous : quelques mots sur la coupe auraient été les bienvenus.
Nonobstant, je conseille vraiment ce documentaire, qui je pense permettra aussi d’engager la discussion avec les jeunes filles, et peut-être rétablir quelque chose qui n’existe plus dans nos sociétés occidentales modernes : les premières règles comme rite de passage. Dans certaines sociétés, elles sont l’occasion d’une véritable fête, car elles sont un moment marquant dans la vie (remarquez, je dis ça, je ne m’en souviens absolument plus).
28 jours Angèle MARREY, écrit avec Justine COURTOT et Myriam ATTIA
La semaine sans complexe, sur une idée originale de Stephie
Quand je pense que je suis là, nue, alors que pendant tant d’années je n’arrivais même pas à me mettre en maillot de bain.
J’avais déjà parlé de ce film il y a quelques années. Je l’ai revu récemment, et si à l’époque il m’avait beaucoup émue, il m’a cette fois totalement bouleversée, sans doute parce que depuis j’ai vieilli (j’ai eu quarante ans) et que l’histoire que raconte la narratrice, je la comprends enfin intimement : en 2013, je me battais contre mon corps. Aujourd’hui, je l’accepte beaucoup mieux.
Dans ce film, qui appartient à une série de courts-métrages interrogeant la représentation du corps, Catherine Bernstein se met totalement à nue, dans tous les sens du terme. Physiquement, émotionnellement. Mais avec malgré tout une grande pudeur. A sa fille qui tient la caméra, elle raconte l’histoire de ce corps qui l’a longtemps complexée : ses formes qu’elle jugeait trop prononcées à l’adolescence et qui selon elle ne pouvaient pas séduire. Ses sourcils. Ses dents. Son cou. Ses seins. Ses fesses. Son ventre, qui porte une cicatrice due à sa première grossesse. C’est d’abord un blason : le corps est éparpillé, en morceaux, comme un puzzle. Parce que c’est ainsi que les femmes se voient : en détails, comme dans un miroir grossissant. Et puis, il devient entier. Réunifié. Il devient un tout, grâce au regard amoureux d’un homme.
Le film est très personnel, et en même temps il atteint l’universel. Cette cartographie d’un corps imparfait et pourtant sublime, d’une délicatesse infinie, enveloppée de couleurs très douces, un peu floue, a une dimension cathartique : on en ressort heureux, car il dit tout de ce long chemin qu’est l’acceptation de soi, ce lâcher-prise sur l’apparence que permet un regard aimant et bienveillant. Notre corps porte notre histoire, il est unique, et celui qui nous aime ne peut que l’aimer aussi comme il est.
Ce film a reçu un accueil radicalement différent auprès des femmes et auprès des hommes. Les spectatrices ressortaient avec bonheur, avec énergie débordante à l’issue de la projection. Quel que soit leur âge, il n’était pas rare qu’elles se reconnaissent dans les propos du film. Les hommes semblaient plus émus, bouleversés. Je ne saurais dire pourquoi. Découvraient-ils ce qu’ils pouvaient donner à l’autre ? À l’être aimé ? Ce qui est clair, me concernant, c’est que c’est l’amour qui m’a aidée à me réparer, à faire de moi une seule et même personne, un tout. En tous les cas, je suis émerveillée à quel point Nue a su toucher des femmes et des hommes d’âges et d’horizons variés dit Catherine Bernstein. Et c’est l’évidence : c’est plus qu’un film à voir, c’est un film à revoir, non seulement pour en saisir toutes les nuances mais aussi parce que, j’en ai fait l’expérience, on n’en saisit pas les mêmes choses aux divers âges de la vie. Il est à montrer aux adolescentes et aux jeunes femmes, aussi, pour qu’elles comprennent que les corps parfaits montrés dans les publicités et les magazines ne sont nullement un idéal à atteindre.
Et ce message sublime : que l’amour nous permet d’être entier.
Nue Catherine BERNSTEIN
Paris-Brest Productions/Arte, France, 2008
A travers elle m’est venue l’idée qu’être une femme pouvait signifier un pouvoir supplémentaire, alors que jusque-là une impression diffuse me suggérait que c’était plutôt le contraire. Depuis, où que je le rencontre, le mot « sorcière » aimante mon attention, comme s’il annonçait toujours une force qui pouvait être mienne. Quelque chose autour de lui grouille d’énergie. Il renvoie à un savoir au ras du sol, à une force vitale, à une expérience accumulée que le savoir officiel méprise ou réprime. J’aime aussi l’idée d’un art que l’on perfectionne sans relâche tout au long de sa vie, auquel on se consacre et qui protège de tout, ou presque, ne serait-ce que par la passion que l’on y met. La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations ; elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie.
J’avais détesté Beauté Fataleet d’autres écrits de Mona Chollet sur la parure qui, en tant que spécialiste du sujet, me mettaient hors de moi à cause de leurs approximations et erreurs. Conséquence logique : j’évitais les écrits de cette auteure. Mais voilà, la figure de la sorcière me fascine depuis toujours, j’ai même envisagé d’en faire mon sujet de thèse et je sais que j’écrirai dessus, un jour : en fait, j’ai toujours pensé confusément que peut-être j’ai été une sorcière brûlée sur le bûcher dans une vie précédente, ou que j’ai eu une ancêtre qui l’a été (je ne suis pas remontée si haut dans mon arbre généalogique). Impossible donc pour moi de m’abstenir de lire cet essai, dont on parle beaucoup, nonobstant ma méfiance envers l’auteure.
Partant de la chasse aux sorcières comme guerre contre les femmes, et notamment les femmes dont la tête dépassait car pas assez dociles, trop libres et notamment sexuellement, bref, pas assez soumises aux hommes, l’auteure constate que la sorcière a non seulement été réhabilitée, mais incarne même une figure identificatoire pour certains mouvements féministes, et pas seulement les plus spiritualistes et ésotériques, en tant qu’elle représente une autre manière de voir le monde. Mais au-delà de ça, le vrai sujet de cet essai, c’est la postérité de la chasse aux sorcières, et la manière dont certains comportements et choix féminins, qui hier conduisaient au bûcher, sont encore condamnés mais de manière beaucoup plus insidieuse. Le premier chapitre s’intéresse à l’indépendance féminine et au célibat, le deuxième au refus de la maternité, le troisième à la vieillesse ; le quatrième montre la manière dont le patriarcat a domestiqué la nature et le naturel, et donc la femme, au nom du rationalisme.
Il faut bien le dire, le titre (surtout la deuxième partie) est déceptif et peut induire en erreur, dans la mesure où il ne correspond que peu au sujet réellement traité (ça m’étonnait aussi), et c’est vraiment dommage car cela apparaît comme du racolage, du surf sur une tendance, dont l’essai lui-même n’a absolument pas besoin tant il est passionnant (oui, vous avez bien lu). J’ai parfois été en léger désaccord (notamment sur le premier chapitre qui me semble un peu trop ramener le fait d’être en couple à une soumission aux diktats de la société et trop oublier l’amour), j’ai regretté que certains points ne soient pas davantage approfondis (toute la dimension sexuelle par exemple est trop peu analysée, je soupçonne Mona Chollet de ne pas être très à l’aise avec le sujet), mais c’est précis, étayé, analysé, nourri de nombreuses références notamment littéraires (ce qui est aussi un problème : j’ai noté trop de choses que j’ai envie de lire) et cela ouvre de nombreuses pistes de réflexion sur beaucoup de sujets essentiels touchant aux choix : le chapitre sur la maternité notamment est extrêmement intéressant.
L’essai est d’autant plus réussi, finalement, qu’il prend une dimension personnelle : loin du ton péremptoire que je lui avais reproché, Mona Chollet est beaucoup plus nuancée, accepte ses contradictions et s’abstient de donner des leçons, y compris sur l’apparence. J’ai noté un certain infléchissement de sa pensée vers une certaine forme d’essentialisme, même si elle s’en défend énergiquement : le fait est que la haine des femmes (ou plutôt du pôle féminin) vient bien de ce qu’elles incarnent une autre manière de voir le monde, qui lutte pour prendre sa place.
Un essai essentiel, car il pointe la nécessité d’un changement de paradigme dans la civilisation, qui n’est peut-être pas si loin que ça d’advenir.
Sorcières, la puissance invaincue des femmes Mona CHOLLET
La Découverte, 2018