Ce que je voulais vous dire, d’Anaïs Nin : la connaissance de soi

J’ai découvert que la volonté de créer, ou volonté créatrice, qui poursuit et hante l’artiste, pouvait s’appliquer à notre vie d’individu, à notre vie personnelle tout comme à une œuvre d’art : nous possédons tous une volonté, une capacité qui nous permettent de nous transformer. Il ne faut pas y voir un acte égocentrique, mais au contraire un acte qui finit par influencer et transformer toute la communauté. Ainsi, je pense que le monde changera lorsque notre conscience changera.

Je poursuis ma découverte approfondie des textes d’Anaïs Nin avec cet autre volume d’écrits théoriques et réflexifs.

Dans cet ouvrage sont rassemblés des retranscriptions de conférences et d’entretiens donnés au début des années 70, et qui permettent une vue d’ensemble de la manière dont Anaïs Nin pense le monde : la nécessité de la connaissance de soi, le refus du désespoir, l‘écriture et la créativité, le féminin et le féminisme, le partage, tels sont les thèmes essentiels pour elle qui sont abordés ici.

Je dois dire que cela faisait longtemps qu’un texte ne m’avait pas autant nourrie, émotionnellement et intellectuellement, que ce recueil ! Nourrie en tant que femme, qu’être humain et qu’écrivain. C’est une sorte de révélation existentielle, de dialogue d’âme à âme qui s’établit entre elle et moi : si je l’avais lue plus jeune j’aurais pu penser à une influence ; là j’ai l’impression de retrouver ma propre pensée sous sa plume. J’avais déjà noté cette proximité des thèmes, des obsessions, d’une manière de voir le monde en lisant ses nouvelles et ses romans mais c’est d’autant plus troublant ici. 

On trouve ici des pages essentielles sur le journal (lecture dans laquelle je viens de me lancer, et qui va sans doute m’occuper de nombreux mois, mais qui va là encore me stimuler) qui est finalement, beaucoup plus que ses romans et récits, l’œuvre de sa vie, qui lui a permis de parfaitement se connaître en tant que femme et qu’être humain, et de se mouvoir avec fluidité dans les zones d’ombres de l’inconscient (aidée aussi, sans doute, par le signe des Poissons que nous avons en commun). Elle appréhende la vie comme un voyage de l’héroïne, et tout ce qu’elle a appris sur elle-même, ainsi que son intense curiosité pour plein de sujets, lui permet aussi de s’ouvrir aux autres, de les comprendre et d’espérer un renouveau de la conscience humaine.

D’Anaïs Nin émanent au fil de ses pages beaucoup de douceur, de bienveillance et d’ouverture d’esprit. J’ai trouvé qu’elle était sévère avec Sylvia Plath, pas en tant qu’écrivain mais en tant que personne, et c’est un peu dommage. Certains de ses propos sur le féminisme radical pourront déplaire à certaines, et ont déplu d’ailleurs et c’est aussi pour ça que je l’admire : non seulement je suis d’accord avec sa pensée, ça c’est une évidence, mais en outre je trouve qu’elle ne manque pas d’un grand courage pour assumer ses idées et la personne qu’elle est.

Une lecture qui m’a stimulée et inspirée, comme on le voit grâce aux nombreux papillons collés dans mon exemplaire, et qui n’a pas fini de me nourrir !

Ce que je voulais vous dire
Anaïs NIN
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Béatrice Commengé
Stock, 1980 (Livre de Poche, 2021)

Un corps à soi, de Camille Froidevaux-Metterie : pour un féminisme phénoménologique

Si l’on devait condenser d’une formule l’objectif des luttes féministes depuis qu’elles existent, ce pourrait être : faire advenir un monde où les femmes ne soient plus définies par leur corps.

J’avais beaucoup entendu parler de cet essai, notamment à l’occasion du colloque de ces deux dernières années Les femmes et leur corps, mais je n’avais pas pris le temps de le lire. L’autre jour, en retombant dessus au FRAC, je me suis dit qu’il était temps, d’autant que la question du féminisme et de la réappropriation du corps est importante dans l’histoire d’Adèle.

Dans cet essai, Camille Froidevaux-Metterie part du postulat que de tout temps, les femmes ont été définies par leur corps, par leur nature charnelle, sexuelle et procréatrice, et que toute l’histoire du féminisme a visé à mettre fin à cette définition. Quitte finalement a ne plus du tout penser ce corps : or, comme le fait remarquer l’autrice, les femmes, au quotidien, ne peuvent pas oublier qu’elles ont (qu’elles sont ?) un corps, et il s’agit donc pour elle, après une première partie où elle définit ce féminisme phénoménologique qui ne réduit pas la femme à sa nature corporelle et ne l’y enferme pas mais la prend en considération, à partir de Simone de Beauvoir et d’Iris Marion Young, elle étudie dans la seconde partie la manière dont les femmes peuvent se réapproprier ce corps.

Un essai passionnant et instructif, et d’une intelligence rare, qui m’a permis de mettre des mots sur ce que je n’arrivais pas à clairement formuler dans mon propre positionnement : de fait, j’ai pas mal travaillé sur Beauvoir et Le Deuxième sexe, ce qui a très certainement nourri ma pensée, mais étant écrivain et non philosophe (même si c’est une discipline qui m’intéresse, évidemment) il me manquait l’ancrage théorique. J’ai aussi découvert avec beaucoup de bonheur Iris Marion Young, qui semble dire bien des choses intelligentes, et dont j’ai envie de lire les textes, malheureusement non traduits en français pour le moment, mais comme de plus en plus de livres essentiels commencent à l’être (je pense à bell hooks) j’ai bon espoir.

Bref : sur un sujet souvent polémique, Camille Froidevaux-Metterie pose un regard que j’ai envie de qualifier d’équilibré. J’ai particulièrement apprécié ses réflexions sur le couple et l’amour, ainsi que sur la parure et le soin de soi, dont elle montre combien s’ils ont été longtemps l’instrument de l’asservissement des femmes, ils peuvent aussi, en se les réappropriant en tant que sujet, devenir des lieux d’expression authentique de soi.

Je ne saurais trop conseiller cet essai à tout le monde, tant il permet de mettre de l’ordre dans ses idées ! Quant à moi, je pense que je vais poursuivre avec d’autres titres, car nul doute que cette autrice a beaucoup à m’apporter pour aiguiser ma réflexion !

Un Corps à soi
Camille FROIDEVAUX-METTERIE
Seuil, 2021

The bold type, de Sarah Watson : celles qui osent

Encore une série que j’avais repérée dès sa sortie, mais que je n’avais jusqu’à présent pas encore eu l’occasion de voir. En même temps, ne la voir que maintenant m’a permis de pouvoir regarder l’intégralité des cinq saisons sans devoir patienter des mois entre chaque, ce qui pour une impatiente comme moi est parfois un peu frustrant.

La série suit la vie, professionnelle et personnelle, de trois amies qui travaillent à New-York au sein du même magazine féminin, Scarlet. Il y a Jane, journaliste, Kat, responsable des médias sociaux, et Sutton, assistante qui voudrait devenir styliste. Au fil des saisons, on va les voir évoluer, prendre des décisions, affirmer leurs choix, sans que jamais leur amitié ne vacille.

Un série qui fait un bien fou. Au départ, j’étais attirée par le côté Sex and the city du pitch, mais j’y ai trouvé beaucoup plus. Très engagée sur le plan social et notamment féministe, la série propose de vrais beaux personnages de femmes, aux vies mouvementées, des jeunes femmes qui ont des envies, qui s’engagent, qui se battent, qui ont des vies personnelles parfois chaotiques, une carrière à gérer, mais restent unies. Et puis, surtout, il y a Jaqueline. Jaqueline, c’est mon coup de cœur : j’ai adoré les filles, mais honnêtement, elles ont 25 ans, je ne me suis pas trop projetée en elle. Mais Jaqueline… elle est la rédactrice en chef du magazine. Une femme qui a du succès, et une belle carrière. Mais pour autant, elle n’écrase pas les autres de son pouvoir, au contraire : elle est bienveillante, presque maternelle, elle soutient les autres femmes dans leur carrière, les pousse, les encourage, leur donne des opportunités, et sait prendre des risques lorsque cela s’impose. Loin des personnages féminins toxiques que l’on retrouve trop souvent, qui ont réussi mais voient toutes les autres comme des menaces, et/ou sont tyranniques parce qu’elles ont peur, Jaqueline n’a peur de rien, et franchement, j’aimerais voir plus de personnages comme celui-là.

Vraiment, une série à découvrir : j’ai adoré leurs histoires, j’ai regardé les 5 saisons en quelques jours, et j’ai vraiment passé de bons moments !

The Bold Type
Sarah WATSON
Freeform, 2017-2021 (Prime Video)

The Marvellous Mrs Maisel, de Amy Sherman-Palladino : woman power

Une série qui était notée dans ma liste de « A voir » depuis longtemps, mais elle n’était pas sur la bonne plateforme, jusqu’à ce que l’autre jour (à force que la liste s’allonge), je finisse par m’abonner à Amazon Prime. Ce n’est pas tout à fait la première série que j’ai regardée, mais je me suis un peu précipitée tout de même, et je ne l’ai pas regretté, d’autant que la saison 4 est en curs de diffusion.

L’histoire est celle de Midge Maisel, une jeune mère au foyer juive, dont le mari est fan de stand-up, mais pas très doué. Elle par contre a un talent fou pour l’humour, ce dont elle se rend compte le jour où son mari lui annonce bêtement qu’il la quitte et qu’elle monte sur scène de façon inopinée, et rencontre un certain succès, même si elle finit en prison. Une vocation est née, mais pour une femme, en cette fin des années 50, ce n’est pas si simple.

Bon : j’aime absolument tout dans cette série : l’humour, les personnages que je trouve tous plus attachants les uns que les autres, la réflexion féministe, l’histoire au long cours avec Joël, et les costumes. Je bave devant les costumes. J’aime ses robes d’un amour fou. Je ne suis pas la seule. Bref : j’aime absolument tout dans cette série riche, colorée, dynamique, sans complexe, parfois caustique, et vraiment, si vous ne l’avez pas vue, allez jeter un œil !

The Marvellous Mrs Maisel
Amy Sherman-Palladino
Amazon Prime, 2017 – (en cours de production)

#FemalePleasure, de Barbara Miller : plaidoyer pour la liberté

Cela fait longtemps que je ne vous avais pas parlé de films. Et en ce dernier premier mardi du mois de l’année, je voulais aborder ce documentaire sorti fin 2018, et qui est désormais disponible en VOD.

Le film interroge la manière dont est traitée la sexualité féminine dans le monde, au XXIe siècle, en suivant cinq femmes d’origines culturelles différentes, et qui s’opposent à la répression de leur sexualité dans leurs communautés culturelles et religieuses : Déborah Feldman, qui raconte dans son autobiographie Unorthodox (dont Netflix a fait une mini-série) sa rupture avec le judaïsme hassidique ; Leyla Hussein, une psychothérapeute et activiste sociale somalienne qui se bat contre l’excision ; Megumi Igarashi, une artiste plasticienne japonaise spécialisée dans l' »art vaginal » ; Doris Wagner, une ancienne nonne ayant subi des violences sexuelles au sein de l’Eglise catholique ; Vithika Yadav, une jeune indienne qui se bat pour l’égalité.

Un documentaire essentiel, qui doit être vu et distribué le plus largement possible, même s’il met très très en colère : il montre surtout qu’au delà des différences de culture, le combat est le même : conquérir le droit à disposer de son corps, malgré les religions qui, si elles ont bien un sujet d’accord, c’est bien celui-là : empêcher les femmes de jouir librement. Et c’est un combat essentiel !

Brisons le silence, soyons invincibles, revendiquons #Female Pleasure

Chez Stephie

Ainsi soit-elle, de Benoîte Groult : aux origines du féminisme

Si par miracle un jour la censure scolaire, familiale, religieuse et culturelle cessait de reléguer la vie sexuelle et le plaisir dans des domaines inavouables, si l’on pouvait aborder la « fonction érotique » de tout son être avec un appétit légitime et à l’occasion un peu d’humour, quel soulagement soudain pour tous les malades de l’amour, les impuissants, les frigides, les timides, les éjaculateurs précoces, les éjaculateurs parcimonieux et ceux qui ont très peur des femmes et celles qui ont très peur des hommes et tous les autres aussi…

J’ai lu ce livre cet été pour un projet (un de mes nombreux…) mais j’avais omis de lui consacrer un article. Mais il était là, il trainait dans mon bureau et en rangeant une pile (de livres) je suis retombée dessus, et je me suis dit que c’était dommage de le ranger sans en parler.

C’est un classique du féminisme « vieille école » (qui est, largement, le mien). A la fois un témoignage et un essai où Benoîte Groult aborde tous les sujets essentiels : l’histoire des luttes féministes, le corps, la sexualité, l’excision, les règles, la grossesse, l’accouchement, le plaisir. Et le vivre avec les hommes.

Un texte que j’ai trouvé finalement rafraîchissant : les deux préfaces notamment sont très intéressantes, et l’ensemble est vraiment intelligent, plein d’humour et de sarcasme, mais sans haine, que l’on a un peu trop tendance à confondre avec la colère. Et ça fait du bien.

A lire ou relire d’urgence !

Ainsi soit-elle
Benoîte GROULT
Grasset, 1975 (Livre de Poche, 2000)

Citoyennes ! de Caroline Stevan Elina Braslina : il était une fois le vote des femmes

Ce jour-là, je me suis sentie si proche des femmes qui m’entouraient mais aussi de celles qui me précédaient. Je me suis sentie héritière de toutes les luttes féministes, à commencer par l’une des premières : la conquête du droit de vote. J’ai pensé avec reconnaissance à celles qui s’étaient battues pour obtenir le statut de citoyennes. Je me suis souvenue de manifestations joyeuses et débridées comme la nôtre mais aussi de peines de prison, de condamnations à mort, d’exclusions. Partout dans le monde, à leur manière, des pionnières ont ouvert la voie pour que nous puissions participer à la vie politique, défiler encore et réclamer toujours. J’ai eu envie de vous raconter leurs histoires, Dune et Salomé, cette grande histoire.

Dans cet album, Caroline Stevan raconte à ses filles l’histoire des luttes des femmes pour leurs droits, à commencer par celui de voter : les pionnières, en commençant par Olympe de Gouges, le long historique mondial de l’acquisition de ce droit, la présence des femmes en politique, et les luttes actuelles pour l’égalité des salaires, par exemple.

Magnifiquement illustré par Elina Braslina, ce petit album très clair, pédagogique et accessible grâce à l’humour est à mettre entre toutes les mains et pas seulement enfantines, car j’y ai moi-même appris beaucoup de choses ! A noter si vous commencez à penser à vos cadeaux de Noël, par exemple !

Citoyennes ! Il était une fois le droit de vote des femmes
Caroline STEVAN et Elina BRASLINA
Helvetiq, 2021