
Le phénomène de la fanfiction est en plein essor, grâce à internet, et ce même si le fait lui-même d’inventer de nouvelles aventures aux personnages de séries ou de romans a toujours existé : moi même, lorsque j’étais enfant, je passais mon temps à ça, imaginer mes personnages préférés dans de nouvelles aventures (je le fais encore beaucoup, de fait, parce que souvent ça débouche sur autre chose de totalement différent et plus personnel) ; je ne les ai jamais écrites (si, une fois, mais c’était diablement mauvais), mais cela n’est pas grave, j’imaginais.
Beaucoup d’éditeurs et d’auteurs s’en émeuvent (voire se scandalisent, comme Robin Hobb), car ils ont l’impression d’être dépossédés de quelque chose, et je peux tout à fait le comprendre, surtout en ce qui concerne les auteurs : évidemment, il doit être troublant de voir ses personnages évoluer sous la plume de quelqu’un d’autre et faire des choses totalement… surprenantes. Maintenant, je suis plutôt d’accord avec J. K. Rowling, qui voit les choses de manière positive : « J’en ai lu et j’ai été très flattée de voir à quel point les gens s’absorbent dans cet univers » (avec cependant des nuances, nous y reviendrons). En effet, si les gens s’emparent de ce que vous avez créé pour continuer à le faire vivre, c’est bien que vous avez donné naissance à un univers suffisamment cohérent et des personnages à ce point riches qu’ils peuvent vivre sans vous et correspondre à l’univers d’autres.
Ce que je trouve fascinant dans cet univers, c’est la manière dont il en dit beaucoup sur notre monde et ses thématiques obsédantes. Et, n’y allons pas par quatre chemins, ce qui obsède notre monde, c’est le sexe. Il n’y a pas besoin d’approfondir beaucoup les choses pour se rendre compte que 95% des fanfictions s’organisent autour des relations amoureuses entre les personnages, même lorsque l’univers de départ s’y prête assez peu. Disons que la fanfiction s’insère dans les silences, propose des univers alternatifs, et que quels que soient les enjeux, c’est l’érotisme qui gouverne le monde. Et c’est là que le bât blesse avec Harry Potter, selon son auteur : si comme je l’ai (remarquablement bien, je trouve) montré hier l’amour est au coeur de l’oeuvre, le fait est qu’il s’agit avant tout d’une oeuvre pour la jeunesse, et qu’il n’y a donc évidemment aucun contenu sexuel explicite. Or, du contenu sexuel explicite, je peux vous dire qu’il y en a beaucoup dans les fanfictions, et J. K. Rowling s’en est un peu émue par le biais de son agent : La série commence sans doute à dater, mais elle est toujours destinée à de jeunes enfants. Si ces derniers devaient tomber par hasard sur une histoire de Harry Potter classée X, ce serait un problème. Elle a donc, par le bais de son avocat, essayé de purger certains sites, mais en pure perte car je peux vous assurer que beaucoup de textes trouvés sur Fanfiction sont à faire rougir les moins prudes d’entre nous, moi y compris : chaque personnage se retrouve à s’accoupler avec à peu près tous les autres (quel que soit le sexe), dans toutes les positions possibles et imaginables, et plus si affinités. J’avoue une préférence pour les histoires Lucius/Hermione, car beaucoup sont assez bien faites et montrent assez bien la frontière étroite entre la haine et l’amour. Et puis, bon, Lucius quoi. Bref.
Alors, évidemment, on trouve de tout, des textes d’une niaiserie absolument indécente, des personnages totalement OOC ( Out of character c’est-à-dire un personnage complètement différent de ce qu’il est dans l’oeuvre d’origine, genre au hasard un fluffy Lucius qui se pointe avec un bouquet de fleurs, ou une Bellatrix qui se mat en tête d’offrir des cadeaux de noël à tout le monde, y compris Voldy, qui en est d’ailleurs fort ému (WTF ?)), des situations abracadabrantes, des incohérences et d’énormes fautes d’orthographe et de grammaire pour couronner le tout (les fanfics françaises sont juste illisibles pour moi, en tout cas celles que j’ai vues ; en anglais, soit il y a mois de fautes, soit je ne les vois pas). Mais, au milieu, on trouve aussi de véritables pépites, écrites par des gens qui ont un véritable talent pour proposer des histoires bien meilleures que ce que l’on peut trouver parfois dûment publié par un éditeur (non, je ne pense à personne en particulier…). C’est ainsi que l’autre jour j’ai lu Eden, qui est un véritable roman, extrêmement bien écrit et bien mené, très subtil dans l’analyse des sentiments, et qui m’a tenue en haleine durant plusieurs jours ; d’ailleurs, cette histoire a marqué beaucoup de monde, d’après mes recherches. Pour ce qui est du contenu explicite en général, je dois dire que les auteurs font tout de même preuve d’une inventivité assez déconcertante, et que beaucoup de textes sont parmi ce que j’ai lu de mieux et de plus original en la matière, et vous savez que j’en ai lu beaucoup, et que je suis un peu difficile. J’en ai récemment lu une qui me fera regarder les marshmallows et le sirop de chocolat d’un oeil très différent…
Le maître mot, c’est la liberté. Tenir ou non compte de ce qui se passe effectivement dans les romans, inventer ce qui se passe avant ou après, développer des personnages et des intrigues juste esquissés, voyager ailleurs (les autres écoles de magie pour HP), dans des univers alternatifs, changer de ton et s’adonner à la parodie. Et le comble : les crossover qui mêlent plusieurs univers (personnellement je ne suis pas très très adepte car c’est très difficile de tout tenir ensemble de manière cohérente, et voir débarquer Buffy à Poudlard a tendance à me perturber, mais après tout pourquoi pas). Par contre, il est très rare de trouver des fanfictions avec l’intervention de personnages créés de toute pièce (alors que c’est comme ça que je fonctionne personnellement, car je trouve cela intéressant de voir comment ça peut changer les choses).
Où est l’intérêt ? Et bien, cela stimule la création. Je trouve assez plaisant de voir des adolescents de l’âge de mes élèves, rétifs à l’écriture, produire des textes de 1000, 2000 mots ou plus, avec leurs défauts certes, mais au moins ils écrivent, cela stimule leur imaginaire, et il y a fort à parier que parmi les auteurs de fanfictions, certains, vu leur talent, finiront par franchir le pas et inventer leur propre univers et leurs propres personnages. Et puis, j’aime le fait que tout soit gratuit : les auteurs proposent leur texte à la communauté, sans rien attendre d’autre en retour que des commentaires, et je trouve que c’est sain et vivifiant. Je suis beaucoup moins enthousiaste lorsqu’il s’agit de les publier, comme cela se fait beaucoup actuellement autour des oeuvres de Jane Austen (en revanche, il faudra un jour que quelqu’un m’explique en quoi 50 shades of grey est une fanfiction de Twillight…).
Donc selon moi, la fanfiction, véritable stimulateur d’imaginaire, est aussi un vivier de futurs auteurs, et c’est chouette. C’est aussi un monde cohérent avec ses règles, son vocabulaire… qui commence à susciter pas mal d’études universitaires. Donc… à suivre !
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