Place de la Halle, cheminait Lily Barbarin, une dame âgée dont le charme s’accordait aux coquettes ruelles. Souriante, fluette, le teint délicat, le nez précis, les yeux clairs, elle offrait l’effigie de la bonté. Si Saint-Sorlin figurait le paradis, à coup sûr Lily incarnait la grand-mère idéale. Bienveillante, soucieuse d’aider ses concitoyens, elle paraissait faire de la vieillesse un effacement poli mêlé d’altruisme. Pourtant, la vie aurait dû la mener à la haine, la cantonner au ressentiment. N’avait-elle pas été harcelée durant des décennies ? N’avait-elle pas été dédaignée, malmenée, trahie, détestée ? Et surtout, n’allait-elle pas, le lendemain, comparaître en justice pour meurtre ?
J’ai déjà expliqué que j’avais un problème avec le concept de pardon : je ne le comprends tout simplement pas. Je ne comprends pas comment on peut pardonner : je parle ici bien sûr des actes graves, pas du gars qui vous bouscule dans le métro et s’exclame « pardon ». Non, je parle bien de ceux qui vous font du mal, parfois de façon répétée : je ne pardonne pas. Ce qui ne veut pas dire que je me fais des nœuds au karma pour autant : je ne rumine pas non plus, je ne suis pas emplie de haine (cela étant, on n’a jamais assassiné quelqu’un que j’aime, heureusement), juste j’expulse la personne de ma vie, et si elle culpabilise, tant mieux, mais il ne faudra pas qu’elle vienne me demander de lui pardonner pour se soulager la conscience, c’est son problème, pas le mien. Bref. Tout ça pour dire que le titre du roman d’Emmanuel-Schmitt m’a tout de suite interpellée : La vengeance du pardon, oxymore dont j’avais bien envie de connaître le fin mot, d’autant que je fais plutôt confiance à Schmitt pour creuser l’âme humaine.
Ce n’est pas un roman, mais un recueil de 4 longues nouvelles dont le fil rouge est la question de la culpabilité et du pardon. La première, « les soeurs Barbarin », met en scène des jumelles dont l’une tyrannise l’autre toute sa vie, mais est toujours pardonnée ; dans la deuxième, « Mademoiselle Butterfly », un banquier voit tout son empire mis en péril à cause d’une escroquerie mise en place par son fils ; la troisième, qui donne son titre à l’ensemble, montre la curieuse relation qu’entretient une femme avec un meurtrier en série condamné à la perpétuité ; enfin la dernière, « dessine-moi un avion », est une sorte de réécriture du Petit Prince, dans laquelle une petite fille demande à un ancien aviateur de la wehrmacht de lui dessiner un avion.
Les quatre nouvelles sont assez différentes pour susciter des sentiments contrastés et explorer toute la gamme des relations entre culpabilité et pardon. Les analyses psychologiques sont assez fines, l’ensemble est bien mené et réserve parfois des surprises : la nouvelle éponyme, notamment, est assez vicieuse, et partant jouissive, même si je ne comprends pas les réactions du personnage principal ; dans la première, j’ai juste eu de mettre des claques au personnage de Lily, dont la gentillesse confine à la stupidité ; la deuxième m’a pas mal laissée de marbre, et c’est vraiment la dernière qui m’a le plus touchée, parce que Saint-Exupery, parce que Le Petit Prince…
Bref, un joli recueil, qui offre des moments de lecture très agréables et permet de s’interroger sur un concept intéressant ; après, on sait Schmitt inégal, et je ne classerai pas cette oeuvre parmi ses meilleures, mais pas non plus parmi ses ratages. Un livre honnête en somme, qui je pense plaira à pas mal de monde !
La Vengeance du pardon
Eric-Emmanuel SCHMITT
Albin Michel, 2017
1% Rentrée littéraire 2017 — 10/6
By Herisson