Les passions d’enfance

C’est amusant : plus je vieillis, et plus je retrouve (et donne de l’importance) aux activités qui me passionnaient lorsque j’étais enfant. Et que j’ai un peu laissées de côté durant une grande partie de ma vie d’adulte (à part la lecture : je n’ai jamais mis de côté la lecture). Essayant, tant bien que mal, de canaliser tout ça, parce qu’on ne peut pas tout faire. Il faut dire que tellement de choses m’intéressaient que choisir une voie a été un grand problème (et j’ai fait un mauvais choix). Je l’ai déjà écrit, mais j’aurais voulu être Jarod, Le Caméléon, et changer de vie tous les quatre matins. A une époque d’ailleurs, je voulais être comédienne : avoir mille vies, parce qu’une seule ne suffit pas.

Raconter des histoires, cela vient de là, aussi : explorer tous les possibles, sortir du réel étriqué. Les heures passées à inventer des aventures à mes Playmobil ou à mes Barbie. Et, une fois l’écriture acquise, coucher ces histoires sur du papier.

J’ai toujours aimé le papier. J’adorais découper et coller. J’en mettais partout. J’avais des cahiers entiers illustrés de photographies qui me plaisaient et m’inspiraient. Une tendance que je retrouve avec le Journal Poétique : je « coupigne » (c’est le mot qu’utilisait ma maman) tout ce qui me plaît dans les vieux magazines, et je colle.

Apprendre. Je crois que c’est ma plus grande passion dans la vie : acquérir de nouveaux savoirs. Enfant, mes livres de chevet, c’était le dictionnaire et les encyclopédies. Et aujourd’hui je ne cesse de lire des essais et de m’offrir des formations en ligne.

Il y a aussi la passion des collections. J’étais une collectionneuse de collections, et si je ne me surveille pas, avec moi, tout a tendance à se transformer en collection. J’achète un objet, et puis hop, un deuxième dans la même thématique… et le mouvement est lancé. Mais ce que je préfère en ce moment, ce sont les pierres, que j’ai toujours ramassées partout, et les coquillages bien sûr. J’étais très intéressée par la minéralogie et la géologie. Il y a aussi eu une période archéologie, mais ça je crois que c’est la faute d’Indiana Jones.

En fait, on devrait toujours suivre ses passions d’enfance, parce qu’elles sont la matrice de la personne que nous sommes et de ce qui nous fait vibrer. Il n’y a pas de triche, pas de faux-semblants. Pas de limites non plus. Et aujourd’hui, alors que la rentrée approche à grands pas et que je regarde avec effroi la porte de la prison de mon travail alimentaire qui va se refermer sur moi pour de longs mois, j’ai envie de garder ça, et l’espoir de bientôt me libérer et trouver le moyen de vivre une vie qui me ressemble et me nourrit.

Et vous, quelles étaient vos passions d’enfant ? Les avez-vous suivies ?

Le monde secret d’Adélaïde, d’Elise Hurst : réenchanter le monde

Une fois rentrée chez elle, la tête remplie de leurs histoires, Adélaïde travaille jusqu’à tard dans la nuit, recueillant une petite parcelle du monde pour en faire la sienne. Mais il lui manque toujours quelque chose.

Adélaïde est une solitaire contemplative. Elle passe sa vie à regarder le monde, sans y participer vraiment, jusqu’au jour où un grand orage métamorphose tout…

Un album rempli de poésie et de grâce, à la fois mélancolique et merveilleux, qui nous parle de la solitude, du lien, et de réenchanter le monde. Les illustrations d’Elise Hurst sont absolument magnifiques, elles ont quelque chose d’un peu désuet dans la manière de représenter les animaux, qui nous transporte ailleurs, et c’est merveilleux. Je me suis bien évidemment beaucoup reconnue dans la nature rêveuse et créatrice d’Adélaïde, qui est une figure d’artiste, tout comme renard.

Un très bel album à offrir !

Le Monde secret d’Adélaïde
Elise HURST
Traduction de Christiane Duchesne
D’Eux, 2017

Nobelle, de Sophie Fontanel : d’amour et de littérature

Je relus la phrase. Oui, elle était vaste, bien plus vaste que moi. Même moi qui l’avais écrite, j’étais une étrangère enrichie par elle. Et je compris comment l’on sait, un jour, qu’on a fini un livre. Ce n’est pas le mot « fin » que l’on met tout au bout, ce n’est pas un point jeté après un mot. C’est le prodige d’avoir laissé naître en soi des milliers de phrases comme celle-là, qui tiennent toutes seules un jour au milieu du temps.
Et moi, je contenais ça. 

Je ne résiste pas aux romans qui parlent d’écriture et d’écrivains. Si en plus ils parlent d’amour, je suis presque en pâmoison. Et si, pour couronner le tout, ils sont écrits par un auteur que j’aime, en l’occurrence Sophie Fontanel, je ne vois pas bien comment je pourrais résister.

A l’occasion de son discours de réception du prix Nobel de littérature, Annette Comte revient sur l’été de ses dix ans, celui où elle découvre ce qui la rend unique : écrire. Où elle découvre aussi ce que c’est que l’amour, grâce à Magnus. Où l’amour et la littérature se lient indéfectiblement en elle.

Un merveilleux roman, plein de douceur, à la fois formidable d’innocence car Sophie Fontanel sait à merveille rendre la hauteur de l’enfant, la naïveté de la petite Annette de dix ans qui naît à la fois à la littérature et à l’amour et a cette révélation existentielle qu’elle est une sorte de troubadour, et émouvant. L’amour et la littérature sont intimement liés (je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Somerset Maugham : seuls l’amour et l’art rendent l’existence tolérable), ils naissent du même élan vital, de la même soif d’absolu, essentielle chez les enfants et que l’on voudrait bien conserver à l’âge adulte. Tout comme cette formidable trouvaille que je mettrais bien sur ma carte de visite (et qui règle le problème du féminin) : je suis écrivaste. Parce que je contiens un monde, des mondes, qui ne demandent qu’à sortir.

Ce roman m’a au final fait l’effet d’un petit bonbon qui m’a fait du bien, m’a fait sourire et m’a aussi un peu mis la larme à l’œil par moments ! Un coup de cœur !

1% Rentrée Littéraire 2019 – 5/6
By Hérisson

La lumière est à moi et autres nouvelles, de Gilles Paris : quitter l’enfance

Quelques minutes d’éternité entre ses bras, avant de voir l’intensité du bleu. La lumière est brûlante sur ce rocher. Rien ne sera plus comme avant. Je le sais. Un instant suspendu à côté de lui, à humer ce monde que je ne connais pas encore. Je ressens la chaleur des rayons de soleil en cette fin de journée, comme la caresse d’une vie qui s’offre à moi. Mon passé défile dans ma tête comme un tourbillon. Mais je ne doute plus de moi. Aujourd’hui je suis montée sur ce rocher, avec lui, forte et fragile à la fois.

Quel plaisir de retrouver Gilles Paris et son talent incomparable pour dire l’enfance, avec ce recueil de nouvelles.

Brune et Anton, qui vivent la même histoire mais nous la racontent chacun de son point de vue. Ambre, qui vit seul avec sa mère. Anna, qui tombe amoureuse. Benji, dont la grand-mère n’aime personne. Un ado fasciné par son oncle. Un enfant perdu. Christie, qui s’attache curieusement à Julian. Alice, qui n’a pas connu sa mère. Lucie, qui attend le retour de son père disparu en mer. Aaron, fils d’un funambule musicien. Une veille de Noël. Ruth, qui voit le monde pour la première fois. Tom, qui pense à son frère qui n’a pas vécu. Rose, qui déteste son prénom. Ethel, qui veut retrouver son frère. Un petit garçon atteint de parasomnie. Lior, dont le prénom signifie « la lumière est à moi ».

Tous les personnages de ces nouvelles empreintes de sensualité et de mélancolie sont au seuil, passage entre le monde de l’enfance et celui des adultes : histoires tristes, étranges, douloureuses, habitées par la perte et le manque — d’une mère, d’un père, d’un frère, d’une sœur. Histoires d’amour ou histoires de familles restituées avec la naïveté et la profondeur , la véracité d’une voix : encore une fois l’auteur nous prouve combien il est doué pour faire parler les enfants.

Toutes ces nouvelles sont différentes, et pourtant elles sont reliées par des fils rouges : la mer, présence symbolique et obsédante ; et la lumière, qui éblouit à travers les larmes. Un très beau recueil donc, qui n’est pas toujours très gai, mais qui a la beauté des soleils noirs !

La Lumière est à moi et autres nouvelles
Gilles PARIS
Gallimard, collection « Haute enfance », 2018

1% Rentrée littéraire 2018 – 22/6

Qu’avons-nous fait de nos rêves d’enfant ?

L’autre jour, pour le Truc (qui décidément m’entraîne dans des réflexions existentielles sans fin) je réfléchissais à mes rêves d’enfants et à ce que j’en avais fait (je pense qu’on a là un des effets de la crise de la quarantaine, ne nous leurrons-pas). La question centrale, évidemment, était de savoir ce que la petite fille que j’étais aurait pensé de la femme que je suis devenue. La réponse évidente est qu’elle serait sans doute déçue, mais cette réponse m’a permis de mettre le doigt sur le problème autour duquel je tournicote depuis des années : mes incohérences, mes contradictions, mon sentiment constant d’être écartelée, clivée.

En fait, j’en suis arrivée à la conclusion qu’au lieu de suivre mes propres désirs, j’ai suivi ceux qu’on a formulés pour moi et dont je me suis convaincue qu’ils étaient les miens (« on » étant très divers et recouvrant à la fois ma famille, mes profs et certainement aussi la société).

Je l’ai déjà raconté, la petite fille que j’étais voulait être écrivain. Elle passait des heures à inventer des histoires rocambolesques pour ses poupées, à inventer des dialogues aux bande-dessinées dont elle ne savait pas encore lire le texte. Plus tard, à taper à sa machine à écrire ou à remplir les pages d’un cahier sur la couverture duquel elle avait écrit « roman ». A raconter tout un tas de choses dans son journal intime (que je donnerais cher pour les retrouver, ces journaux !). A écrire une pièce de théâtre avec une amie. Elle voulait être écrivain (et comédienne aussi). Ça, je l’ai déjà raconté, mais il me manquait une clé : pourquoi elle a arrêté d’écrire, cette petite fille, alors que c’était sa passion ? Et bien je crois que c’est tout simplement parce qu’on lui a dit qu’écrivain, ce n’était pas un métier (ce qui n’est pas complètement faux du reste). Alors la petite fille devenue adolescente a rangé son rêve et s’est mise en quête d’un vrai métier. Elle est devenue prof, parce que cela lui permettait de résoudre (croyait-elle) cette contradiction : vivre de la littérature tout en ayant la sécurité de l’emploi. Alors que ça n’a jamais été une vocation (et que très honnêtement, vu ce qu’elle en bavait avec les autres élèves à l’école, ce n’était peut-être pas le choix le plus opportun). Et que ça ne la rend pas heureuse, ça ne l’épanouit pas (même si c’est mieux depuis quelques années, et de fait depuis qu’elle s’est remise à écrire, comme quoi il n’y a pas de hasard). Je n’aurais pas dû oublier ce rêve, le mettre entre parenthèse, et ne prendre le « vrai métier » que comme un filet de sécurité, nécessaire mais secondaire (et en choisir un autre éventuellement, même si je soupçonne que ce choix n’était pas non plus anodin puisque l’enseignement m’a aussi permis de résoudre cette problématique de harcèlement scolaire que j’ai subi : mes premières années j’en ai vraiment bavé avec les élèves et j’avais l’impression de revivre mes cauchemars, parce que j’avais tout simplement peur d’eux et je m’obstinais dans un positionnement qui ne m’allait pas ; aujourd’hui ça va mieux, j’ai plus d’assurance et j’arrive à être moi-même et je crois que c’est le signe qu’il faut que je passe à autre chose).

Et puis, la petite fille que j’étais rêvait du grand amour. Elle n’imaginait pas sa vie sans amour, et pour elle c’était essentiel. Et puis on lui a dit que le plus important c’était de bien travailler à l’école pour avoir un bon métier, pas d’avoir un petit copain. Alors elle a mis ça entre parenthèses, elle s’est dit on verra plus tard. Elle a fait ses études, eu quelques petits copains quand même mais juste pour s’amuser puisqu’on verrait plus tard pour le grand amour, quand elle aurait un travail. Plus tard est venu, mais c’était compliqué parce qu’elle ne savait pas trop s’y prendre (émotionnellement s’entend) et plus c’était compliqué plus elle se disait que c’est qu’au fond d’elle elle ne le désirait pas, qu’elle n’était pas faite pour ça, voilà. Elle voulait être indépendante, enfin elle ne savait pas : elle était incapable de faire la différence entre ce qu’elle désirait vraiment et ce qu’elle croyait désirer, et dans quel sens ça fonctionnait, cette contradiction. Elle était perdue, et assez malheureuse. Et elle avait peur de ce sentiment amoureux qu’elle ne connaissait pas et qui risquait de bouleverser la stabilité insatisfaisante mais finalement confortable de ce qu’elle avait toujours connu. (Ceci explique pourquoi je me suis récemment mise dans une rage folle à propos d’un truc qui tourne sur Facebook et qui dit d’apprendre aux petites filles à étudier et voyager plutôt qu’à chercher un mari : à part faire naître des contradictions insolubles chez les enfants, ça ne mènera pas à grand chose… Moi je veux qu’on leur dise, aux petites filles, que c’est bien sûr important de s’épanouir professionnellement, mais que l’amour, c’est essentiel aussi, et que ça fait partie de l’épanouissement de soi — sauf si elles ne le veulent pas elles).

En fait, elle a toujours vécu avec cette certitude inconsciente et qui a tout bloqué parce que l’inconscient est une force à la puissance inimaginable, qu’elle ne pouvait pas tout avoir et qu’elle devait faire des choix, et des choix raisonnables. Ça a toujours été son problème, les choix. Dans la vie courante, elle essaie toujours d’éviter d’avoir à choisir alors que pour l’essentiel, elle a choisi un jour de sacrifier ses rêves.

La petite fille que j’étais, aussi, adorait être une petite fille, pour rien au monde elle n’aurait voulu être un garçon, et elle n’a jamais considéré que c’était une faiblesse, au contraire. Elle se sentait, pleinement et archétypalement, une fille, adorait jouer à la poupée, mettre des jolies robes — et délaissait les jeux de garçons que néanmoins certains lui offraient. Ou alors elle faisait semblant, pour faire plaisir, mais ça ne l’intéressait pas. Et puis (mais plus tard, quand elle était une jeune adulte) lui est venue une certaine culpabilité, quand on lui a mis en tête que ce n’était que des constructions sociales, qu’elle n’aimait pas vraiment ça, qu’elle n’aimait ça que parce qu’elle croyait que c’était ce que devait aimer une fille (certains profs ont même essayé de la détourner de l’idée de faire un bac L et l’ont encouragée à faire un bac S, parce qu’ils croyaient qu’elle choisissait « une voie de fille », alors que la littérature anime son âme et que les sciences la font vomir. Pour une fois, elle a tenu bon et n’a pas renoncé à son désir). Alors elle aimait toujours les vêtements, le maquillage, faire naître le désir dans les yeux de l’autre sexe, séduire, mais elle était mal à l’aise. Tellement qu’elle en a fait l’objet de ses recherches universitaires, de la parure féminine, de l’Eternel Féminin (Salomé déjà, à l’époque), sans doute pour essayer d’y trouver la clé de ce qu’elle était. Elle a lu à peu près tout ce qui s’est écrit sur les gender studies, en anglais parce qu’à cette époque-là Butler n’était même pas traduite. Deux rayons entiers de sa bibliothèque peuvent témoigner de cette obsession, assez contradictoire puisqu’elle s’intéressait à la fois aux grandes séductrices, aux cultes de la Grande Déesse, et à la déconstruction des archétypes. Elle s’est beaucoup agacée et torturée, s’est dit que oui peut-être elles avaient raison, Butler et compagnie, mais que quand même, elle ressentait tout ça comme intimement faux. Avant de comprendre (mais ça a mis du temps, entre comprendre et intégrer) qu’elle était comme ça, que les archétypes ne naissent pas de rien, que certaines femmes ne s’y identifient pas du tout et qu’elles ont bien le droit, mais qu’elle, elle était comme ça, et que oui, elle avait le droit aussi. Aujourd’hui, elle continue de s’agacer face à certaines féministes qui condamnent la séduction et la coquetterie exactement comme le font certaines religions, et n’acceptent pas que l’on puisse réellement se sentir bien et parfaitement soi-même en étant « féminine ». Qui se croient autorisées à parler au nom de toutes les femmes, comme si nous étions toutes pareilles. (on reparlera très vite de cette question puisque c’est l’objet d’un essai que je viens de lire).

Et puis un jour, elle est tombée follement amoureuse, et son désir d’écriture est revenu (je pense que chez moi les deux sont indissolublement liés : il y a des femmes, quand elles tombent amoureuses, qui ont envie d’avoir un enfant ; moi j’ai envie d’écrire des romans). L’histoire n’a pas fonctionné, mais depuis elle écrit, et tourne autour de ces contradictions qui la construisent. Ses personnages sont toujours des êtres contradictoires et incohérents qui ne savent pas ce qu’ils veulent (ce qu’on lui a d’ailleurs reproché). Mais tournicoter autour de ces contradictions n’aide pas.

Et puis un jour, elle est retombée amoureuse alors qu’elle croyait que ce n’était plus possible, que son cœur était définitivement mort à force d’avoir été brisé. Alors elle a écrit, écrit. D’abord, elle s’est mise à écrire des textes érotiques, alors même qu’elle n’avait pas encore conscience de ses sentiments pour Lui (et pourtant elle aurait dû le voir), mais l’érotisme était pour elle un moyen de se réapproprier certains aspects d’elle-même. Une première étape. Un deuxième roman, qui, elle s’en est rendu compte après, tourne autour d’une autre de ses contradictions. Et puis elle a compris, et s’est mise à écrire comme si sa vie en dépendait. Sur le sujet. Sur ce que l’amour nous fait. Sur la manière dont l’amour est un couteau avec lequel on fouille en nous (c’est Kafka qui le dit à Milena : L’amour c’est que tu sois le couteau avec lequel je fouille en moi), comment l’altérité de l’amour nous révèle à nous-même. 165000 mots en sept mois. Il va falloir couper…

Les contradictions sont toujours un peu là, surtout certains jours. On ne résout pas si facilement autant d’années de clivage. Mais on avance. De toute façon, ne passe-t-on pas toute sa vie à se chercher et à se construire ?

Et aujourd’hui, elle se dit qu’elle aimerait arriver à les résoudre totalement, ses contradictions. Refermer la parenthèse et enfin réaliser ses rêves d’enfants. En essayant de faire taire la petite voix qui lui dit que c’est trop tard, qu’elle a loupé le coche, qu’elle a beau se battre, ça ne fonctionne pas, les éditeurs ne veulent pas de ce qu’elle écrit. Et que l’amour… on verra !

Mais elle sait qui elle est, qui elle veut être.

*

Et vous, qu’est-ce qu’il en penserait, de ce que vous êtes devenu, l’enfant que vous étiez ? Qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant ?

Ma vie de Cougette, de Claude Barras

Ma vie de courgetteOn ne compte plus les récompenses et nominations obtenues par ce petit film d’animation sorti en octobre. Et, si je n’ai pas lu le roman de Gilles Paris dont il est une libre adaptation, j’aime particulièrement l’univers tendre de l’auteur, et j’attendais donc avec impatience qu’il soit enfin disponible en VOD.

Icare dit Courgette a 9 ans. Sa vie bascule lorsqu’il perd sa mère, alcoolique et violente ; quant à son père, il est depuis longtemps parti avec « une poule ». Courgette se retrouve donc au foyer des Fontaines où, après des débuts un peu difficiles, il se trouve une nouvelle famille : la directrice, Mme Papineau, les éducateurs Rosy et monsieur Paul, et les autres enfants qui ont tous une histoire tragique, Simon, Ahmed, Jujube, Béatrice, Alice. Il y a aussi Raymond, le policier qui s’est occupé de lui et qui lui rend visite. Et bientôt arrive Camille, dont il tombe amoureux.

Un film résolument bouleversant et dans lequel on reconnaît l’univers tendre de Gilles Paris et sa capacité absolue à saisir l’âme des enfants. La grande réussite de ce film est d’arriver à se mettre à leur hauteur et de parvenir à dégager une certaine naïveté, une candeur qui contrebalance les histoires effroyables dont ils sont les victimes innocentes : Courgette dessine son papa avec une poule (une vraie, qui pond des oeufs, parce qu’il n’a pas compris les remarques de sa mère), ils se posent des questions sur l’amour et la sexualité. Cela donne donc un film qui fait parfois pleurer, qui émeut toujours, et qui fait à l’occasion sourire, aussi : une belle histoire d’optimisme, de résilience, avec des enfants blessés mais qui parviennent à retrouver foi en leur vie grâce à l’affection qu’ils se portent les uns aux autres et aux adultes qui font tout pour leur offrir une vie meilleure.

Un très très beau film, à voir absolument, avec vos enfants si vous en avez !

Ma vie de Courgette
Claude BARRAS
D’après Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris
2016

Je me souviens…

je me souviensExercice classique d’atelier d’écriture, que je donne souvent et auquel j’aime aussi me livrer régulièrement, surtout en cas de blocage car il permet, l’air de rien, de faire émerger des idées qui, en se carambolant, peuvent donner de nouvelles choses. C’est fascinant lorsque, juste en écrivant « je me souviens », les souvenirs les plus divers remontent à la surface. Drôles, tragiques, anecdotiques ou importants, très anciens ou plus récents, très privés ou collectifs. Cela forme une mosaïque du plus grand intérêt. Enfin, je trouve.

Je me souviens de la cérémonie de clôture des JO de Séoul.

Je me souviens du mariage du Prince Andrew avec Sarah Fergusson. Je me souviens de Léon Zitrone commentant la couleur de la robe, « ivoire », et d’avoir compris qu’elle était en ivoire.

Je me souviens m’être enfuie de chez mes grands-parents quand j’avais 3 ans. Je me revois courir sur le bord de la route, d’une dame qui me demandait qui j’étais, et d’être finalement retrouvée par mon oncle.

Je me souviens que lorsque nous rentrions à la maison le dimanche soir, mon père m’installait sur ses genoux au volant pour faire les derniers mètres.

Je me souviens avoir détesté les beignets à la fleur d’acacia la seule fois où j’en ai mangé.

Je me souviens d’un coulant au chocolat et caramel au beurre salé, le meilleur de ma vie. Je crois que c’était rue de Charonne.

Je me souviens du jour où je suis allée visiter l’école maternelle.

Je me souviens que, petite, je confondais « éventail » et « épouvantail ».

Je me souviens avoir passé des heures à inventer des histoires aux personnages de ma citrouille magique.

Je me souviens qu’à une époque, je voulais devenir vétérinaire.

Je me souviens avoir fait un peu de danse classique.

Je me souviens, mais très vaguement, de la chute du mur de Berlin.

Je me souviens des petits textes érotiques mettant en scène nos professeurs que nous écrivions en cours, ma copine et moi.

Je me souviens du jour où je me suis trompée d’heure et suis sortie de l’école à la récréation de 10h, pressée que j’étais de passer prendre ma main collante à la boulangerie.

Je me souviens de mon plus gros mensonge.

Je me souviens de ma grosse silhouette de Winnie l’ourson en carton.

Je me souviens de ma première boum dans le garage d’une copine, et de la longue robe noir à fleurs que je portais ce jour-là. Les boutons n’arrêtaient pas de se défaire.

Je me souviens de la première histoire que j’ai écrite. C’était un début de roman, ça s’appelait je crois « la jeune fille au pair ». J’avais à peine 10 ans.

Je me souviens du cochon d’Inde Trottie.

Je me souviens de mon premier concert, Plastic Bertrand, sur la place du marché au Cap-Ferret.

Je me souviens de la mort d’Ayrton Senna. C’était un dimanche 1er mai, il faisait beau et j’avais cueilli du muguet, je ne regardais pas du tout la course mais j’ai allumé la télévision à ce moment-là, mue par une intuition bizarre…

Je me souviens du prix de la fondation Varenne que nous avions gagné avec le journal du collège.

Je me souviens de l’atelier théâtre et combien je me sentais à l’aise sur scène.

Je me souviens du jour où un vague oncle m’a prise pour un petit garçon. J’ai pris ça comme une insulte et j’ai beaucoup pleuré.

Je me souviens de ma « meilleure amie » d’enfance et d’adolescence, et me demande encore aujourd’hui combien j’ai pu accepter cette relation toxique aussi longtemps… 

Je me souviens d’un pique-nique dans les dunes.

Je me souviens qu’à la maternelle, j’étais amoureuse de Jérôme.

Je me souviens de l’igloo que nous avions construit dans la cour de l’école primaire, un hiver glacial.

Je me souviens d’une mise en scène formidable de la Cantatrice chauve, des coulisses de la Limousine et des répétitions de la Machine Infernale.

Je me souviens de Bouillon de culture, mais pas d’Apostrophes.

Je me souviens que le samedi soir, je regardais Disney Chanel dans le lit de mes parents.

Je me souviens des histoires que ma maman me lisait quand j’étais petite, et qu’ensuite avec les images je les réinventais.

Je me souviens des épisodes que j’ajoutais à mes séries préférées.

Je me souviens que j’étais abonnée à l’Ecole des Loisirs.

Je me souviens de la marmotte qui met le chocolat dans le papier d’allu, et de Maurice qui pousse le bouchon un peu trop loin.

Je me souviens être montée sur le dos d’un éléphant la seule fois de ma vie où je suis allée au cirque.

Je me souviens d’Hollyday on ice.

Je me souviens de la pièce de théâtre mythologique écrite et jouée avec des amis à l’école primaire. Je jouais Aphrodite et P. qui jouait Athéna a tiré trop fort sur ma tunique qui s’est dégrafée, et je m’étais retrouvée en petite culotte devant toute la classe.

Je me souviens des sorties avec mon grand-père.

Je me souviens des beignets à la pomme que ma grand-mère m’achetais toutes les semaines à la boulangerie.

Je me souviens de l’enterrement de François Mitterrand à la télévision, dans le foyer des élèves au lycée.

Je me souviens du passage de la flamme olympique. J’avais même failli être sélectionnée pour courir à côté mais j’étais trop nulle en sport.

Je me souviens des blagues que l’on faisait à mon prof d’anglais au collège.

Je me souviens du petit ami russe d’une de mes copines de lycée, qui m’avait très bizarrement prise dans ses bras dans le train lors d’une sortie scolaire.

Je me souviens de mon ballon sauteur et de ma voiture à pédales.

En relisant tout ça, je trouve que certaines constantes se dessinent. L’émergence d’une sorte de destin, peut-être…