Amour(s) de Tess Alexandre et Camille Deschiens : la naissance des sentiments

Oui, Imane aimait Alba. Depuis le début, depuis les premiers regards émerveillés, depuis le premier éclat de rire partagé, depuis la première soirée passée ensemble, à l’abri de tout. Mais l’embrasser, être avec elle, le montrer au monde, c’était aussi accepter de se reconstruire entièrement. Et ça, Imane n’y avait pas pensé une seule fois avant de tomber amoureuse. C’était arrivé, c’est tout.

Imane. Lise. Gaël. Cléo. Fatia. Maä. Marco. Nine. Safia. Rebecca. Joshua. Solal. Jo. 1″ personnages qui viennent de tomber amoureux, découvrent les sentiments, le désir, se découvrent eux-mêmes et la force transformatrice de l’amour. Doutent, se posent des question parce que leur amour n’est pas celui qu’ils attendaient, celui que la société attendaient. Mais, toujours, ce ravissement.

Un magnifique album. Des textes courts, comme autant d’instantanés d’amour poétiques et vertigineux. Ici, les amours sont plurielles et vont au-delà des préjugés, et c’est infiniment beau. Les textes sont d’une grande douceur, et parviennent merveilleusement à mettre des mots sur ce qui nous traverse lorsque les sentiments naissent, qu’on est tout chamboulé et qu’on sait qu’après ça, on ne sera plus jamais le même. Quant aux illustrations, elles sont elles aussi d’une beauté infinie, et servent magnifiquement le propos.

Bref, une petite pépite à mettre entre toutes les mains (à partir de 15 ans) pour interroger l’amour, le désir et la sexualité.

Amour(s)
Tess ALEXANDRE et Camille DESCHIENS
Les éditions des éléphants, 2022

Le 28 Octobre, de Piero Chiara

Le 28 Octobre, de Piero ChiaraIl sut immédiatement que cette journée ferait date. Et, effectivement, il s’en souvenait toujours et il s’en souviendrait pendant des années, lors de voyages en train, dans des chambres meublées, dans les bureaux où il travaillerait, comme de l’image la plus forte et la plus belle de sa jeunesse. Même si, au fond, demeurait un peu d’amertume pour cette fin brutale et cette farce ridicule qui s’était achevée de façon honteuse.

Piero Chiara n’est pas un auteur très connu en France — et, du coup, je ne le connaissait pas. Pourtant, il jouit d’une grande notoriété en Italie, auteur d’une oeuvre romanesque riche et variée et de nombreuses nouvelles, qui s’inspirent de sa vie picaresque. Il est aussi connu pour ses convictions antifascistes, qui lui ont valu quelques ennuis. Dans Le 28 octobre, court récit composé entre 1961 et 1964, il s’inspire d’un épisode fondateur de sa jeunesse.

Fils unique, dilettante, après des années à dilapider son argent sur les tables de jeu, Peppino vient d’obtenir miraculeusement le concours de greffier adjoint, et quitte Luino pour Pontebba, à la frontière autrichienne. On ne peut pas dire qu’il soit très motivé pour cette carrière de fonctionnaire qui s’annonce, mais tout compte fait, ce départ l’arrange un peu, vu ce qui s’est passé quelques jours plus tôt, le 28 octobre, dixième anniversaire de la marche sur Rome de Mussolini…

Un petit roman astucieusement construit, drôle et ironique, léger et primesautier, et en même temps d’une sensualité délicate et troublante. En peu de pages, avec un indéniable sens du burlesque sur la fin, Piero Chiara parvient à la fois à faire la satire de la vie de Province, à ridiculiser le fascisme et à nous offrir une délicieuse éducation sentimentale et érotique avec une femme, Ines, incarnant la quintessence de la féminité. Difficile d’en dire plus sans tout dévoiler, mais ce petit récit constitue une très belle découverte ! Ne passez pas à côté !

Le 28 octobre
Piero CHIARA
Traduit de l’italien par Marie-Françoise Balzan
La fosse aux ours, 2017

Place Colette, de Nathalie Rheims

Place coletteJe savais, depuis longtemps, par où cela devait commencer, mais j’ignorais quand viendrait le moment d’écrire ce chapitre de ma vie. J’imaginais le jour où, malgré ma gêne, je n’aurais plus le choix ; assignée à regarder en face le déroulement des événements, il me faudrait les raconter, les exposer au grand jour.
A force de se bousculer dans mon esprit, les fictions et les romans vrais, tout a fini par se ressembler. Plus j’avance dans ma vie et dans l’écriture, plus j’ai du mal à distinguer la réalité sous les décombres des simulacres de mon existence. C’est particulièrement évident dès qu’il s’agit de mon corps ou de mes désirs. Pourquoi sont-ils, l’un comme l’autre, aussi absents de ce que je suis capable d’exprimer ?

Roman après roman, Nathalie Rheims devient un de mes auteurs de référence : rien d’étonnant donc à ce que son dernier soit une de mes premières lectures de la rentrée littéraire et la première que j’ai effectuée dans mon bien-aimé hamac, sous les pins, d’autant qu’il appartient à la veine autobiographique que Nathalie Rheims appelle « romans vrais », et qui est celle qui m’intéresse le plus.

Après une longue maladie qui a emprisonné son corps de nombreux mois, la narratrice, à 13 ans, se découvre deux passions, qui ne sont pas sans liens l’une avec l’autre : le théâtre (durant sa maladie, elle n’a fait que lire), et un comédien de 30 ans son aîné, Pierre. Les deux lui permettront de grandir et de devenir celle qu’elle est.

Ce roman, c’est une sorte de Lolita qui serait raconté par Lolita elle-même : une jeune fille qui séduit un homme bien plus âgé et en fait son « initiateur » sur le chemin de la vie. Cela peut mettre mal à l’aise, évidemment, d’autant que c’est un « roman vrai », et pourtant il ne se dégage de ce texte absolument rien de sordide, au contraire : c’est un roman d’une grande pudeur, extrêmement émouvant de par la lucidité que la narratrice montre envers l’adolescente qu’elle était. Une adolescente qui, de fait, était en total décalage avec son âge, de par sa maladie mais aussi, sans doute, par nature : une jeune fille solitaire, contemplative, aimant le silence et la lecture, d’une assez grande maturité mais manquant totalement de confiance en elle, se trouvant laide, mais animée tout de même d’une pulsion de vie bien normale quand on vient de passer trois ans enfermé dans un corset. Aucun garçon de son âge ne peut l’intéresser, il est donc logique qu’elle cristallise sur un homme plus âgé qui, en outre, incarne l’autre passion de sa vie, le théâtre : ce roman, c’est avant tout un roman initiatique, une éducation sentimentale, d’autant plus importante que notre narratrice n’a de l’amour qu’une connaissance livresque, le couple formé par ses parents n’étant pas un modèle des plus convaincants (c’est le moins que l’on puisse dire). Malgré tout, Pierre l’aide à grandir, à assumer ses choix, à se réconcilier avec elle-même, et même si son attitude reste énigmatique, il est un élément essentiel dans la vie de la narratrice.

Ce roman interroge profondément, et c’est toujours une bonne chose.

Place Colette
Nathalie RHEIMS
Leo Scheer, 2015

RL20153/6
By Hérisson