Réanimer la nature, de Val Plumwood : la voie active

Pour le reste, voici mon conseil : libérez votre esprit, et apportez votre propre contribution au projet visant à déranger le réductionnisme et le mécanicisme. Aidez-nous à réimaginer le monde en termes plus riches, afin de nous mettre en dialogue avec les autres espèces, pour nous assigner au cadre de leurs besoins et nous mettre en contact avec d’autres types d’esprit. Je n’essaierai même pas de vous dire comment faire. Mais j’espère vous avoir convaincu qu’il ne s’agit pas d’un projet de dilettantes. La lutte pour penser autrement, pour transformer notre culture réductionniste, est un projet de survie fondamental dans notre contexte actuel. J’espère que vous y participerez.

L’être humain a tendance à se considérer comme séparé et au-dessus de la nature : c’est le résultat de siècles de mécanicisme et de réductionnisme, qui fait de notre environnement un objet dépourvu de pensée. Mais l’être humain oublie un peu vite que lui aussi peut servir de repas à un animal sauvage : c’est ce qui est arrivée à Val Plumwood, qui a bien failli être dévorée par un crocodile.

Dans ce court essai qui date de 2009, elle s’attache à replacer l’humain au sein de la nature et non en-dehors, et de faire faire émerger l’idée d’une nature « à la voie active », non pas une machine mais un élément doté d’une intention et d’un but.

Un essai passionnant, et qui tombe parfaitement dans le contexte de mes recherches actuelles sur l’immanence et la non-séparation entre les différents éléments qui constituent notre monde, là où le patriarcat a introduit dualisme et séparation partout. Entre écoféminisme et philosophie/éthique environnementale, il nous propose de penser autrement le monde, de poser des questions, et d’apporter notre contribution à cette redéfinition de notre rapport au monde. C’est parfois très complexe, mais il y a surtout nombre de passages vraiment très intéressants, et j’ai particulièrement apprécié la fin, qui aborde le rôle de l’écriture et des écrivain, faisant de ce projet un projet poétique !

Réanimer la nature
Val PLUMWOOD
Traduit de l’anglais (Australie) par Laurent Bury avec la collaboration de Diane Linder
PUF, 2020

La dislocation, de Louise Browaeys : un puzzle aux pièces manquantes

Mais je ne veux pas savoir mon prénom, ai-je ajouté tout de suite, en levant les mains, je veux le retrouver toute seule. C’est comme si de la robe que je portais jadis, il ne restait plus que les coutures. Tous les pans ont été arrachés un à un par des bêtes sanguinaires qui ressemblent étrangement à des hommes, et les fils pendent bêtement, attendant qu’on les noue ensemble. En dessous, ma peau est pleine d’eczéma. On dirait qu’elle est érodée, me dit K., ce qui m’a permis d’apprendre un mot. Tout un peuple de fantômes m’accompagnent jour et nuit mais dès que j’essaie de m’approcher d’un visage, il s’évapore. J’ai perdu aussi une partie de la notion du temps et de l’espace. En revanche, j’ai la mémoire des gestes. Je peux facilement mettre la bouilloire en marche, tirer les rideaux, me brosser les dents, tourner les pages d’un livre, fumer une cigarette, me masturber en pensant à mon kiné. 

Un premier roman, fable écologique et politique, dont on commence à pas mal entendre parler, et qui m’a beaucoup enthousiasmée, à quelques nuances près.

La narratrice a totalement oublié ses 33 premières années de vie : elle ne sait plus ni qui elle est, ni d’où elle vient, elle a aussi oublié les mots et note ceux qu’elle apprend dans un petit carnet. A ses côtés, son ami K la soutient, sans rien lui dire de ce qu’il sait. Son passé, l’événement qui l’a disloquée, elle doit le retrouver seule, tout comme elle doit réapprendre à vivre…

Un roman enthousiasmant, donc : la narratrice, faute de mémoire, a en quelque sorte fait table-rase, vit dans le passé et se projette dans le futur tout en posant un regard absolument neuf sur le monde. Une sorte de reset qui nous offre des moments de touchante naïveté et de poésie, comme lorsqu’elle croit se souvenir de l’amour : C’est précisément en me suçant les doigts que je me suis souvenue d’un homme que j’avais aimé. C’était aussi doux que le ketchup. Aussi uniforme, aussi lisse, aussi chaud. Ce sentiment-là ne pouvait être que de l’amour. Des moments charnels, sensuels, car le réapprentissage du monde de la narratrice passe par les sens et la sexualité. Tout est corporel, charnel dans cette enquête de soi. Et puis, le texte bascule, on comprend ce qui l’a disloquée, désarticulée, ce qui a basculé au point de faire craquer sa conscience. Et il est toujours question de corps : le corps de la femme, le corps de la terre, la dislocation de la nature et la dislocation des femmes comme symptôme, la maternité, la femme sauvage qui refuse la domestication, une histoire de sorcières et d’écologie. Autant de sujets qui m’intéressent et me font signe actuellement.

Mais. Car il y a un mais. La fin m’a un peu perdue, et notamment l’épilogue. Parce que j’y ai retrouvé des traces (qu’il y a ailleurs) d’une idéologie que je combats (je ne spoile pas, par contre l’Univers me harcèle avec cette histoire ces derniers temps et je sais qu’il faut que j’écrive un article sur le sujet en plus de ma communication à un colloque à la fin du mois) sans trop savoir comment ça s’articule dans la pensée de l’autrice, ce n’est pas clair, mais l’extraordinaire personnage de K. et le traitement qui lui est réservé me laisse songeuse… Le fait est que j’aimerais écrire une autre fin, on va dire (et l’Univers me chuchote à l’oreille : oui en effet).

Donc un roman plein de qualités, agréable à lire mais dont la fin m’a déçue, et qui me laisse perplexe au final…

La Dislocation
Louise BROWAEYS
Harper Collins, 2020

Botaniste, de Marc Jeanson et Charlotte Fauve : histoire naturelle

Tout est encore à faire, ou plutôt à refaire. Il s’agit toujours de recenser l’exceptionnel, mais aussi de le retrouver, ou du moins de décrire ce qu’il en reste. L’exploration est devenue perpétuelle, nous revenons sur nos pas, sur ceux de Saint-Hilaire, sur ceux de Poivre ou d’Adanson, à la recherche de ce que nous craignons avoir perdu. Beaucoup des forêts originelles ont été détruites, beaucoup d’espèces, de paysages ont disparu. La constitution de grands ensembles protégés, de parcs nationaux ne suffit plus : fragments, résidus, cela peut paraître bien maigre par rapport à ce qui a existé. Mais dans une poche de verdure peut se cacher une grande richesse végétale, et c’est là que l’exploration, à nouveau, redevient difficile, dans ces reliquats préservés, perchés au sommet de massifs abrupts, dans les canyons inaccessibles. 

Il y a quelque temps, Anne-Solange Tardy avait parlé de ce récit dans sa merveilleuse « Pochette Surprise » (c’est sa newsletter, pleine de poésie : si vous ne connaissez pas allez vite vous abonner, c’est une bouffée d’oxygène hebdomadaire) et, comme je suis dans ma période végétale, je me suis dit que ça avait tout pour me passionner. Et j’avais raison !

Marc Jeanson est le responsable de l’herbier du Muséum national d’histoire naturelle (je ne sais pas si ce lieu se visite, mais ce doit être absolument émerveillant). Grâce à la plume délicate de Charlotte Fauve, il tisse subtilement un récit personnel, dans lequel il nous raconte son propre parcours de botaniste, et l’histoire de la discipline et de ses héros, autour de l’Herbier.

Un ouvrage poétique et lumineux, d’où jaillit tout un monde de profusion sensorielle : des goûts, des couleurs, des odeurs, des textures, des formes d’une richesse inouïe sortent des pages et s’emparent du lecteur et le prennent par la main pour le mener dans les pas des pionniers de la discipline : Adanson, Poivre, Lamarck, Linné (qui a découvert que les plantes avaient une vie sexuelle), Saint-Hilaire. Un monde de voyages et d’exotisme, parfois dangereux, où le hasard se fait nécessité pour découvrir, collecter, classer, préserver, faire renaître, nommer comme Adam dans le jardin d’Eden, ce qu’on appelle « inventer » : quel bonheur de parcourir ces pages, de se perdre dans le foisonnement de l’Herbier qui est à l’image du foisonnement du vivant, d’aller de découverte en découverte — et se dire qu’il y en a encore tant à découvrir. Et que nous sommes bien petits dans l’immensité de cette biodiversité à préserver !

Bref un vrai coup de cœur pour ce récit : moi qui aime tant me promener dans les jardins botaniques, celui de Paris, celui de Milan, celui d’Orléans mais qui ne peut pas trop le faire en ces saisons intérieures, moi qui aime tant ramasser feuilles mortes et fleurettes pour les mettre dans un cahier qui n’est pas vraiment un herbier mais un peu quand même, bref, moi qui suis de plus en plus sensible à la poésie du végétal, j’ai aimé à la folie ce récit qui fera un parfait cadeau de Noël pour un de vos proches passionné par les plantes, ou pour vous évidemment ! Mon seul regret : peut-être que cela aurait mérité un cahier photos…

Botaniste
Marc JEANSON et Charlotte FAUVE
Grasset, 2019

L’Arbre-Monde, de Richard Powers : des forêts et des hommes

La prof revient à son grand thème : l’arbre de la vie, massif, qui s’étend, ramifie, fleurit. Il semble ne rien vouloir faire d’autre. Poursuivre ses suppositions. Continuer à changer, encaisser les coups. Elle dit : « Laissez-moi vous chanter comment les êtres se transforment en d’autres créatures. » Il ne sait pas trop où elle veut aller, la petite dame. Elle décrit une explosion de formes de vie, cent million de tiges et branches nouvelles issues d’un seul tronc prodigieux. Elle parle de Tāne Mahuta, d’Yggdrasil, de Jian-Mu, de l’Arbre du Bien et du Mal, d’Asvattha l’indestructible, qui a les racines en haut et les branches en bas. Puis elle revient à l’Arbre-Monde originel. Cinq fois au moins, dit-elle, cet arbre a été abattu, et cinq fois il a repoussé à partir de sa souche. Le voici qui vacille encore, et ce qui adviendra cette fois, nul ne saurait le dire. 

Ce roman est sorti l’an dernier, et en pleine reconnexion avec la nature, je l’avais évidemment repéré, mais j’imagine que le temps n’était pas encore venu pour moi de le lire, vu que je n’en ai pas trouvé l’occasion. Et là, l’autre jour, après toute une année d’élevage de plantes, d’enlacement des arbres et de métaphores arboricoles, je suis tombée dessus et je me suis dit : c’est maintenant.

Les personnages de ce roman constituent une forêt : ils sont indépendants, et pourtant liés. Nicholas Hoel hérite de sa lignée une collection photographique représentant le dernier châtaignier américain. Mimi Ma, élevée sous un mûrier, hérite d’un parchemin mystérieux et d’une bague en jade. Les Appich plantent un arbre pour la naissance de leurs enfants : pour Adam, ce sera un érable. Le couple Brinkman-Cazali souhaite planter des arbres pour représenter leur couple. Douglas Pavlicek doit la vie à un figuier banian, et consacre sa vie à la reforestation. Neelay Mehta, génie de l’informatique, crée des mondes virtuels après être tombé d’un arbre. Patricia Westerford est botaniste, et découvre que les arbres communiquent entre eux. Olivia Vandergriff, elle, se moque des arbres jusqu’à ce qu’après une EMI ils se mettent à lui parler.

Palpitant de vie, ce roman est un prodigieux conte philosophique et écologique, nourri de spiritualité et émaillé de nombreux symboles et métaphores. S’appuyant sur les recherches récentes concernant la communications des végétaux et leurs émotions, il les transforme en supports à méditation poétique sur l’homme et les arbres, et en autant de leçons de vie, car nous avons tellement à apprendre des arbres : l’ancrage, le dépouillement, et surtout l’interdépendance. Les personnages se croisent, se lient, parfois intimement, s’engagent dans des voies différentes, mais avec tous cette intime conviction que les hommes sont notre salut.

A titre personnel, ce roman m’a envoyé plusieurs signes. D’abord parce que je ne sais pas ce qu’a Richard Powers avec les ours mais on en trouve un toutes les 3 pages, et il se trouve qu’actuellement l’ours est ma synchronicité, je ne cesse de trouver des ours sur mon chemin (pas en vrai dans ma cuisine, en tout cas pas encore). Et puis le Ginkgo : je l’avais reconnu dès le départ mais il n’était pas nommé, il ne l’est qu’à la toute fin dans une merveilleuse scène éminemment poétique et symbolique, et il est lié à un personnage que j’ai beaucoup aimé. Une femme sauvage…

Bref : un gros coup de cœur pour ce roman absolument prodigieux. Lisez-le, lisez-le !!!

L’Arbre-Monde
Richard POWERS
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Serge Chauvin
Le Cherche-Midi, 2018 (10/18, 2019)

J’ai testé pour vous… Too good to go, l’application anti-gaspi

Tous les jours, des tonnes de nourriture sont jetées faute d’avoir été vendues assez vite. Or évidemment, c’est tout de même dommage de gâcher autant, que ce soit d’un point de vue économique (jeter de la nourriture alors que beaucoup de gens peinent à se nourrir correctement) que d’un point de vue développement durable : ce sont des ressources gaspillées.

Lancée en juin 2016 mais prenant récemment de plus en plus d’ampleur, l’application Too good to go vise justement à réduire ce gaspillage. Le principe est simple : l’application vous geolocalise et vous propose des « paniers à sauver » chez les commerçants autour de vous. Beaucoup de boulangeries ce qui est assez logique vu que les produits ont une durée de vie d’une seule journée, mais aussi des supermarchés, et autour de moi j’ai repéré de nombreux magasins bio ou de producteurs locaux. En fait, chaque jour de nouveaux commerçants rejoignent le mouvement, et c’est très bien. Le panier est surprise : vous ne savez absolument pas à l’avance ce qu’il contiendra, cela dépend des invendus du jour et vous ne pouvez bien entendu pas choisir. En gros, vous avez une valeur de 10€ dans un panier vendu 3€ (à peu près, cela dépend des commerçants).

En fait le plus dur dans l’histoire est d’arriver à choper un panier (enfin ça dépend dans quels commerces aussi, mais je ne souhaitais pas tenter dans des commerces où je ne me servirais pas) et ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines que j’ai réussi à attraper un panier dans une très bonne boulangerie au bout de ma rue. La photo illustre l’article, donc vous voyez que question quantité j’en ai eu largement pour mes 2,99€ : 4 croissants, un pain aux graines, une tarte salée et un gros sandwich (et puis c’était une vraie boulangerie artisanale, donc des excellents produits).

Test largement positif ! Après je ne crois pas que j’en ferai un mode de vie quotidien : d’abord ça en fait un peu trop, du coup (de fait j’ai mis pas mal de choses au congélateur, ça me servira en cas de rien à manger / envie subite de croissant) et n’étant pas dans le besoin je trouverais ça dommage d’en priver des étudiants ou des gens avec enfant (vu que dans mon coin il faut se battre pour avoir les paniers : ils ne resteront donc pas en plan). D’ailleurs on pourrait imaginer, en plus de la possibilité offerte par l’application de faire un don aux restos du coeur, qu’on puisse offrir des « paniers suspendus » : prendre un panier pour que par exemple un sans-abri puisse aller le chercher.

En tout cas, une très bonne idée !

Végétaliser la ville

A Milan, je me suis souvent fait cette réflexion que, tout de même, les végétaux, dans une ville, ça change tout ! J’ai rarement vu autant de vert dans une ville : sur les toits, sur les murs, sur les trottoirs, dans le moindre espace, on plante, des arbres, des fleurs, des plantes ; les balcons sont envahis de végétation. Milan veut en faire encore plus, mais ils sont déjà en avance : végétaliser les villes, c’est un impératif absolu !

Bien sûr, le premier avantage est que c’est agréable et joli, tout ce vert, que ce soit les plantes (je ne reviendrai pas sur les bénéfices pour l’âme et pour le taux vibratoire de s’entourer de plantes vertes) ou les parcs et jardins. J’aime de plus en plus les parcs et jardins et l’une de mes nouvelles habitudes, dès que j’ai un coup de blues (souvent), est d’aller me promener un moment dans un espace vert plein d’arbres. Ça me fait du bien (alors que la ville m’oppresse de plus en plus : je ne supporte plus tout ce bruit et cette agitation, en tout cas en ce moment où j’ai besoin de calme). Je me suis acheté un livre sur les arbres, pour apprendre à communiquer avec eux. Donc voilà : plus de verdure dans la ville, c’est apaisant. Et si on ajoute que cela favorise le « vivre ensemble » (les gens se parlent dans les parcs, et n’oublions pas les potagers partagés), on a déjà beaucoup de bonnes raisons.

Mais tout aussi important est l’aspect écologique : certaines plantes aident à lutter contre la pollution en filtrant les particules, les arbres sont un formidable appareil pour lutter contre les émanations de CO2, et tout cela rafraîchit vraiment !

Végétaliser la ville est donc un projet qui devrait nous occuper tous : les municipalités bien sûr, mais aussi chacun de nous, à son échelle : lorsque je suis rentrée de Milan, un truc m’a sauté aux yeux, c’est que les gens ne profitent absolument pas de leurs balcons. Souvent ils sont absolument vides (alors que le mien est vraiment une pièce de la maison, avec une table et des chaises mais surtout mes plantes et légumes !). Alors il y a effectivement des règlements par endroits : mais peut-être est-il temps de les faire sauter pour le bien de tous, afin que les gens puissent, planter, cultiver, faire pousser et que le vert reprenne sa place ?

L’Esprit de la forêt, de Iwan Asnawi : un chamane naturel

Depuis tout petit, pour moi, l’esprit de la jungle n’était pas juste une idée, une croyance : je le sentais, je le voyais, j’en étais imprégné. Je ne faisais qu’un avec la Nature, et ce même si le clan de mon grand-père avait été détruit par la colonisation et que l’on ne se revendiquait plus d’une appartenance culturelle ou spirituelle, comme j’apprendrais à le faire à nouveau plus tard dans ma vie. Je sais que cela peut paraître étrange pour un Occidental, mais l’esprit de la jungle m’habitait et me protégeait : je m’en sentais le dépositaire et l’héritier. Si cela peut paraître excentrique ou curieux vu de l’extérieur, c’était vraiment ma réalité au quotidien, jusqu’à ce qu’une autre réalité, liée au contexte politique de mon pays, s’impose à nouveau.

Iwan Asnawi a passé son enfance dans la jungle indonésienne, au contact de la Nature et des animaux, chez ses grands-parents guérisseurs — lui-même a ce don, il est un « chamane naturel », mais n’est pas encore prêt à le développer, et pendant longtemps il essaie de nier ce qui se passe en lui, alors que le régime militaire saccage sa jungle. Adulte, il s’exile en Suisse, et finit par accepter son don.

Un court récit, qui m’a totalement envoûtée et dont beaucoup de passages ont fait écho. J’ai notamment été vivement intéressée par la question du don, de la manière dont il se transmet et grandit, et tout le parcours du narrateur vers l’acceptation de ce qu’il est : un parcours à la fois spirituel et écologique. Il a reçu un don, qui est comme une graine donnée par la Nature mais dont nul ne sait comment il grandira et se développera, ce qu’en fera la personne qui l’a reçu, comment elle le fera croître ; chacun, dans ce domaine, va à son rythme car on ne tire pas sur les racines pour faire pousser un arbre. Et il s’agit bien, ici, de spiritualité, qui est finalement l’inverse même de la religion : la connexion avec l’esprit de toute chose.

De manière pour ainsi dire naturelle, la spiritualité est étroitement liée à l’écologie : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, et celui d’Iwan Asnawi ne consiste pas seulement à « guérir » les gens, mais aussi à préserver l’environnement, en défendant le maintien des traditions et le sauvetage de la jungle : paru le 28 août, il ne pouvait pas mieux tomber !

Un récit passionnant donc, qui au-delà du parcours personnel du narrateur nous invite à nous poser les bonnes questions concernant notre propre cheminement et notre lien à la Nature !

L’esprit de la jungle
Iwan ASNAWI
PUF, Nouvelles Terres, 2019