3%, de Pedro Aguilera

3% de Pedro AguileraO mondo dividido em dois lados. Um farto e um escasso. Entre eles, e um processo de seleçao. Aos 20 anos de idade, uma unica chance. Os escolhidos nunca retornam. Eles são os 3%.

Je suis tombée par hasard sur cette série dont je n’avais absolument jamais entendu parler, la première production de Netflix Brésil.

An 104 du processus. Les jeunes de 20 ans se rendent dans un grand bâtiment où, pendant quelques jours, ils participeront au « Processus », dans l’espoir de faire partie des 3% de la population qui sortiront de la misère du continent et auront la chance d’aller vivre dans un lieu idyllique nommé « l’Autre Rive ». Mais le Processus n’a pas que des adeptes, et un groupe de révolutionnaires qui se fait appeler « La Cause » tente par tous les moyens d’y mettre fin…

Une série très riches et polysémique qui, malgré ses moyens limités, offre une profonde réflexion sur le monde et la société. L’univers qui nous est présenté est une dystopie assez classique : d’un côté la misère la plus noire, de l’autre les bienheureux de l’Autre Rive (que dans cette saison 1 on ne voit presque pas), et une séparation totalement hermétique entre les deux puisque l’Autre Rive n’est accessible que grâce à une sorte de sous-marin, et que ceux qui passent de l’autre côté abandonnent tout derrière eux. Le seul moyen d’y accéder est de tenter le Processus : chacun, au cours de sa vie, a une chance de montrer son mérite (le mot est très important) au cours d’épreuves diverses, à la fois collectives et individuelles : entretiens, épreuves d’entraides qui doivent faire émerger un leadership, épreuves physiques ou de logique, épreuves aussi où un choix est très difficile à faire. Cette saison 1 s’attache particulièrement à un groupe de candidats, dont l’histoire et la personnalité sont creusés au cours d’un des épisodes, ainsi qu’à Ezequiel, qui dirige le processus.

Passionnante à suivre, la série pose énormément beaucoup de questions, et notamment celle-ci : de quoi est-elle la métaphore ? J’ai tout de suite pensé à la Religion, et d’ailleurs il y a toute une mythologie de l’Autre Rive, créée par un couple fondateur ; on peut aussi penser à l’immigration. Plus généralement, à la société, avec ce débat latent : tout le monde à la possibilité de passer le processus et de faire partie des 3% d’élus, seul le mérite compte, pas l’héritage familial qui n’existe pas (ce qui, du coup, n’est pas complètement le cas dans nos sociétés). Mais du coup, ceux qui n’y parviennent pas, où qui ne veulent pas faire certains sacrifices demandés à ceux qui vont de l’autre côté, sont totalement abandonnés. Et pour y parvenir, certains sont prêts à tout, la fin justifiant les moyens… et la fin de la saison est suffisamment ouverte pour qu’on se dise que la réponse n’est peut-être pas si simple, et que peut-être il n’y en a pas du tout.

En tout cas, une série à voir absolument, rythmée, passionnante, qui fait marcher les méninges… et m’a en outre permis de dérouiller un peu mes vagues connaissances en portugais !

3%
Pedro AGUILERA
Netflix, 2016 – en cours de production

Black Mirror, de Charlie Brooker

Black Mirror, de Charlie BrookerDepuis le temps que j’entendais parler de cette série, j’ai enfin pris le temps de la regarder, avec un fail au départ : j’ai commencé par la saison 3. Ce qui n’est du reste pas très grave, puisque chaque épisode est totalement indépendant.

Black mirror est donc, à la manière par exemple de la Quatrième dimension, une série anthologique : chaque épisode illustre une manière dont notre société pourrait, à cause de la technologie et de sa place grandissante dans nos vies, devenir une dystopie. De manière générale, cela commence plutôt bien (pas toujours) et, illustrant la loi de Murphy (tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal) les choses dérapent. Nous sommes ainsi plongés dans une société hyper-connectée où les gens se notent les uns les autres et où ceux qui ont des notes très élevées, les « influenceurs », ont des avantages ; des tests de réalité virtuelle un peu trop réelle ; des hackers qui jouent aux Sims avec des personnes réelles en les faisant chanter ; un programme de thérapie par immersion nostalgique ; une télé-réalité devenue la vraie vie ; une puce qui enregistre tout ce qu’on voit comme une caméra ; un parc d’attraction où les coupables de crimes sont châtiés de manière exemplaire (et qui n’est pas sans rappeler l’Enfer selon saint Lucifer)…

L’ensemble est évidemment très déstabilisant et angoissant, pour tout dire orwellien, et suscite évidemment nombre de réflexions sur les effets pervers de la technologie : souvent, ici, l’Enfer est pavé de bonnes intentions, et la catastrophe naît d’une invention à l’origine plutôt intéressante. Après, il est clair que les épisodes sont inégaux : certains sont magistraux, d’autres assez moyens. En outre, j’avoue que je n’ai toujours pas compris en quoi par exemple San Junipero était dystopique — et La Chasse, j’ai beau comprendre intellectuellement le problème, quand j’ai compris de quoi il s’agissait j’ai trouvé ça profondément jouissif.

Bref, une excellente série (voire mini-série car il y a peu d’épisodes à chaque fois) : jetez-vous dessus si vous ne l’avez pas encore vue !

Black mirror
Charlie Brooker
Netflix, 2011 – en cours de production

Le Voyage d’Anna Blume, de Paul Auster

Le Voyage d'Anna Blume, de Paul AusterNe perds pas patience envers moi. Je sais qu’il m’arrive de m’écarter du sujet, mais si je n’écris pas les choses telles qu’elles se présentent à moi, j’ai l’impression que je les perdrai définitivement. Mon esprit n’est plus tout à fait ce qu’il était. Il est plus lent, pesant et moins alerte, et suivre très loin ne serait-ce que la plus simple des pensées m’épuise. C’est donc ainsi que ça commence, malgré mes efforts. Les mots ne me viennent que lorsque je crois ne plus pouvoir les trouver, au moment où je désespère de pouvoir jamais les reprononcer. Chaque jour apporte la même lutte, le même vide, le même désir d’oublier et puis de ne pas oublier. Quand ça commence, ce n’est jamais ailleurs qu’ici, jamais ailleurs qu’à cette frontière, que le crayon se met à écrire. L’histoire commence et s’arrête, avance et puis se perd, et, entre chaque mot, quels silences, quelles paroles s’échappent et s’évanouissent pour ne jamais reparaître.

Mon Paul Auster annuel, en attendant le prochain qui, si mes informations sont exactes, devrait sortir début 2018 (et depuis le temps qu’il n’a pas sorti de roman, je piaffe). Celui dont je vais vous parler aujourd’hui, néanmoins, est très étrange…

Anna Blume écrit à son ami d’enfance depuis « le pays des choses dernières » (le titre original), où elle s’est rendue pour se lancer à la recherche de son frère William, journaliste, mystérieusement disparu. Ce qu’elle a découvert ressemble à l’Enfer : une ville en totale désagrégation, et où règnent la faim, la misère, les prédateurs et la mort, qui n’est peut-être pas finalement ce qu’il y a de pire.

Un roman assez effrayant, qui prend la forme d’un récit de voyage et en respecte globalement les codes, mais un voyage en dystopie, une sorte de post-apocalypse où toute une civilisation s’est effondrée et où les hommes sont revenus dans une sorte d’état sauvage, luttant âprement pour leur survie. De ce qui a mené à cette situation, nous ne saurons mais rien, de même que nous ne saurons jamais quel est ce pays (ou plutôt cette ville) même si quelques indices peuvent mener à penser qu’il s’agit des Etats-Unis : ce qui importe, ce sont les conséquences de cet effondrement, la description d’un monde chaotique où les choses disparaissent et s’oublient, ne sont même plus nommées. L’ensemble est profondément déstabilisant, à la fois finalement assez réaliste et peut-être prophétique sur l’avenir du monde, et profondément métaphorique et symbolique : en tout cas, le roman invite à la réflexion, montrant la fragilité de la civilisation qui peut s’effondrer à tout moment et ramener les hommes à l’état animal. Même Anna, qui vient d’ailleurs, a toujours vécu dans le confort, finit par être gagnée par cette déliquescence. Et pourtant, le roman distille une lueur d’espoir : même dans ce chaos, il reste des êtres profondément humains et altruistes.

Ce roman ne se classera pas parmi mes favoris de l’auteur : je préfère largement lorsqu’il nous parle d’écriture et de création (il y a des moments ici où il le fait un peu, cela dit). Mais cela reste un roman à lire parce qu’il interroge le monde, même si probablement il n’existe aucune réponse à ses questionnements.

In the Country of Last Things (Le Voyage d’Anna Blume)
Paul AUSTER
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Ferragut
Actes Sud, 1989 (Livre de Poche 1994)

Les Sorcières de la République, de Chloé Delaume

Les Sorcières de la République2017, la peur, la précarité, la colère. Le besoin d’avenir qui fait tout accepter, le storytelling qui acquiert un statut institutionnel. Les changements qui s’opèrent par pactes de lecture, la lassitude qui mène à la curiosité. La percée du Parti du Cercle et son ascension fulgurante. Réseau radicalement antiphallocratique, il se revendiquait d’Héra, exigeait que les pouvoirs fussent tous rendus aux femmes, et les sources de leur oppression enfin neutralisées. Le monothéisme en faisait partie. Le Parti du Cercle, pour certains : un remède à l’islamisation, efficace en périphérie. Une secte dite d’intérêt public, qui prônait la sororité, l’autonomie orgasmique et les enseignements du Nouveau Commencement. Une cellule d’activistes pagano-féministes, qui pratiquaient la magie à des fins politiques. Et dont la candidate a récolté sans peine les cinq cents signatures d’élus nécessaires à l’investiture.

J’avais noté ce roman depuis sa parution, vu le sujet, vous pensez bien : moi qui pense fermement que la sorcière est l’icône féministe ultime ! Mais je n’avais pas dû le noter assez gros, et il était un peu passé à la trappe. Mais l’autre jour, piqûre de rappel : Chloé Delaume est passée à la Grande Librairie, elle m’a enchantée, et dès le lendemain j’ai acheté le roman et l’ai commencé, attablée au Flore.

2017. Elisabeth Ambrose, du parti du Cercle, formation pagano-féministe, arrive au pouvoir, portée par l’espoir de changer la société, éradiquer le patriarcat et les monothéismes, et rendre leur pouvoir au femme. Mais trois ans plus tard, 98% des électeurs votent l’amnésie collective : toutes les archives sont détruites, et un sort d’oubli est jeté sur tout le monde. C’est le « grand blanc », qui cause de graves traumatismes. Alors, en 2062, le Président de la République décide qu’il est temps de savoir enfin ce qui s’est passé durant ces trois années. La Sibylle, arrêtée, doit répondre de ses actes au cours d’un grand procès…

Absolument fascinant et porté par une voix originale qu’on croirait véritablement être celle de la Sibylle, ce roman interroge notre société et ses ressorts, mais sur un mode mi-désinvolte mi-burlesque. Tout l’enjeu est de montrer comment une utopie, éminemment séduisante tout en restant assez fantaisiste dans les faits (Chloé Delaume fait preuve d’une inventivité assez folle) et grandement iconoclaste, peut se transformer en cauchemar. C’est un livre très politique, qui s’appuie sur une grande culture à la fois populaire et canonique, et grâce au dialogisme, pose des questions fondamentales : le rôle du monothéisme patriarcal dans l’oppression des femmes (ça ce n’est plus à prouver) mais aussi plus généralement dans la catastrophe à laquelle nous arrivons, mais aussi les différentes pensées féministes. Et c’est ce qui est le plus intéressant : le roman est féministe, mais un féminisme suffisamment ouvert pour que tout le monde s’y retrouve, les différents discours comme ceux ceux de Judith Butler sont mis en perspective, discutés, interrogés, débattus. Chloé Delaume met en scène les déesses de l’Olympe et chacune, finalement, incarne une manière d’être femme et d’être féministe, sans culpabilisation, et malgré ces différences elles parviennent à s’unir : c’est bien cela qui manque au féminisme actuel pour réussir politiquement et changer le monde. Bon, après ça tourne mal, mais la société qui sort de tout ça est dans un premier temps plus que séduisante. En tout cas, je vote pour !

Un roman très sérieux dans ses questionnements, mais en même temps follement drôle (les échanges d’emails entre Artémis et J.C ou encore les débats entre les déesses sont des moments d’anthologie) et même jouissif : je le conseille sans réserves. A tout le monde. Pour moi c’est un coup de coeur !

Le Nouveau Commencement, c’est maintenant !

Les Sorcières de la République
Chloé DELAUME
Seuil, 2016

challenge12016br10% Rentrée Littéraire 2016 – 39/60
By Lea et Herisson

The Lobster, de Yorgos Lanthimos

The-Lobster-v3-1As you understand from your brother’s experience if you fail to fall in love with someone during your stay here, you will turn into an animal. As an animal you will have a second chance to find a companion.

Un film que je voulais voir depuis sa sortie : le sujet ne pouvait qu’intriguer (et pour tout dire effrayer) l’animal solitaire que je suis…

Dans un futur proche, il est interdit d’être célibataire. Après une séparation, David se retrouve donc contraint de rejoindre l’Hôtel, où il aura 45 jours — un peu plus s’il neutralise des rebelles appelés « solitaires » — pour tomber amoureux d’une personne à laquelle il sera assorti. S’il échoue, il sera changé en l’animal de son choix, en l’occurrence un homard.

Le film est à première vue une dystopie de facture tout ce qu’il y a de plus classique, et nous introduit dans un monde où une règle est édictée et supposée assurer le bon fonctionnement de la société, ici la « mise en couple » : il ne s’agit même pas d’amour, les relations amoureuses sont déshumanisées et dépoétisées, il s’agit simplement de former des paires assorties un peu comme des chaussettes, et les individus subissent quotidiennement des leçons pour les convaincre que c’est mieux à deux : si elles ont un compagnon, les femmes ne se font plus violer dans la rue et ne risquent plus de s’étouffer avec un noyau d’olive. Supposée assurer la stabilité sociale, cette règle est pourtant liberticide, et des rebelles la rejettent : ces « solitaires » sont impitoyablement chassés, tout comme est impitoyablement punie la masturbation. Mais, là où le film est original, c’est que le monde des rebelles n’est pas plus accueillant, au contraire : si ailleurs l’amour est obligatoire, là il est strictement interdit. Comment alors trouver sa vraie place ? Où est la liberté d’aimer ?

Magnifiquement filmée, d’une grande mélancolie poétique notamment grâce à une photographie parfaitement maîtrisée et des scènes d’une grâce absolue, cette fable est aussi d’une grande violence. Elle nous donne à voir, finalement, un monde qui est le nôtre, et met le doigt sur un tabou : celui de l’injonction à se mettre en couple. Et c’est triste, entre ceux qui n’ont pas forcément envie mais essaient de se conformer à ce que la société veut pour eux quitte à se trahir pour ne pas être rejetés, ceux qui voudraient bien mais ne trouvent pas leur moitié d’orange et en sont malheureux, ceux qui refusent et se marginalisent mais sont du coup enfermés dans une autre case… L’amour, le vrai, peut-il y survivre ?

Ce film est un pur chef-d’oeuvre, d’une beauté et d’une profondeur rare ! A voir absolument !

The Lobster
Yorgos LANTHIMOS
2015

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus), de Frédérique Martin

J'envisage de te vendreOn s’est aimés tout de suite, au milieu de l’après-midi. A peine le temps de claquer la porte et elle s’est jetée sur moi. Après, on ne s’est plus quittés. C’est comme ça l’amour, le très grand. C’est évident et ça ne se discute pas.

Comme j’aime beaucoup lire des nouvelles, je me suis dit que ce recueil était l’occasion rêvée de découvrir enfin le travail de Frédérique Martin, dont on parle beaucoup sur les blogs, et que je n’avais jusque-là jamais lue.

Douze nouvelles composent ce recueil, très différentes les unes des autres, mais qui ont toutes en commun de pointer les dérèglements de la société, du monde tel qu’il ne va pas, et des liens entre les êtres.

Il se dégage de ces nouvelles un parfum d’inquiétante étrangeté : le monde que nous donne à voir Frédérique Martin n’est pas tout à fait réaliste, mais pas fantastique non plus… C’est le nôtre, mais ses dérèglements sont poussés jusqu’au bout, jusqu’à l’absurde, jusqu’à la dystopie. L’écriture, parfaitement maîtrisée, travaille la métaphore pour disséquer les liens entre les êtres et les évolutions négatives de nos existences. C’est déconcertant, dérangeant même, parfois effrayant, mais cela a le mérite de faire réfléchir de ce que nous voulons pour demain, et de la manière dont on peut éviter au monde selon Frédérique Martin de devenir réel…

J’envisage de te vendre (J’y pense de plus en plus)
Frédérique MARTIN
Belfond, 2016

Lu par : Jérôme, Noukette, Saxaoul, Stephie, Clara

2084 – La fin du monde, de Boualem Sansal

2084C’est une oeuvre de pure invention, le monde de Bigaye que je décris dans ces pages n’existe pas et n’a aucune raison d’exister à l’avenir, tout comme le monde de Big Brother imaginé par maître Orwell, et si merveilleusement conté dans son livre blanc 1984, n’existait pas en son temps, n’existe pas dans le nôtre et n’a réellement aucune raison d’exister dans le futur. Dormez tranquille, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle.

Je n’avais pas particulièrement repéré ce roman, et il est très probable que s’il ne s’était trouvé sur à peu près toutes les premières listes de prix littéraires, je ne m’y serais pas plus intéressée que ça. Mais que voulez-vous, je suis curieuse, et cette omniprésence limite inquiétante m’a donné envie d’en savoir plus.

L’Abistan est un monde immobile, clos, figé dans un présent éternel dans lequel le peuple privé de repères ne peut plus penser et n’a a sa disposition qu’une langue pauvre et sans épaisseur. Ati, un homme qui a passé plusieurs années dans un sanatorium pour soigner sa tuberculose, commence pourtant à se poser des questions…

A bien des égards, ce roman peut faire froid dans le dos, car sa grande qualité est son analyse extrêmement fine des rouages du totalitarisme et de la pensée unique, dans un dialogue constant avec son hypotexte revendiqué : 1984 d’Orwel. On a beaucoup glosé sur ce monde : Sansal lui-même ne cache pas que cette dictature religieuse, où domine la superstition et où la vie est organisée en une succession de rituels qui empêchent l’homme de se retrouver seul et donc de pouvoir penser, est une version dévoyée de l’Islam, un Islam qui aurait réussit à conquérir la totalité de la planète (c’est en tout cas ce qui se dit en Abistan) ; mais à y regarder de plus près, l’Abistan apparaît surtout comme un syncrétisme de tous les totalitarismes et c’est en cela qu’il est intéressant, dans cette fusion entre une dictature religieuse (pas seulement islamique : on trouve aussi certaines caractéristiques du christianisme), une dictature communiste écrasée par la bureaucratie et ou chacun doit faire régulièrement son autocritique mais qui, minée de l’intérieur, se fissure de partout, et une dictature nazie où les rebelles sont envoyés dans des camps d’extermination. Sansal s’y entend pour donner à son monde une épaisseur inquiétante, le bâtir sur des mots d’une grande inventivité et une mythologie originale, et on espère qu’il n’est pas devin.

Le problème de ce roman, c’est qu’il est, du coup, extrêmement didactique et très peu narratif, en tout cas dans la première moitié où le narrateur nous décrit longuement les rouages de ce monde effrayant, mais où Ati n’est finalement guère présent : si cette analyse est intéressante d’un point de vue politique, d’un point de vue littéraire c’est vite lassant, d’autant qu’Ati n’a guère d’épaisseur comme personnage, sans parler de tous les autres qui ne sont que des ombres. En outre, certains points sont difficiles à comprendre, voire peuvent passer pour incohérents.

Bref je ne comprends pas bien la présence de ce roman sur toutes les listes de prix, sauf si on place le politique (et oui, ce roman est indispensable et salutaire) au-dessus du littéraire.

2084 – La fin du monde
Boualem SANSAL
Gallimard, 2015

RL201536/36 – Level 6 complete
By Hérisson