Les Gratitudes, de Delphine de Vigan : à qui dire merci ?

Vous êtes-vous déjà demandé combien de fois dans votre vie vous aviez réellement dit merci ? Un vrai merci. L’expression de votre gratitude, de votre reconnaissance, de votre dette.
A qui ?
Au professeur qui vous a guidé vers les livres ? Au jeune homme qui est intervenu le jour où vous avez été agressé dans la rue ? Au médecin qui vous a sauvé la vie ? 
A la vie elle-même ?

Cela peut sembler un peu paradoxal de parler de gratitude après le petit livre que je vous ai présenté hier, mais ce n’est qu’un hasard (enfin, je crois). De fait, je n’avais pas été plus convaincue que ça par le dernier roman de Delphine de Vigan, Les Loyautés, et si j’avais été logique (mais agir logiquement, ce n’est pas moi), attendu que celui-ci poursuit la réflexion sur les lois intimes qui nous gouvernent et la veine du « roman social » qui n’est pas mon truc, j’aurais passé mon tour. Mais voilà, encore une fois mon intuition a dit « sisi » et j’ai bien fait de l’écouter…

Quand et à qui disons-nous réellement merci, un merci non pas de politesse quand on nous tient la porte mais un merci de réelle gratitude ? Pourquoi Marie éprouve-t-elle une telle gratitude envers Michka, qui vient de mourir ? Et Michka, à qui voulait-elle dire merci ? Et Jérôme ?

Un roman plein de délicatesse et de grâce, qui parvient à lier de manière harmonieuse plusieurs thèmes : la vieillesse et la dépendance des personnes âgées, la question du langage et de la perte, et bien sûr la gratitude, traitée avec beaucoup de subtilité et de tendresse. Le personnage de Michka, en particulier, est extrêmement attachant et plein de générosité.

Un très beau roman, plein d’humanité !

Les gratitudes
Delphine de VIGAN
Lattès, 2019

 

Les loyautés, de Delphine de Vigan

Les loyautés, de Delphine de ViganLes loyautés.
Ce sont les liens invisibles qui nous attachent aux autres — aux morts comme aux vivants —, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires.
Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.
Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves.

J’ouvre (certes avec un peu de retard, mais comme vous l’avez compris ma vie est un peu chaotique en ce moment) le bal de la Rentrée littéraire d’hiver avec ce qui est sans doute l’un des textes les plus attendus, de tout le monde et de moi : le dernier roman de Delphine de Vigan qui, après Rien ne s’oppose à la nuit et D’après une histoire vraie revient au genre qui l’a fait connaître, la fiction sociale.

Theo est un adolescent de 12 ans 1/2 dont l’attitude inquiète beaucoup Hélène, sa professeure de sciences : elle-même ayant été victime de violences dans son enfance, elle projette son passé sur Théo et est convaincue qu’elle doit le sauver. Mais la réalité est beaucoup plus complexe.

Roman polyphonique, Les Loyautés se révèle un texte dur, douloureux, qui traite des thèmes difficiles et montre les failles et les parts d’ombre que nous avons en chacun de nous. Très bien mené et écrit, il s’achève pourtant, je trouve, sur un goût d’inachevé : l’histoire s’arrête, mais les situations sont toujours inextricables et il n’y a pas de réelle résolution. Peut-être que certaines choses auraient pu être davantage creusées et développées. Après, il est clair que la fiction sociale n’est pas un genre que j’apprécie plus que ça, ce n’est pas du tout de toute façon ce dont j’ai besoin en ce moment, et c’est sans doute la raison pour laquelle malgré ses qualités évidentes je suis un peu passée à côté : je préfère vraiment de Vigan sur d’autres terrains. Mais lisez-le, vous me direz !

Les Loyautés
Delphine de VIGAN
Lattès, 2018

D’après une histoire vraie, de Delphine de Vigan

D'après une histoire vraieTu sais, la fiction, l’autofiction, l’autobiographie, pour moi, ce n’est jamais un parti-pris, une revendication, ni même une intention. C’est éventuellement un résultat. En fait, je crois que je ne perçois pas les frontières de manière aussi claire. Mes livres de fiction sont tout aussi personnels, intimes, que les autres. On a parfois besoin du travestissement pour explorer la matière. L’important, c’est l’authenticité du geste, je veux dire sa nécessité, son absence de calcul.

Ce roman était sinon celui que j’attendais le plus, du moins l’un d’eux, en cette rentrée littéraire. Tout simplement parce que j’aime ce que fait Delphine de Vigan, et que cela faisait tout de même quatre ans que nous attendions du nouveau, depuis la publication du sublime Rien ne s’oppose à la nuitLorsque je l’ai commencé, je ne savais même pas de quoi il était question : je n’avais rien lu, rien écouté, volontairement. Une lecture totalement innocente.

Après la parution de son dernier roman, la narratrice, Delphine, est prise d’une phobie soudaine pour l’écriture. Une incapacité d’écrire la moindre ligne, au sens strict, puisque même écrire sa liste de courses est impossible. Beaucoup d’écrivains font l’expérience de ce type de vertige. La fatigue, la pression, multiples peuvent être les raisons de ce blocage. Mais, selon la narratrice, la responsable, c’est L., rencontrée au moment où elle aurait dû se remettre à écrire.

Dès les premières pages, le récit touche de plein fouet : Delphine de Vigan dit magnifiquement la fragilité de l’écrivain, le trop plein d’émotions, la vulnérabilité, la sensibilité exacerbée. Ecrire, c’est mettre toutes ses forces dans quelque chose — et se retrouver ensuite totalement démuni, à la merci de n’importe quel vampire. Et ce d’autant plus que la narratrice est extrêmement émotive depuis l’enfance, peu sûre d’elle et de sa féminité. Les pièces du thriller sont alors en place et peut entrer en scène la manipulatrice qui va s’immiscer dans sa vie et essayer de la réduire à néant. Un thriller donc, parfaitement ficelé, qui tient à la fois d’Hitchcock et de Stephen King.

Oui, mais si c’était tout, ce serait juste un bon roman.

Ce qui est vraiment en jeu ici, c’est la littérature, et cette question qui fait couler des litres d’encres particulièrement en cette rentrée littéraire : le réel et la fiction. Par le jeu du dialogisme, les deux positions s’affrontent : Delphine défend la fiction, parce que de toute façon l’écriture est toujours liée à l’intime de l’écrivain ; L. défend le réel, annonce la mort de la fiction dont les lecteurs ne veulent plus, réclamant du témoignage, du biographique, du vrai, et le rôle de l’écrivain est de donner naissance à ce livre caché que nous portons tous en nous. Alors, réel ou fiction ? La réponse est magistrale, et inscrite au coeur même du fonctionnement du roman. Aux petits faits vrais, « effets de réels » qui viennent signaler un ancrage autobiographique, viennent s’opposer les petits faits faux, « effets de fictions » qui déréalisent l’ensemble et sèment le trouble. Tels les cailloux du Petit Poucet, ils sont ramassés par le lecteur plus ou moins attentif et curieux, qui ira à l’occasion vérifier les faits et se retrouvera bien ennuyé… Mais quelle idée, aussi, d’aller vérifier les faits !

Alors, vrai ou faux ? La réponse est claire : finalement, on s’en moque. Le réel pur n’existe pas, la fiction pure non plus, la littérature est toujours entre les deux.

Brillant dans sa construction et sa mise en abyme, ce roman se lit comme un thriller intelligent qui pose les bonnes questions sur la littérature, et y répond avec maestria. Le tout avec une certaine dose d’autodérision (Aimer un homme qui passait son temps à recevoir et louanger d’autres écrivains, voilà qui lui semblait périlleux […] L. avait été jusqu’à me comparer à une institutrice qui aurait choisi de vivre avec un inspecteur d’académie […] le type rentre chez lui tous les soirs pour lui raconter les expériences pilotes menées par des super profs dans des lycées d’excellence, alors qu’elle n’arrive même pas à maintenir l’ordre dans une classe de CM2…). Pourquoi s’en priver ?

Lu également par Ys, Leiloona

(Article écrit sans aucune pression de François Busnel. Je précise, vu qu’un certain libraire à houppette et aux fautes d’orthographe invraisemblables suspecte ceux qui en disent du bien que c’est juste parce que DdV est la compagne de FB. Non, je m’en fous. Voire, ça pourrait lui être au contraire préjudiciable, la jalousie, tout ça…)

D’après une histoire vraie
Delphine de VIGAN
Lattès, 2015

RL201518/18 – Level 3 complete
By Hérisson

Un soir de décembre, de Delphine de Vigan

11799790824_07db763f42_oCe soir je me suis assise à une table, j’ai posé devant moi ce bloc à petits carreaux et ce stylo plume que j’ai depuis l’âge de onze ans, qui traîne toujours au fond de mon sac. C’est sans doute la seule chose que je n’ai pas réussi à perdre. Ce soir, j’ai commandé une bière et j’ai décidé de t’écrire une lettre. Je suppose que tu en as reçu des dizaines comme celle-ci. Peut-être sauras-tu lire entre les lignes, dans cet espace intact qu’aucun mot ne caresse ni ne frappe, ce que je ne sais pas dire.

Je sais bien que nous ne sommes plus en décembre, mais je n’allais pas attendre un an pour lire ce roman afin que son titre soit raccord avec le calendrier. Cela aurait vraiment été dommage.

Mathieu Brin s’est mis à l’écriture sur le tard. A 45 ans, un soir d’hiver, il a sorti de son tiroir un cahier à spirales et les mots ce sont déversés sur le papier comme mus par un impératif absolu. Donnant naissance à un roman que tout le monde s’arrache. Un jour, parmi les innombrables lettres d’admirateurs, il en découvre une différente, d’abord parce qu’elle lui est adressée à lui et non à son pseudonyme. Une lettre surgie du passée. Qui risque de bouleverser sa vie.

Ce roman est un véritable petit bijou. Lu en une demi-nuit, il m’a tellement chamboulée que j’en suis encore toute retournée. D’abord pour une raison toute bête : sa lecture correspond à un événement un peu du même acabit qui s’est produit dans ma vie réelle, et j’ai trouvé la coïncidence assez troublante pour en être troublée. Et puis, tout de même, parce que c’est un magnifique roman sur l’écriture et le désir, les deux étant évidemment intrinsèquement liés, « le désir nourrit l’écriture et se nourrit d’elle ». Voisinent alors de merveilleuses pages sur le métier d’écrivain, l’émotion qu’il y a à tenir son premier livre sorti des presses, le contact avec les lecteurs, la magie de la création, et de magnifiques pages sur la passion amoureuse, le manque, le transport, la douleur, des pages bouleversantes, presque physiquement parlant. Ici, le désir naît de la mémoire, une mémoire un peu forcée et violée — lorsqu’on avait occulté le passé et qu’il nous revient à la figure, comme un boomerang, réactivant la mémoire d’un corps qui, lui, n’oublie pas : les odeurs, les caresses, mémoires des sens et du plaisir. Mais mémoire parfois trompeuse, dont l’imagination comble les lacunes, entraînant dans la fiction de ce qui a été vécu…

Bref : un coup de cœur ! Encore une fois, Delphine de Vigan montre qu’elle a ce grand talent de bouleverser son lecteur !

Un soir de Décembre
Delphine de VIGAN
Lattès, 2005 (Points Seuil, 2007)

Les Heures souterraines, de Delphine de Vigan

9436261026_892cb669e2_o
Mais les gens désespérés ne se rencontrent pas. Ou peut-être au cinéma. Dans la vraie vie, ils se croisent, s’effleurent, se percutent. Et souvent se repoussent, comme les pôles identiques de deux aimants.

 

Une journée, le 20 mai. Une ville, Paris. Deux êtres en errance, deux destins parallèles qui se croiseront peut-être. Mathilde, qui depuis huit mois subit le harcèlement moral de son supérieur, et est au bord de craquer. Thibault, un médecin qui vient de quitter Lila, qui ne l’aimait pas comme il l’aimait.

Delphine de Vigan est de ces auteurs qui n’apaisent pas et dont les romans percutent le lecteur comme un coup de poing, et le laissent sans espoir. Ce roman fait véritablement froid dans le dos : d’emblée on se retrouve plongé dans un univers sombre, angoissant, celui où l’on est prêt à se raccrocher à n’importe quoi pour survivre et entrevoir une petite lueur d’espoir au fond du couloir sombre que sont les jours qui passent et se ressemblent dans la souffrance qu’ils portent. Une voyante. Une carte jeu de World of Warcraft. Le caractère resserré de l’espace-temps permet la cristallisation des émotions, notamment sur Mathilde puisque Thibault sert surtout de contrepoint, et moins de pages lui sont consacrées. La mécanique silencieuse et implacable du harcèlement moral est parfaitement décrite, extrêmement réaliste, les mots font mouche et sonnent juste pour donner toute l’ampleur de cette jungle urbaine qui broie de l’humain.

Un roman fort, émotionnellement violent comme le sont les situations, bouleversant, mais nécessaire.

Les Heures souterraines
Delphine de VIGAN
Lattès, 2009 (Livre de Poche, 2011)

Lu aussi par Antigone, Sylire, Noukette, Géraldine, Sandrine, Saxaoul, Clara

En bref : François Busnel arrête le Grand entretien… (et c’est le drame)

gdentretien

 

C’est la nouvelle dont je ne me remets pas depuis hier : François Busnel arrête le Grand Entretien. Evidemment, c’est moins terrible que s’il avait dit qu’il arrêtait La Grande Librairie (je regarde toujours la grande librairie, je sélectionne pour le grand entretien). Mais j’ai dit l’autre jour combien j’aimais ces petites conversations informelles avec des gens souvent fascinants, et qui sont un bonheur à écouter.

La seule raison pour laquelle je pardonne à François Busnel de nous abandonner comme ça, c’est qu’il le fait pour la meilleure cause qui soit : celle de l’amour, puisqu’il veut consacrer plus de temps à Delphine de Vigan. Ce que je ne peux que comprendre : avec Lire, l’Express et la Grande Librairie, je pense qu’il a encore largement de quoi s’occuper, et une émission d’une heure par jour, aussi passionnante qu’elle soit, doit être bien chronophage. Donc voilà, je pardonne ce faux bond à François Busnel.

Et je me tiens à l’entière disposition de France Inter pour le remplacer, au cas où ils chercheraient quelqu’un. Au passage, je signale aussi à Antoine De Caunes que j’ai été biberonnée à Nulle part Ailleurs et que j’ai même l’intégrale de ses chroniques. Donc je pense que je pourrais trouver ma place dans son remake du Grand Journal.

(quoi ? J’essaie de me caser, c’est tout…)

Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan

L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire.

C’est avec une très grande impatience que j’attendais l’occasion de lire ce roman, qui est l’un des gros succès de la rentrée littéraire, et dont il me semble n’avoir lu que du bien. J’avais déjà lu, de Delphine de Vigan, Les Jolis Garçons, qui m’avait fortement déconcertée, mais dont j’avais apprécié le style. Je partais donc avec un a priori plutôt favorable…

Un roman difficile à résumer. La narratrice, peu de temps après avoir trouvé sa mère morte chez elle, suicidée, sent comme une évidence qu’elle doit écrire. Ecrire sur cette femme, de son enfance marquée par le drame inaugural de la mort accidentelle de son petit frère Antonin à ses derniers jours. Ce que sa fille nous offre avec ce roman, c’est le portrait d’une femme tourmentée, dont le mal-être saute à la gorge, dont la vie a été hantée par les drames, les morts, les suicides, l’inceste peut-être, et la bipolarité. Ce qu’elle nous donne à lire, c’est Lucile, c’est sa Lucile.

Je commencerai mon avis personnel en disant que depuis mardi, je ne décolère pas contre les jurés du prix Goncourt qui ont évincé ce roman de leur sélection (et vont probablement, comme chaque année ou presque, primer un roman qui n’a pas le moindre intérêt… enfin attendons, mais j’ai peu d’espoir). Car ce roman c’est… une des choses les plus émouvantes et bouleversantes qu’il m’ait été donné de lire ces derniers temps. Ce qui m’a particulièrement fascinée, c’est la manière dont l’acte créateur de l’écriture est mis au centre de la réflexion, où la douleur et l’écriture se mêlent. Une écriture qui s’impose, et qui, à la fois échoue à trouver les réponses, et en même temps atteint son but que nous avons dans les mains, celui d’un roman, celui qui met des mots sur l’indicible et met de la cohérence là où il n’y en a pas. Ce qui m’a profondément marquée, c’est que je me suis sentie très proche de la narratrice, mais aussi et surtout de Lucile, dont les failles, les errances, les duleurs ont fait écho en moi. Je suis sortie de la lecture de ce roman en ayant l’impression d’avoir reçu un coup de poing, et ça, pour moi, c’est la marque d’un grand roman.

Alors moi, à Delphine de Vigan, je lui décerne quand même un prix, celui du coeur, parce que vraiment, elle le mérite.

Les avis de Clara, Lili, Littérature et chocolat, Sandrine, Mango, Géraldine, Leiloona, Sophie, Hérisson et bien d’autres…

Merci à Rémi et à Priceminister

Rien ne s’oppose à la nuit
Delphine DE VIGAN
Lattès, 2011

RL2011b

 Challenge 1% Rentrée Littéraire 2011 6/7
By Hérisson