Qu’auriez-vous aimé comprendre plus tôt dans la vie ?

Je ne sais plus à quelle occasion je réfléchissais l’autre jour au fait qu’en vieillissant, j’avais compris beaucoup de choses, notamment sur moi, sur mes croyances (fausses), et que peut-être, cela n’aurait pas été plus mal de comprendre tout cela lorsque j’étais plus jeune.

Bien sûr, il y a cette croyance au sujet du travail et de l’argent dont je parlais l’autre jour. Il y a aussi toutes mes croyances au sujet de l’amour et du couple.

Il y a aussi les croyances à propos de moi. J’aurais aimé comprendre que je ne dysfonctionnait pas : je fonctionne autrement, c’est tout. Oui, je suis souvent perdue dans mes pensées, et il est difficile de m’atteindre. Oui, mon cerveau est en ébullition constante, j’ai mille idées qui « popent » constamment, et il est difficile de me suivre. Oui, je suis hypersensible, je ne supporte pas le bruit et l’agitation, je pleure devant les pubs Ricoré, et c’est très déconcertant. Oui, je suis passionnée, excessive, et cela peut faire peur. Oui, j’ai des centres d’intérêt extrêmement divers, parfois étranges, j’ai souvent connaissance de faits sans pouvoir expliquer d’où me vient ce savoir, et c’est étonnant. Mais je ne dysfonctionne pas.

J’aurais aimé savoir tout ça, comprendre que ceux qui me harcelaient et me rejetaient ne le faisaient que par peur ou incompréhension. Que ceux qui m’aimaient m’aimaient et m’aimeraient comme je suis, et pour les autres tant pis, ce n’est pas grave, ce n’est pas une grosse perte que de perdre ceux qui conditionnent leur amour à notre soumission à la norme et à ce qu’ils veulent de nous. J’aurais aimé comprendre que je n’étais pas obligée de me contorsionner, de couper des bouts de moi pour entrer dans une boîte trop petite, pas de la bonne forme, pour être acceptée. J’aurais aimé comprendre que si je voulais être aimée, je voulais l’être pour la personne que je suis, et pas pour un personnage que j’aurais créé.

Si j’avais compris tout cela plus tôt, sans doute certains de mes choix auraient-ils été différents.

Mais ce n’est pas comme cela que la vie se passe. La vie n’a pas de mode d’emploi : on apprend en vivant. En faisant des expériences. En vieillissant. On apprend les choses lorsqu’on est prêt. Et il vaut mieux comprendre les choses tard que de ne jamais les comprendre, et passer son existence entière dans les vêtements de quelqu’un d’autre…

Et vous, il y a des choses que vous auriez aimé comprendre plus tôt dans votre vie ?

En décalage…

L’autre jour, comme il faisait très beau, j’ai accompagné ma maman à son club de marche. Nous sommes allées (c’est un club exclusivement féminin) sur les bords de la Vienne, puis en forêt. L’automne commençait à s’installer, les feuilles mortes à joncher le sol, mais le soleil brillait et la lumière dansait sur la rivière.

Au bout de quelques minutes, j’étais déjà 50 mètres derrière tout le monde, non parce que je peine à marcher, mais parce que je passais mon temps à m’arrêter : pour prendre des photos, pour parler aux canards qui se prélassaient sur le bord de l’eau, pour ramasser feuilles glands ou châtaignes, pour juste contempler et me plonger dans mon monde intérieur…

Et je me suis dit que cette promenade était un résumé de toute ma vie : toujours en décalage, jamais à la même vitesse que les autres. Ma maman, qui a l’habitude, leur a dit de ne pas s’arrêter pour m’attendre, que de toute façon je finirais bien par arriver au même endroit que tout le monde, même avec un temps de retard.

J’ai toujours été une contemplative. J’ai toujours aimé m’arrêter pour regarder les choses (c’est encore pire maintenant avec les photos, surtout si j’ai mon Reflex, ce qui n’était pas le cas heureusement), notamment celles que les autres ne voient pas, ne regardent pas. Lorsque je suis en voyage, je n’aime pas courir partout et avoir un programme chargé : j’aime m’asseoir, et observer.

On me dira que c’est bien, ça, qu’il en faut des gens comme moi qui s’arrêtent et contemplent. Et c’est vrai : ça fait aussi partie de ma manière d’habiter poétiquement le monde.

Mais c’est comme l’hypersensibilité : c’est une richesse, mais aussi un boulet. Encore une marque d’inadaptation au monde comme il est malheureusement. Qui agace parfois les gens : ce besoin d’être tranquille, au calme, qu’on ne me secoue pas, qu’on ne me presse pas. Je fais beaucoup de choses, pourtant, mais je les fais à mon rythme et à ma manière. Et parfois, je voudrais savoir aussi les faire comme tout le monde. Cela serait sans doute plus facile pour me lier aux autres.

Une nuit, lorsque j’étais adolescente, un rêve m’a marquée au point que je m’en souviens encore très nettement aujourd’hui : j’apprenais que je venais d’une autre planète, ce qui expliquait beaucoup de choses ; alors, j’entreprenais de rejoindre les miens, c’était un long voyage, et à un moment je traversais une forêt, et je me suis dit, « Ah, c’est une forêt de symboles ». Je raconte souvent ce rêve, parce que je crois que tout mon être y est exprimé : c’est la clé pour me comprendre, pour ceux qui voudront faire cet effort. Ils sont peu nombreux.

Donc voilà, je suis une extra-terrestre, toujours en décalage, jamais dans le même espace-temps que les autres, j’habite dans mon monde à défaut de pouvoir habiter le même que tout le monde (il faut dire aussi qu’il fait assez peu d’effort pour que j’aie envie de l’habiter vraiment, le monde de tout le monde). Et ce n’est pas tous les jours facile.

Je dois venir de la Lune, dans laquelle je suis souvent en plus d’être cyclique comme elle. Ou de Saturne, l’astre des mélancoliques…