
Les Cultural Studies, ou Etudes Culturelles, sont un courant de recherche, une méthodologie marquée par la transdisciplinarité : elle se trouve ainsi à la croisée de la sociologie, de l’anthropologie culturelle, de la philosophie, de la littérature, de la médiologie, des arts… Anti-discipline à forte vocation critique et transgressant la culture académique, elles proposent donc une approche transversale des faits culturels : cultures populaires, minoritaires, contestataires etc.
Pour bien comprendre ce phénomène, il faut partir de la double définition de la « culture » telle que la conçoivent les sciences sociales : d’une part, la culture comme panthéon de grandes œuvres « légitimes », les œuvres consacrées qui s’opposent à la « culture de masse ». D’autre part, au sens plus anthropologique, la culture comme ensemble des manières de vivre, de penser, de sentir, propres à un groupe social. Le propos des Cultural Studies est, justement, d’effacer en quelque sorte cette frontière entre une culture légitime et une autre qui ne le serait pas.
Nées dans les années 80, les Cultural Studies se sont peu à peu répandues dans toutes les universités de la planète. Toutes ? Non, un pays résiste à la vague : la France. Pendant longtemps, les tenants majeurs de la méthode n’ont pas été traduits, et s’ils le sont enfin aujourd’hui (encore que pas tous), force est de constater que pour autant, le courant peine à s’installer : peu de travaux s’y rattachent, et ce peu est souvent le fait des comparatistes dont on sait que la discipline n’a pas un avenir très encourageant. C’est qu’il existe une « exception française » :
longtemps l’Etat français, désigné comme « Etat culturel », joue un rôle éminent dans le développement et la diffusion d’une culture d’élite : une culture lettrée enseignée à l’école, avec prééminence de la littérature et de la philosophie (et longtemps des humanités : grec et latin), académies, audiovisuel public (chaînes et radios culturelles), grand nombre d’écrivains et d’artistes au Panthéon : la culture lettrée est au cœur même de la constitution de l’identité française. Cela explique en partie la répugnance des intellectuels français à étudier de manière sérieuse la « culture de masse ».
Cela explique surtout ce que j’appellerai « snobisme intellectuel », qui entraîne certains à pousser de hauts cris à l’évocation de certains écrivains dits « populaires », qu’ils n’ont d’ailleurs souvent pas lus. Je pense, évidemment, à Guillaume Musso et à Marc Lévy, mais on pourrait sans doute en citer d’autres. Car c’est un fait : en France, un écrivain qui vend beaucoup de livres, apprécié par les masses, ne peut qu’être un piètre prosateur, et en tout cas, quand on revendique son appartenance à l’élite intellectuelle, on ne peut simplement pas lire la même chose que les gens sans éducation, voyons. Alors attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : on a le droit de ne pas aimer ce qu’ils font, de trouver ça mal écrit, on a même le droit de le dire. Par contre, il me semble beaucoup plus gênant de se scandaliser, de s’offusquer, de s’émouvoir de ce que ces écrivains soient en tête des ventes, et inacceptable de traiter ceux qui achètent leurs livres d’imbéciles sans aucun goût, qui feraient mieux de lire de la « vraie littérature ». Alors, on va passer sur la question « c’est quoi, la vraie littérature », pour s’atteler à une autre : pourquoi dire cela est-il totalement idiot ?
D’abord parce que je reste sur ma position maintes fois évoquée que tout le monde ne peut pas tout lire, n’en a pas les capacités intellectuelles, et surtout, n’en a pas envie. Vous savez combien la « culture » m’est vitale : lire, écrire, assister à une conférence, visiter un musée ou une exposition, c’est mon bonheur. D’autres s’y ennuient à périr, et je veux bien le comprendre. Un match de football, par contre, me donne l’impression d’être un poisson tournant en rond dans son bocal tant ça ne m’intéresse pas. Mais d’autres adorent (sinon, les retransmissions ne coûteraient pas aussi cher aux chaînes de télévision) : pourquoi est-ce que j’aurais raison, avec mes films en VO, contre la majorité qui préfère le foot ? Voyons, il faut être raisonnable. L’autre jour, dans Touche pas à mon poste, Christophe Carrière, que j’aime beaucoup mais que je soupçonne un peu d’être snob, émettait l’idée de retransmettre un opéra un samedi soir sur TF1, pour « éduquer » le public à ce genre de spectacles. Nonobstant que de toute façon l’opéra à la télévision n’a aucun intérêt, le fait est que TF1 se prendrait juste un gros bide d’audience ce soir-là, mais les gens ne regarderaient pas sous prétexte que…
Mais si c’est totalement idiot, c’est surtout parce que c’est méconnaître le fonctionnement profond de l’élite, qui s’appuie sur la notion de distinction par rapport à la masse. Une anecdote pour expliquer : Jérôme Lindon, dans une interview que j’ai retrouvée dans un manuel, expliquait les réactions du public à la sortie de L’Amant de Marguerite Duras. L’exemple est bon, parce que les éditions de Minuit sont le prototype de la maison d’édition destinée à un public d’initiés. Lorsque le roman est sorti donc, le public habituel et confidentiel l’a bien sûr encensé, dont une certaine lectrice qui avait alors écrit à l’auteur pour lui dire tout le bien qu’elle pensait de son ouvrage. Mais voilà, Duras a eu le Goncourt, et le roman a eu beaucoup de succès. Que pensez-vous qu’il arriva ? Et bien notre lectrice a écrit une nouvelle lettre, où elle expliquait qu’en fait, elle avait relu le roman, et qu’il n’était pas si bien que ça. Franchement, elle, appartenant à l’élite cultivée, ne pouvait pas aimer la même chose que tout le monde.
Gageons donc que si tout le monde se mettait à aller à l’opéra, l’élite intellectuelle aurait tôt fait de trouver ce spectacle surfait…
(Ma plume est un peu assassine
Pour ces gens que je n’aime pas trop
par certains côtés, j’imagine
Que j’fais aussi partie du lot)
Je partage donc je suis :
WordPress:
J’aime chargement…