Retour à Cuba, de Laurent Bénégui : la transmission

Il y a dans la genèse de chaque livre une dimension organique héritée de soi, sinon de ses proches. Que l’on soit auteur de fiction, essayiste, historien, ou que l’on prenne la plume pour autrui. On écrit comme on est. Comme on naît, plutôt. Personne n’y échappe. Le phénomène est mystérieux. Il se rapproche d’une énigme naturelle, celle de la fécondation. Comment se fait-il qu’un spermatozoïde devance ses millions de congénères, pénètre l’ovule et engendre un être nouveau ? Lui et pas un autre. Qu’a-t-il de plus, celui-là, dans le flagelle ? La science s’interroge aujourd’hui. Elle se demande si, en définitive, ce ne serait pas l’ovule qui favoriserait tel gamète plutôt qu’un autre et l’autoriserait à pénétrer sa couronne. Le choix de la reine plutôt que celui d’une infinité de roitelets, si vibrionnants soient-ils. Je me dis que, de la même façon, ce sont les histoires qui choisissent leurs auteurs et le moment d’être rédigées. L’écrivain s’imagine libre de raconter ce qu’il veut, alors qu’il n’a pas plus le choix d’écrire qu’il n’a eu celui de venir au monde. Ce texte en est le témoignage.

Un roman d’un auteur que j’aime beaucoup, qui nous fait voyager et en ce moment ce n’est pas du luxe, et qui nous montre que lorsque l’Univers a décidé qu’on devait faire quelque chose il peut se montrer assez insistant.

Laurent Bénégui est né l’année de la révolution cubaine, qui signe pour sa famille installée là-bas la fin d’une certaine opulence. Si lui-même n’y a jamais vécu, son père y est né, et il y a fait des séjours enfant. Pour autant, il ne s’est jamais tellement intéressé à l’histoire familiale, jusqu’à ce qu’une discussion avec un ami et quelques coïncidences lui imposent d’écrire cette histoire. La sienne.

Un roman tour à tour drôle et émouvant, très instructif sur l’histoire de Cuba que je connaissais très mal, et qui est avant tout une histoire de transmission, de lignée, d’héritage, particulièrement prenante ici car aventureuse (moi mes ancêtres le plus loin qu’ils se sont éloignés de leur patelin de naissance, c’est le patelin d’à côté) et cachant des secrets. Mais ce que j’ai surtout aimé, c’est la « fabrique » du roman, comment les histoires naissent et s’imposent à l’auteur, même lorsque, jusqu’à présent, il ne s’était absolument pas intéressé à l’histoire familiale, comment l’Univers (ou quelle que soit la manière dont on l’appelle) s’en mêle par des clins d’œil et des synchronicités (qui s’apparent parfois plus à des grands coups de pied qu’à des clins d’ œil…).

Un roman distrayant, où le voyage compte plus que la destination, et qui permet aussi de revenir sur soi : quel lien entretenons-nous avec nos ancêtres ?

Retour à Cuba
Laurent BÉNÉGUI
Julliard, 2021

Désagrégé(e), de Christophe Ono-dit-Biot

Désagrégé(e)On croit toujours les crimes passionnels liés à l’amour ou à la folie. J’ai vingt-trois ans. Je ne suis ni fou amoureux, encore moins amoureux fou. J’ai vingt-trois ans et je viens de rater mon agreg. Bien sûr, cela ne vous dira rien. Nous sommes une infime proportion de la nation estudiantine à passer ce type de saloperie, et parmi cette infime proportion, 5 ou 6 % parviendront à rejoindre le Grand Corps. Comme pour la Marine au XVIIIè siècle.

Me sentant moi-même actuellement en voie de désagrégation, je me suis dit que c’était le moment idéal pour sortir ce roman de ma pile, d’autant que c’était aussi l’occasion de renouer avec la plume de Christophe Ono-dit-Biot.

César vient de louper l’agreg. A 1/2 point. Premier sur la liste complémentaire, son seul espoir d’être agrégé sans repasser le concours est qu’il arrive un accident fâcheux à l’un des admis, et qu’il libère ainsi une place. Mais il ne croit pas trop au hasard, aussi décide-t-il d’assassiner Arthur, son meilleur ami, qui lui a obtenu le concours. Ce qui serait du reste lui rendre service, tant sa vie est monotone. Mais les choses ne vont pas tout à fait se passer comme c’était prévu.

Il ne faut pas s’arrêter au point de départ, qui pourrait faire passer ce roman pour un livre d’initiés. Si l’agrégation reste toujours en ligne de mire, c’est surtout un roman sur l’amour et l’amitié, où Eros et Thanatos s’affrontent au cours d’un périple cubain et de rocambolesques aventures bordelaises. César manque totalement de morale, mais c’est justement ce qui le rend si attachant, ce cynisme total (pour obtenir une chose qui en réalité est une arnaque totale, mais c’est une autre histoire) et cet hédonisme triomphant, qui cache un ennui profond.

Bref, j’ai dévoré ce roman, très distrayant mais en même temps profond !

Désagrégé(e)
Christophe Ono-dit-Biot
Plon, 2000