Instantané #87 (le trésor de la géode)

L’autre jour, je suis allée à une exposition de minéraux, et j’en suis revenue (entre autres) avec une géode de cristal de roche. J’en voulais une depuis longtemps : d’abord parce que c’est très joli sur ma nouvelle table basse et que cela augmente les vibrations positives de mon salon, ensuite parce qu’elle me permet de purifier et recharger au quotidien les pierres dont je me sers le plus. Mais j’en aime aussi l’aspect symbolique. Sa rondeur austère, qui recèle un trésor brillant.

Le mot géode vient du grec γεώδης – geôdês (« comme la Terre »), car elle a la forme du globe terrestre. Extérieurement, à l’état brut, elle n’a rien de remarquable : c’est une grosse roche, pas très jolie. Elle cache son secret, qui elle est vraiment : son monde intérieur, tapissé de cristaux scintillants, mais qui ne scintillent que lorsqu’elle est ouverte, lorsque les cristaux reflètent la lumière du soleil.

La géode ne révèle son véritable être que lorsqu’elle est fracturée pour laisser entrer la lumière. Alors je me suis dit que la géode était comme nous : verrouillés, fermés, nous ne montrons de nous qu’une apparence qui n’est pas vraiment nous, une apparence peu engageante mais qui protège notre trésor intérieur tout en l’empêchant de briller. Et puis, un jour, un événement nous fracture, nous ouvre : ce n’est pas agréable, c’est même douloureux, mais cela nous oblige à révéler notre trésor, notre monde intérieur, qui se met enfin à briller dans la lumière au lieu d’être protégé dans l’ombre. Nous sommes fracturés pour devenir pleinement qui nous sommes : un joyau scintillant.

Et c’est ça, que nous enseigne la géode : à l’état brut, elle n’est pas elle-même, pas encore, car elle cache ce qu’elle a de plus beau, de plus précieux. Comme un diamant qui a besoin d’être sorti de sa gangue et d’être poli pour devenir la pierre précieuse éternelle que nous aimons. Ouvrir la géode, c’est entreprendre un voyage au cœur de soi-même, accepter de ne plus protéger son trésor et le révéler au grand jour.

De l’amour, de Stendhal

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Ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections.

Cet essai, fait un peu de bric et de broc, se veut un examen philosophique du sentiment amoureux : les différentes étapes de sa naissance (avec notamment ce concept, devenu si célèbre, de cristallisation), les différents types d’amour selon les nations, le vrai et le faux amour… le tout illustré d’anecdotes plus ou moins longues.

Evidemment, quand on fait de l’amour le cœur de sa réflexion (comme moi) et qu’on va jusqu’à en faire un challenge, ce livre est un peu un must read. Mais il faut admettre que Stendhal n’y est pas à son meilleur : si les réflexions sont intéressantes et que l’ouvrage est jalonné de très jolies phrases, l’ensemble est quelque peu décousu et manque de fermeté dans l’analyse, qui se réduit souvent à de navrants clichés, notamment en ce qui concerne les tempéraments nationaux. Dommage.

Appelez-moi par mon prénom

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J’avais besoin de sentir battre la vie en moi, et ce battement passait par le corps de P. ou par l’idée que je m’en faisais.

Ce roman est à nouveau une découverte que je dois à Lili, qui décidément me connaît bien et qui, se doutant que ce livre me plairait, me l’a offert. Et elle a eu vraiment raison, et je la remercie du fond du coeur !

La narratrice, romancière, est obsédée par l’un de ses lecteurs, P., qu’elle a rencontré quelque temps plus tôt dans une librairie de Lausanne. Il lui a offert à l’occasion un DVD d’un film qu’il a réalisé à partir du journal de la jeune femme, une lettre, et l’adresse de son site internet. A partir de se jour, la narratrice se reconstruit une réalité, à partir de ses rêveries, d’indices trouvés sur le site et de ce qu’elle dit être des signes… et puis, un jour, ils commencent à échanger des mails…

J’ai vraiment été troublée par cette lecture, dans le bon sens du terme évidemment : il est question ici du désir de l’autre, de l’emballement de l’imagination qui précède la concrétisation d’une histoire, et j’ai aimé la manière dont finalement la narratrice ne fantasme pas à vide, car l’objet de son désir ne se dérobe pas. J’ai eu peur un moment qu’il s’agisse d’une histoire d’obsession vouée à l’échec, avec l’enchaînement mécanique qui commence par un certain voyeurisme permis par le net, fait de l’objet du désir un objet de regard à sens unique et induit une libido sciendi poussée à l’extrême : le désir de tout savoir de l’autre. Et finalement, l’autre aimé finit par se construire comme un être de fiction. Mais ici, il s’agit bien d’une véritable histoire d’amour, et le fantasme finit par laisser place à l’échange. Il est aussi question d’écriture, de création littéraire (et je m’amuse beaucoup du nombre de roman qui traitent de cette question que je lis en ce moment sans même le faire exprès). Le style est dense, parfois étouffant même à cause de l’absence de paragraphes, Nina Bouraoui fait un usage assez spécial de l’imparfait, ce qui donne à son texte une impression d’urgence. En tout cas, je l’ai lu en ressentant une certaine urgence, à l’image de la manière dont, je pense, il a été écrit. Et c’est vraiment une lecture que je recommande chaudement !

Je vous encourage à aller lire l’avis de Lili !

Appelez-moi par mon prénom
Nina BOURAOUI
Stock, 2008 (Folio, 2010)