S’il te plaît… apprivoise-moi !

– Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m’ennuie donc un peu. Mais, si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m’appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c’est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d’or. Alors ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé…
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
– S’il te plaît… apprivoise-moi ! dit-il.
– Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
– On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
– Que faut-il faire? dit le petit prince.
– Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près…

C’est un de mes passages préférés, dans mon livre préféré. Celui où le renard demande au Petit Prince de l’apprivoiser. « Créer du lien ». En ce moment, c’est mon challenge dans la vie : me laisser apprivoiser. Je suis une sauvageonne. Un ours. J’ai du mal à faire confiance. J’ai raconté pourquoi. Le fait est : je bavarde beaucoup, je suis plutôt sociable, mais ça reste superficiel, mais dès qu’on s’approche de trop près, dès qu’on essaie d’entrer dans mon intimité, de créer un vrai lien, je ferme ma coquille. D’huître. Il faut longtemps pour que je m’ouvre vraiment. Et souvent les gens se lassent. Ce qui ne fait que confirmer que j’ai raison de ne pas faire confiance.

On me reproche souvent, en fait, de ne pas savoir communiquer. Dans les communications interpersonnelles : c’est aussi pour ça que j’écris, parce que ça me permet de m’exprimer sans destinataire identifié et identifiable. Donc, sans communiquer, finalement. Par contre, faire lire ce que j’écris à quelqu’un que je connais, a fortiori, si je tiens à cette personne, c’est toute une histoire. Mais je l’ai fait, récemment, et j’ai vraiment eu l’impression de franchir un cap. Parce que cette personne compte beaucoup. Et aussi parce que, probablement, cette question est au cœur du fait que je n’arrive pas à publier mes textes. Forcément, si je publie un livre, les gens que je connais vont l’acheter et le lire. Enfin j’imagine.

C’est, bien sûr, encore une fois une question de vulnérabilité et d’authenticité.

Et comme la vie est un challenge perpétuel (et un challenge en spirale : on a l’impression de toujours faire face aux mêmes problèmes, mais sous des angles différents, ce qui fait qu’on a souvent le sentiment que ça ne progresse pas, alors que si) c’est exactement là qu’est venue me chercher la Pleine Lune en scorpion de la semaine dernière. La Pleine Lune en scorpion, c’est celle que je redoute le plus : les autres me secouent, mais alors celle-là, elle me dévaste. Parce qu’elle vient me titiller (c’était le cas cette année mais vue la configuration, les autres aussi la plupart du temps) dans ma maison 3, celle du lien à l’autre, de la communication, justement. Elle vient m’obliger à accepter de me laisser approcher, de créer du lien, de faire confiance et de me montrer vulnérable.

Et je crois que, enfin, j’ai envie que l’on m’apprivoise…

Dépasser la honte, de Brené Brown : oser être soi

Ce livre propose des informations, des concepts et des stratégies spécifiques pour comprendre la honte et bâtir « une résilience à la honte ». On ne peut pas devenir totalement résistant à la honte ; mais on peut développer la résilience nécessaire pour la reconnaître, la dépasser de manière constructive et mûrir à partir de ces expériences. Au fil des entrevues, j’ai constaté que les femmes dotées d’un haut degré de résilience à la honte possédaient quatre choses en commun. J’appelle ces facteurs les quatre composantes de la résilience. En s’informant sur la résilience et en mettant ces composantes en pratique, on peut dépasser les sous-produits de la honte — la peur, la critique et le rejet — et aller à la rencontre de l’empathie, du courage, de la compassion et du lien nécessaire à une vie meilleure et authentique.

Je vous avais déjà parlé de Brené Brown lorsque je m’étais intéressée à la vulnérabilité ; l’autre jour, j’ai revu cette conférence, Call to courage, et j’ai eu envie d’approfondir en lisant un de ses essais sur le sujet. Et finalement, ma petite voix intérieure m’a dit de m’intéresser plutôt à la honte…

La honte est un sentiment universel, tout le monde la ressent à un moment ou un autre : se sentir imparfait, indigne d’être aimé et accepté par le groupe ; dans un premier temps, Brené Brown cherche donc à comprendre la honte, ses fondements, qui viennent d’injonctions à être auxquels on ne correspond pas ; elle étudie ensuite les conséquences : la peur, la critique, le rejet. Comment alors la dépasser ? Affirmant le pouvoir de l’empathie, l’auteure montre quelles sont les composantes de la résilience à la honte : identifier la honte et comprendre ses déclencheurs (les identités indésirables), exercer son sens critique, se rapprocher, et exprimer la honte. Si dépasser la honte et s’accepter comme on est demande du courage, cela permet aussi d’aller vers la compassion et le lien.

Un essai absolument formidable et éclairant : s’appuyant sur de nombreux témoignages de femmes (puisque le sujet d’étude de Brené Brown, c’est la honte féminine, mais elle aborde aussi brièvement les hommes et c’est passionnant), il propose un véritable programme, qui m’a permis d’aller plus loin dans l’analyse de certaines choses, et notamment la question des identités indésirables ; c’est très fin sur beaucoup d’analyses, et cela permet de voir que souvent, on identifie mal ce que l’on ressent vraiment, et par conséquent ça ne peut pas passer car nos réactions de protections sont mal dirigées.

Ce qui ressort de tout cela, c’est que l’on ne peut pas être parfait, qu’il faut lutter contre les stéréotypes, et réaffirmer la force du lien, afin de construire un monde plus doux pour les uns comme pour les autres.

Dépasser la honte
Brené BROWN
Traduit de l’anglais par Catherine Vaudrey
Trédaniel, 2015

Instantané #131 (éclosion)

En ce moment, j’ai une impression bizarre au niveau du chakra du cœur : comme une vibration. Comme si, jour après jour, il s’ouvrait et s’agrandissait aux dimensions du monde. Je sais pourquoi, je sais ce qui provoque cette sensation à la fois belle et terrifiante. C’est le moment, me dit mon cœur. Le moment de laisser tomber armes et armures, et de battre fort.

Comme une fleur délicate qui s’ouvre en corolle, fragile et vulnérable, parce que c’est son être-fleur que de s’ouvrir malgré le danger.

Alors, ouvrons nos cœurs. Le courage, dit Brené Brown, c’est d’exprimer qui nous sommes de tout notre cœur, alors allons-y, ouvrons-nous au monde come cette petite anémone !

Comment je me suis (presque) réconciliée avec la Princesse de Clèves

Je voulais comprendre. Comprendre pourquoi, à chaque fois qu’il était question de ce roman, je me mettais dans une colère impressionnante. Une vraie colère, comme je l’aurais fait contre une personne. Pas contre le roman lui-même d’ailleurs, mais contre le personnage. Contre son choix. C’est horrible à dire, mais j’arrive à comprendre Médée, pas la Princesse de Clèves. « Cette connasse qui a la chance infinie de rencontrer un homme qu’elle aime et qui l’aime, que l’Univers lève tous les obstacles contre leur amour, et qui refuse ce cadeau merveilleux ». En fait, je considérais cette attitude comme une insulte envers la vie et l’amour, et envers toutes celles qui n’ont pas eu la chance de le rencontrer, cet amour. Et, donc, cela me mettait dans une rage folle. J’ai d’ailleurs écrit un jour un petit texte où elle était punie, après sa mort, de ce refus qui s’apparente à un blasphème : elle est condamnée, pour plusieurs vies, à chercher désespérément l’amour et à ne pas le trouver.

Et puis, l’autre jour, quelqu’un m’a dit que si sa manière d’agir me mettait autant en colère, c’est que ça touchait quelque chose chez moi, quelque chose avec quoi je n’étais pas en paix, et pas forcément ce que ça avait l’air d’être de prime abord. Alors je l’ai relu, avec un regard nouveau, et j’ai compris qu’il y avait effectivement un effet miroir dans cette histoire, et que j’étais à travers elle en colère contre certains de mes choix de vie.

Le choix de la Princesse de Clèves, c’est celui de la tranquillité : l’amour c’est fatigant, risqué, ça demande du courage qu’elle n’a pas. Aimer c’est s’inquiéter, douter, trembler, et pour elle sa tranquillité d’esprit n’a pas de prix. L’amour nous enlève à nous-même, nous demande de nous abandonner, et elle préfère être à elle-même. Il y a de la fierté et de l’orgueil dans son choix, qu’elle déguise en vertu mais on ne me la fait pas à moi : elle fait le choix de l’ego et non du cœur, et je plaide coupable pour l’avoir fait aussi, parfois. J’ai aussi acquis la certitude (avec laquelle beaucoup ne seront pas d’accord) qu’elle n’est de toute façon absolument pas amoureuse du duc de Nemours, parce qu’elle est incapable d’amour, et qu’au final son choix est donc le bon – il aurait sans doute souffert. Parce que quand on aime, on fait confiance. Et qu’elle en est incapable : se montrer courageuse, se montrer vulnérable.

On l’aura noté, je ne suis toujours pas tendre avec ce personnage, que je ne trouve absolument pas sublime mais au contraire d’une grande lâcheté. Mais je suis contente de l’avoir relu car cela m’a permis de comprendre ce que ça touchait chez moi, de me réconcilier avec cette part passée de moi, de pardonner, et je peux désormais en parler sans colère, et c’est bien.