Le Printemps suivant – 2. Après la pluie, de Margaux Motin : le grand oui de la vie

Rien n’est facile… Mais si je prends soin de moi, pleinement… Et si je suis attentive à lui… sincèrement… Alors, je crois que tout est possible…

J’attendais cet album, la suite de Vent Lointain, avec beaucoup d’impatience, mais quitte à avoir attendu, je me le suis réservé pour un moment où je pourrais pleinement en profiter, ce que j’ai fait l’autre après-midi : j’étais fatiguée, le moral n’était pas au mieux, et je me suis dit que ce serait parfait pour me donner une bouffée d’air frais tant, je l’ai déjà dit, j’adore le travail de Margaux Motin.

A la fin du tome précédent, nous avions quitté Pacco et Margaux un peu fâchés, et nous les retrouvons au bord de la séparation : Pacco boude, et toutes les tentatives de réconciliation de Margaux semblent se heurter à l’échec. Ce qui la renvie à une période douloureuse de son enfance : la séparation de ses parents, et son sentiment d’avoir été abandonnée par son père, et la peur qui ne la quitte pas de l’être à nouveau, ce qui l’empêche de faire confiance.

A nouveau il s’agit d’un magnifique album, à la fois léger et plein de vie, et d’une grande profondeur : l’amour, le couple, ce n’est pas facile, c’est du travail, et aussi un creuset de transformation : notre âme sœur, ce n’est pas l’amour sans nuages. Son rôle dans notre vie, c’est aussi de venir mettre au jour nos blessures enfouies, nos peurs profondes, pour nous permettre de nous en libérer, et c’est ce que montre magnifiquement cet album, avec beaucoup de douceur et de poésie. Et l’autrice s’y met à nu avec beaucoup d’authenticité : si elle apparaît toujours un peu fofolle, parle aux abeilles (même si elle en a peur) et se passionne pour les pierres, elle se montre aussi fragile et vulnérable. Il y a surtout beaucoup d’amour dans cet album, et cela fait un bien fou !

Le Printemps suivant – 2. Après la pluie
Margaux MOTIN
Casterman, 2022

Love Warrior, de Glennon Doyle : le voyage du guerrier

Mais aujourd’hui, je me demande si l’amour, au lieu d’être un sentiment, n’est pas un lieu partagé par deux personnes. Un endroit sacré qui se crée lorsque deux êtres s’estiment suffisamment en sécurité pour laisser leurs véritables natures faire surface et se toucher. L’amour serait donc un lieu où on peut se rendre ? J’aurais alors été incapable de saisir ce concept, car je le faisais avec mon esprit planant dans les hauteurs et que l’amour ne peut être compris de cette façon ? Ne peut-on comprendre l’amour qu’en se rendant sur place ? Surplomber la vie de haut et plonger — c’est-à-dire penser, admirer et analyser l’amour de loin — a peut-être un prix : je ne peux pas tomber amoureuse. Car je ne me déplace pas jusqu’à l’amour. Je reste à l’écart. J’ai plus ou moins décidé qu’en n’étant pas vraiment présente je ne risquais pas d’être blessée par autrui. Mais peut-être ne puis-je pas davantage être aimée ? Mon corps est peut-être l’unique vaisseau à même de me conduire jusqu’à l’amour.

J’avais été enchantée par ma découverte de Glennon Doyle et de son magnifique texte Indomptée. J’étais donc ravie que soit enfin traduit un autre de ses textes, qui, dans les faits, est paru quelques années avant  — et que, dans la logique, il faudrait lire celui-ci en premier, puisque l’autrice y commence un long chemin vers soi, grâce à l’amour, mais qu’il n’est pas terminé.

Dans ce texte, qui appartient au genre du memoir, Glennon Doyle raconte comment elle est devenue une guerrière de l’amour, et ce grâce à la crise qu’elle a traversée dans son mariage avec Craig, crise engendrée par les infidélités de son mari, mais dont les racines sont beaucoup plus profondes et anciennes. Ici, le couple constitue un creuset de transformation et de développement des deux individus, et l’amour est un engagement actif.

Le point aveugle étant que l’ouvrage est paru en 2016, et que depuis, le chemin s’est poursuivi, et que ce qu’on pourrait croire un dénouement n’en est finalement pas un. Mais on va faire comme si.

Ce texte m’a littéralement bouleversée, tant il a résonné intimement avec mes propres réflexions. Il est de prime abord très dur et sombre : Glennon Doyle y aborde sans fard toute la haine et la trahison de soi que l’on peut parfois opérer pour cacher ses failles et jouer un rôle, celui que la société attend de nous, et qui se manifeste chez elle en se coupant totalement de son corps : boulimie, alcoolisme, sexe « automatique », elle vit toute une partie de sa vie en se cachant derrière ce qu’elle appelle sa « représentante », ce que l’on appelle souvent le « faux self ». Celui qui agit à l’extérieur et protège notre vrai moi, authentique mais vulnérable.

Plongée dans l’ombre, nécessaire pour arriver dans sa lumière. Il s’agit donc, ici, d’un véritable voyage vers soi. Retourner aux fondations, tout détruire pour reconstruire solidement, intégrer ses ombres et congédier le représentant. Cela passe par l’écriture, mais avec cette idée que si celle-ci nous aide à être authentique, elle est aussi une manière de parfois se couper de soi : Une écrivaine est pareille à un hélicoptère : elle décrit des cercles autour de l’expérience humaine, plutôt que de vraiment la vivre, et ce à une distance éliminant tout risque.

Cela passe par le corps. Etre pleinement dans son corps, dans ses émotions. Manger, et savourer. Faire l’amour parce qu’on le désire vraiment.

Cela passe par l’acceptation de la souffrance, parce qu’elle fait partie de la vie, et que vouloir échapper à cette souffrance, c’est renoncer à vivre pleinement.

Et devenir une guerrière de l’amour. Je connais désormais mon nom : la guerrière de l’amour. Je suis issue de l’amour, je suis l’amour et je retournerai à l’amour. L’amour bannit la peur. Une femme ayant retrouvé sa véritable identité de guerrière de l’amour est la force la plus puissante de cette planète.

Bref : un texte bouleversant et inspirant sur un sujet absolument essentiel, l’amour comme force qui nous transforme !

Love Warrior
Glennon DOYLE (2016)
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Betsch
Leduc, 2022

Les Inséparables, de Julie Cohen : lorsque tu seras vieux et que je serai vieille…

Si son état se stabilisait, ou s’il progressait comme on pouvait s’y attendre, il savait que ça, ce serait la seule chose qui ne changerait jamais. Non pas le rythme de leur sommeil ni la façon dont ils se touchaient. Ils avaient dormi dans cette position la première fois qu’ils avaient passé la nuit ensemble, cinquante-quatre ans auparavant, et chaque nuit qui ne les avait pas réunis dans le même lit avait été une nuit de perdue, en ce qui le concernait. Robbie savait que son corps se rappellerait celui d’Emily même s’il acceptait de vivre suffisamment longtemps pour que son esprit oublie qui elle était.

A 80 ans, Emily et Robbie sont toujours amoureux comme au premier jour. Des Inséparables. Pourtant, leur couple, aussi solide qu’un diamant, est construit sur un secret, et même plusieurs. Quelque chose qui les a séparés, un temps, dans leur jeunesse, et a conduit Emily a ne plus avoir aucun contact avec sa famille. Ce secret, lourd, se dévoile peu à peu, à me sure que la narration nous fait remonter dans le temps par strates chronologiques.

Ce roman est absolument brillant. Construit en remontant progressivement dans le temps pour révéler peu à peu les couches de secrets, il nous montre d’abord un amour tel qu’on en rêve tous, profond, durable, confiant, mais sur lequel on ne cesse de s’interroger jusqu’à la dernière page, ce qui le rend totalement addictif. C’est beau et lumineux, et en même temps, une fois qu’on sait… je ne peux absolument pas en dire plus, évidemment, mais vraiment, la narration est tellement parfaitement maîtrisée qu’on reste scotché.

Lisez-le, vraiment : je n’ai pas l’impression qu’on en ait tellement parlé à sa sortie, et c’est vraiment dommage car c’est du travail d’orfèvre !

Les Inséparables
Julie COHEN
Traduit de l’anglais par Josette Chicheportiche
Mercure de France, 2018 (J’ai Lu, 2020)

Quatre moitiés, de  Alessio Maria Federici : les âmes-soeurs

L’amour nous change.

L’algorithme de Netflix commence à bien connaître mes goûts, et m’a proposé ce film le jour de sa sortie. Et j’ai tout de suite dit oui, car une petite comédie romantique, ça ne se refuse pas.

Un couple de jeunes mariés organise un dîner, au cours duquel ils présentent quatre de leurs amis célibataires qu’ils ont envie de voir ensemble. Ils ne sont néanmoins pas d’accord sur qui irait bien avec qui : pour elle, qui se ressemble s’assemble. Pour lui, les opposés s’attirent, et de toute façon, ce n’est pas important, car l’amour nous transforme.

A partir de là, deux intrigues parallèles selon les configurations possibles, et c’est un vrai plaisir à regarder. Quelle configuration fonctionne le mieux ? Il n’y a finalement pas de réponse, et j’ai beaucoup aimé cette idée même si elle met un peu à mal mes propres conceptions. En tout cas, le film interroge l’amour, et la manière dont nous changeons, sans forcément y penser, et c’est une joie de voir les quatre personnages évoluer différemment, se transformer, faire des choix différents selon le partenaire qu’il a choisi ! Le film est très intelligent, nourri de références pertinentes pour interroger le mythe platonicien des âmes-soeurs à l’aide d’un procédé que l’on pourrait qualifier de quantique !

Si vous avez Netflix, foncez : une belle soirée vous attend !

Quatre moitiés
Alessio Maria FEDERICI
Netflix, 2021

Délivrée du mâle, d’Elodie Dupuis : l’empreinte du passé

On s’était quand même revus à la rentrée, en septembre. J’étais passé « par hasard » prendre un café sans son restaurant. Très vite, je suis devenu moi aussi un client fidèle. J’étais étrangement attiré par tout ce qui me faisait peur chez elle et qui était si éloigné de ma personnalité : son humour, sa jeunesse d’esprit, sa sensualité, son aplomb, sa joie de vivre.

Un roman dont, encore une fois, le résumé a fait tilt par rapport à mes interrogations actuelles, et que j’ai donc découvert avec beaucoup d’intérêt et de curiosité.

Entre Eve, animée par un besoin irrépressible de séduire, et son compagnon Antoine, maladivement jaloux, les relations sont forcément compliquées et explosives, malgré l’amour profond, puisque chacun ne cesse d’appuyer sur les blessures de l’autre. Mais certains événements vont leur permettre de poser les choses à plat, de mettre au jour le traumatisme d’Eve, et la sauver.

Un roman plutôt réussi dans son propos, qui est finalement d’étudier la mécanique du couple : comment, finalement, on est attiré par la personne dont on pourrait dire à première vue qu’il ne nous la faut pas, alors que c’est justement elle qu’il nous faut pour guérir nos blessures ; et comment, oui, l’amour vrai peut sauver. Cela semble mièvre dit comme ça, mais c’est pourtant la réalité. Les personnages sont bien construits : Eve m’a beaucoup touchée parce que j’ai reconnu chez elle des comportements que j’ai pu avoir par le passé ; quant à Antoine, il m’a je l’avoue mise très mal à l’aise et même a l’occasion donné des bouffées d’angoisse.

J’ai donc beaucoup aimé ce roman même si, pour être honnête, il aurait mérité d’être davantage travaillé sur le plan strictement littéraire.

Délivrée du mâle
Elodie DUPUIS
Anne Carrière, 2021

Jules et Julie, histoire double de Caroline Weill : réapprendre à aimer

Vivre, c’est prendre des risques : celui de se tromper, de souffrir, d’être heureux. Rien n’est garanti. Mais si on n’essaie pas, autant se coucher tout de suite dans un cercueil avec une coupe de champagne. Si vous ne risquez rien, il ne vous arrivera rien. C’est vrai. Qu’est-ce qu’une vie où il n’arriverait rien ?

Jules et Julie, tous les deux divorcés, ne savent pas comment refaire leur vie. Ils ne se connaissent pas encore, s’inscrivent sur un site spécialisés, font des rencontres désastreuses, et se confient à leur psy. Lorsqu’ils se trouvent enfin, ils ont envie que leur histoire fonctionne, mais là encore, ce n’est pas si simple…

J’ai beaucoup aime ce roman. Pas tellement pour ses qualités littéraires : l’écriture est assez basique, et le procédé consistant à faire alterner les voix narratives a priori peu original, mais ici très intéressant car il permet de voir que les points de vue sur une même situation peuvent être diamétralement opposés, et qu’on se fait parfois des films pour rien sur ce que pense l’autre ou sa manière de réagir. Mais j’ai vraiment aimé car c’est une très jolie histoire, avec de beaux personnages, attachants, authentiques, vulnérables, en lesquels je me suis beaucoup reconnue : leurs doutes, leurs peurs, leurs maladresses, tout cela m’a rappelé beaucoup de choses, et j’ai ri à plusieurs occasions car leur psy leur dit exactement ce que me dit la mienne, et c’est normal car il n’y a sans doute rien de plus universel que cette peur dans une nouvelle relation, qui demande du travail pour se construire, et repose sur la communication. J’ai ri aussi et trouvé très intéressant de voir un peu ce qui peut se passer dans la tête d’un homme…

Un beau roman sur les relations amoureuses, qui mérite d’être découvert…

Jules et Julie, histoire double
Caroline WEILL
Anne Carrière, 2021

Réinventer l’amour, de Mona Chollet : une révolution permanente

Les mêmes dispositions légèrement monomaniaques inspirent mes tendances casanières et mon penchant pour l’exclusivité amoureuse. C’est le même goût d’une intimité sensuelle, le même pari d’une abondance cachée là où un regard superficiel ne voit que la monotonie, le même désir d’approfondissement infini, la même confiance dans des processus invisibles et mystérieux qui demandent seulement qu’on croie en leur existence, qu’on les laisse advenir, qu’on accepte de se laisser porter. L’écriture, aussi, qui vous emmène toujours un peu ailleurs que là où vous croyiez aller, qui fait surgir sous vos doigts une trame inattendue, m’a appris qu’on avait tort de redouter que les sources intérieures se tarissent, que ce soit dans un processus de création solitaire ou dans un dialogue amoureux et sexuel.

Evidemment. L’amour est mon sujet. C’est même ma mission de vie, quelque part. Je ne pouvais donc pas passer à côté de ce nouvel essai de Mona Chollet, mais je l’ai commencé avec une pointe d’appréhension. Parce que, si j’ai profondément apprécié Sorcières. La puissance invaincue des femmes et Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique j’ai détesté Beauté Fatale, qui était justement sur un sujet que je maîtrise bien puisqu’il a longtemps été mon sujet de recherches. Bref, j’étais méfiante, et j’avais un peu peur que, comme c’est à la mode, Mona Chollet ne jette aux orties l’amour et notamment l’amour hétérosexuel. Mais pas du tout.

Au contraire, même : c’est un éloge de l’amour, le vrai, et d’un amour hétérosexuel qui serait réellement profond, salvateur, une révolution permanente qui, au lieu de se laisser abîmer par le patriarcat, en serait au contraire la force de destruction. Elle s’attache donc, dans cet essai, à montrer en quoi le patriarcat sabote l’amour : d’abord par la mise en place de tout un arrière-plan culturel où les difficultés, l’amour tragique sont valorisés, dans le temps même où on refuse d’aller voir ce qui se passe après, le quotidien, l’intimité ; ensuite par la sublimation de l’infériorité féminine, qu’elle soit physique, professionnelle ou économique, alors que d’un autre côté on justifie la violence masculine ; de plus, on voit comment la place de l’amour est déséquilibrée : les femmes sont encouragées à y voir un but ultime, un essentiel, alors que les hommes au contraire doivent s’en détacher, et on aboutit à une société où les femmes elles-mêmes jouent les indifférentes pour ne pas faire peur avec leur sentimentalité ; enfin, elle aborde la question de la dépossession du corps, et de la nécessité pour les femmes de redevenir sujet de leur désir (ce qui est exactement le sujet de ma table ronde de l’autre jour, j’intégrerai donc ses réflexions dans ma version écrite).

Cet essai à nourri tellement de réflexions chez moi qu’encore une fois, j’aurais de quoi écrire tout un livre (je le ferai sans doute, un jour). En tout cas, c’est un texte vraiment passionnant, qui pose les bonnes questions, le bon diagnostic, avec une véritable objectivité et évite de confondre les hommes et le patriarcat, qui pousse à l’auto amputation des deux sexes. Il s’agit donc de se débarrasser de toutes ces chaînes, de redéfinir, redéployer, approfondir l’amour hétérosexuel dans le sens où l’amour, c’est vouloir le bien de l’autre, son bonheur, sa croissance, et pour cela, il faut lui redonner sa place centrale dans la vie, des hommes comme des femmes.

Il manque peut-être à cet essai un petit chapitre conclusif, et quelques ouvertures, mais vraiment, je ne l’ai pas lâché. Le deuxième chapitre sur les violence m’a évidemment mise en colère, mais dans l’ensemble, j’ai plutôt été enchantée par cet essai, qui tout en montrant les problèmes tels qu’ils sont, n’est pas du tout pessimiste ! Et j’y ai pioché une belle bibliographie !

Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles
Mona CHOLLET
Zones, 2021