La distance…

Gestes barrière. Distanciation sociale. On entend ça partout, mille fois par jour. Et personnellement, ça commence à me donner des crises d’angoisses, cette idée que ça va durer des mois, cette impossibilité de prendre ceux qu’on aime dans ses bras, faire la bise à ses amis, être proches. Qu’il va falloir rester à distance alors que ma seule envie, mon seul besoin là, tout de suite, c’est un long baiser langoureux. Oui, c’est vraiment ça qui me manque le plus : toucher les autres. Enfin, toucher un autre surtout.

Pourtant je suis… un ours (oui, cette synchronicité est très polysémique), territoriale, attachée à ma solitude et à ma tranquillité. Mais celle-ci commence à trouver ses limites.  En fait il y a en moi du paradoxe : d’un côté il y a quelque chose qui m’oblige à ériger une barrière entre moi et les autres, à revendiquer ma solitude, mon autonomie, mon indépendance, qui veut qu’on me fiche la paix, qui fuit l’amour et le couple parce que si on m’aime on va vouloir me mettre dans une cage, et puis si on s’approche trop on va risquer de me faire du mal alors je verrouille, je construits un mur en béton armé. Et puis de l’autre côté, je rêve qu’on détruise mon mur, et ce n’est pas si difficile (enfin en réalité : mon mur il a été détruit il y a quelques mois). Alors il paraît que c’est typique (à défaut d’être normal) : ceux qui cherchent le plus l’amour (c’est quand même mon sujet d’écriture) sont ceux qui le fuient mais qui en ont le plus besoin.

Mais enfin, tout de même, je suis plutôt bien, seule, personne ne me dit ce que je dois faire ni comment ni que c’est sympa mes créations mais que c’est le bordel dans le salon, personne ne me pique la couette quand je dors ni ne ronflote dans mes oreilles. Mais enfin tout de même, les gens (enfin pas tous évidemment, enfin un et puis quelques autres aussi) commencent à me manquer, j’ai, comme tout le monde, besoin de contact humain. Et ça, c’est un peu une découverte. Je ne veux plus de distance. La distance, la séparation m’anéantit, qu’elle soit physique, géographique ou émotionnelle.

Alors peut-être que c’est là une des leçon de ce virus contre lequel on lutte par des gestes barrière et des mesures de distanciation et un confinement qui nous sépare les uns des autres. Qu’il faudra aimer encore plus et créer encore plus de liens, après. Peut-être que maintenant que je vois les limites de mes choix de vie radicaux, je serai prête à faire de la place à quelqu’un, à m’attacher, à partager mon espace. Parce que là, il me semble un peu vide, malgré tout.

Quitte à braver le danger !

Un écrivain qui se confine…

Le confinement n’est-il pas la condition normale de l’écrivain qui écrit ? Rester chez lui, parfois à l’écart du monde dans une cabane près d’un lac ou dans un village de montagne ou dans une tour d’ivoire ? Ne pas sortir, oublier le monde réel et écrire. A la limite, peu importent les circonstances extérieures : Shakespeare a écrit King Lear confiné à cause de la peste, nombre d’auteurs ont écrit en prison, en exil, malheureux et pourtant féconds. A la limite donc, l’écrivain s’arrange parfaitement bien de la période. Il sait composer avec l’enfermement, la solitude, l’absence de contacts humains. Il sait se créer un monde en lui-même. Il est le monde.

Il y a en moi ce côté qui, donc, s’arrange plutôt bien d’une situation où je ne suis pas obligée de sortir pour faire des trucs qui ne m’apparaissent pas essentiels voire que je considère totalement superflus et malvenus. Ce côté de moi dont la vie idéale est de travailler chez moi comme je le fais actuellement : à mon rythme, lire, écrire, tenir mon journal poétique, me sentir jouir d’une certaine liberté intérieure. L’autre jour à un moment je me suis même sentie parfaitement heureuse et alignée, comme une épiphanie (rassurez-vous, ça n’a pas duré). Parce que j’ai le temps et la possibilité, la disponibilité de plonger à l’intérieur de moi-même, de laisser émerger mes émotions et leur faire face au lieu de tout de suite les mettre sous cloche comme je le fais d’habitude. Parce que la période remue beaucoup de choses auxquelles on est obligé de faire face (on ne peut pas tellement s’en distraire : faire son pain a ses limites). C’est le but, ai-je envie de dire…

Et pourtant… question écriture au sens strict, je me suis sentie longtemps coincée. Pas asséchée, mais embourbée. J’ai un million de projets, de textes sur le feu, à corriger, à terminer, à développer, d’habitude je passe mon temps à récriminer contre les circonstances extérieures qui m’empêchent d’avancer et d’habitude dès que je suis libérée de mon gagne-pain j’écris beaucoup, et là… ça a mis longtemps à démarrer vraiment, j’ai écrit beaucoup (pour moi c’est comme respirer aussi il faut dire), mais dans le vide pour ainsi dire : un peu comme un musicien fait des gammes pour ne pas perdre mais ne joue pas vraiment. Le truc 2 avançait et avance (mais c’est sa forme qui veut ça). J’ai écrit quelques petites choses dans mon journal poétique. J’écris pas mal ici alors que j’avais ralenti mais c’est un vrai besoin, de partager mes réflexions. J’ai ouvert d’autres canaux d’expression avec la peinture, le dessin, la photographie surtout. Parce que j’avais l’impression au fond qu’une seule chose exigeait d’être écrite : ça, ce qui remue à l’intérieur, ce que ça provoque, ce que ça dit. Pour garder une trace, quelque part. Ou plutôt… on verra, il ne va pas falloir qu’il y ait mille journaux de confinements qui paraissent.

Enfin, c’est revenu, à force que je tourne autour, que je regarde mes carnets et mes divers projets sans savoir lequel voulait être écrit qui ne soit pas ça. C’est apparu : il faut à nouveau que je plonge dans roman n°1 car quelque chose manque encore (on n’en sortira donc pas). Deux signes coup sur coup me l’ont révélé, et je n’ai aucune « excuse » pour différer. L’ouverture des autres canaux créatifs, encore une fois, a bien fait son office (mais je continue à peindre et à coller). Et ça dépend des jours, et il ne faut pas se brutaliser : certains jours ça coule, c’est fluide, c’est évident. D’autres ça résiste, les mots ne sortent pas ou alors au forceps et c’est mieux de faire autre chose, alors…

D’autres choses, aussi, viendront après.

En fait, plus que jamais, écrire, créer me paraît essentiel, vital, je suis dans mon flow lorsque je le fais, c’est une évidence. Le seul endroit où, malgré tout, je me sens bien.

(la photo d’illustration n’est pas du tout contractuelle, bien évidemment, ce n’est pas mon jardin)

S’habituer ?

J’écrivais, il n’y a pas si longtemps mais aujourd’hui ça me semble au siècle dernier, un article sur les changements, les habitudes et la zone de confort, et j’ai l’impression, là, de vivre en plein ce que j’ai écrit. Point de gros changements, mais tout de même. La période actuelle est tout de même un truc totalement inédit auquel nous devons faire face, et ce n’est pas fini : il y a des choses qu’il va falloir totalement réadapter après, mais on ne sait pas encore, alors ne nous focalisons pas dessus, déjà le confinement est un challenge ! Evidemment, un challenge bien moindre pour les introvertis et les casaniers, qui tiennent peut-être là une revanche sur leurs contemporains moqueurs, mais enfin, à part pour les phobiques sociaux, ça reste un challenge.

Et en fait, je me suis rendu compte que ça y est, je me suis à peu près fondue dans un quotidien à peu près organisé. Alors ce n’est pas de l’organisation militaire avec des horaires précis (c’est ce qui me fait horreur dans la vie « normale », les horaires rigides, et pour tout dire même, ça m’angoisse) mais plutôt une espèce de fluidité dans l’enchaînement des activités et des tâches. Evidemment, certains jours sont plus fluides que d’autres, certains ne le sont même pas du tout, et c’est normal, et c’est ok, on ne peut pas, dans les circonstances actuelles, être pleinement « efficace » (je ne trouve pas le mot adapté mais ce n’est bien évidemment pas une question d’efficacité).

Il y a des choses sur lesquelles je ne lâche pas : prendre ma douche, m’habiller confortablement mais dans une tenue dans laquelle je pourrais sortir si je voulais sortir (je vois des gens qui restent en pyjama ou en jogging toute la journée et j’en suis tout simplement incapable, non seulement parce que de toute façon je ne possède ni jogging ni pyjama — tout au plus un sarouel de yoga que je porte exclusivement pour faire du yoga, mais surtout parce que je ne me sentirais pas bien : là mon uniforme c’est jean/tunique, mais on va peut-être bientôt passer aux robes d’été !) (je ne juge pas ceux qui restent en jogging : c’est juste que moi je ne peux pas) ; prendre un café sur le balcon à midi pour m’aérer un peu ; cuisiner ; regarder certaines émissions que je découvre comme les 100 lieux qu’il faut avoir vus ; l’apéro du vendredi soir (bon j’avoue, c’était déjà plus ou moins une institution)…

En fait ce qui me demande le plus d’efforts, c’est de perdre le réflexe de descendre à l’épicerie dès qu’il me manque un truc. Comme j’essaie de vraiment sortir le moins possible, je fais un drive tous les 15j et, idéalement, rien entre. Sauf que comme je n’ai pas du tout l’habitude de procéder comme ça, et qu’en plus avant le confinement j’avais commencé à changer mes habitudes (justement) alimentaires, j’ai du mal à évaluer les quantités dont j’ai besoin, et il me manque des choses à drive +10j. Je vais donc être obligée de faire une excursion à l’épicerie. Mais tout de même, je n’y vais plus tous les jours, et ça, c’est un gros changement : je prévois au lieu de vivre au jour le jour.

Et vous, vous commencez à prendre de nouvelles habitudes ?

Ecouter l’inconfort…

Je ne sais pas vous mais moi, en temps normal, j’ai un peu tendance à ignorer mes émotions, à les mettre sous un couvercle, à ne pas les écouter, à ne pas leur laisser de place. Les émotions négatives, inconfortables, bien sûr : les émotions positives, j’en profite, lorsque je suis inondée de joie et d’amour, je le vis pleinement. Lorsque je suis triste, en colère, que j’ai peur, je me cale devant un film réconfortant, je mange un plat à base de fromage fondu, je me plonge dans un livre, j’écris ou je fais une page de carnet poétique en attendant que ça passe. Et ça passe. Jusqu’à la prochaine fois bien sûr : si on n’écoute pas ce qu’une émotion a à dire, elle revient toquer à la porte. De plus en plus fort.

Je parle bien d’écouter, et pas simplement de ressentir. Ressentir, avec mon hypersensibilité, je fais ça très bien, et encore pas toujours. C’est aussi une histoire d’éviter les situations où je pourrais courir le risque de ressentir une émotion négative, alors je bloque en amont.

Mais là, ce n’est pas possible. Tout comme il existe des accélérateurs de particules, la période actuelle fonctionne comme un accélérateur d’émotions. Ça valse, ça bouge, ça s’agite, comme un bain bouillonnant. Et le message (celui de la conjonction planétaire actuelle et de la Pleine Lune en Balance de cette nuit, mais si vous ne voulez pas entendre parler d’astres ce n’est pas grave, en fait on s’en moque : ça ne change rien) de la situation que nous vivons, ce moment où qu’on le veuille ou non nous sommes globalement à l’arrêt et face à nous même, dans le silence, le message c’est d’écouter ces émotions déplaisantes, inconfortables. Ne pas faire comme si ça n’existait pas, passer à autre chose. Se plonger dans l’hystérie de l’hyperactivité.

Ce qui est inconfortable surgit pour nous dire ce qui cloche, ce qui ne nous convient pas, ce qui est à changer. Pas si évident qu’on ne le croit parce que parfois on a tendance, en plus d’éviter les émotions négatives et à ne pas les écouter, à se juger de les ressentir. Par exemple moi et ma peur de l’oppression (apparemment elle ressort beaucoup chez plein de gens), ma peur aussi de me montrer vulnérable, la peur d’exprimer ce que je suis alors que c’est le premier chiffre de mon chemin de vie (« expression et sensibilité »).

Et la colère. Je crois que je suis née en colère. C’est comme un volcan (d’Auvergne) : j’ai habituellement l’air serein, calme, presque bouddhique. Mais ça, c’est à l’extérieur. A l’intérieur, dessous la surface, ça gronde. Et parfois, ça explose. Et ça explose d’autant plus fort que je ne me suis pas écoutée et que j’ai laissé la pression trop monter. Certains en ont fait les frais, mais j’ai tendance à exploser de rage lorsque je suis seule. Parce que bien sûr, je me juge : c’est mal de se mettre en colère. Donc je mets un couvercle sur cette colère. Je ne l’écoute pas puisque je culpabilise de la ressentir.

Sauf qu’en ce moment, je l’écoute. Je la sentais hier, ça montait, j’étais en colère mais je n’arrivais pas bien à identifier non pas après quoi j’étais en colère, mais pourquoi. Donc je m’agaçais, je me révolutionnais sur un truc, un autre, mais ce n’était pas vraiment ça jusqu’à ce que je mette vraiment le doigt dessus. Pour faire simple, j’étais en colère (justement, j’ai envie de dire) contre une certaine forme de déni qui tend à nous faire oublier les répercussions émotionnelles et psychologiques de ce que nous vivons, alors que c’est un vrai traumatisme, pas seulement socio-économique. Et que si on continue à nier ça, à ne pas le prendre en compte, on se dirige vers un méga burn-out collectif.

Alors j’étais en colère, mais j’ai découvert que cette colère était saine, justifiée, et qu’il était nécessaire que je l’exprime parce qu’elle disait quelque chose d’important et pas seulement à moi. Et j’ai découvert aussi que depuis que j’écoute mieux mes émotions et leur message, elles me ravagent moins, c’est moins fort et moins dévastateur. Si je ne lutte pas, ça vient me traverser, et ça repart.

Et vous, est-ce que vous savez les écouter, vos émotions négatives ?

Quelques films réconfortants à regarder par les temps qui courent…

Aujourd’hui une petite sélection de films qui font du bien !

Mange, prie, aime : Je ne sais pas ce que j’ai avec ce film en ce moment, mais je le regarde tous les deux mois, au point que je finis par le connaître par cœur. Mais il me fait vraiment du bien, et surtout il me fait beaucoup réfléchir à certaines choses. J’ai découvert il y a quelque temps qu’il y avait une deuxième version Director’s cut qui selon moi est bien meilleure que celle que je connaissais, notamment une scène qui se déroule dans le mausolée d’Auguste et qui est extrêmement symbolique. En tout cas, c’est un film plein de vie et sagesse (et il faudrait vraiment que je lise le roman).

Mamma mia

Celui là c’est pareil : Mamma Mia je le regarde régulièrement (j’ai moins aimé la suite, néanmoins) : j’aime sa joie païenne, mais surtout je le trouve très cathartique. Disons que j’ai souvent besoin de réconfort pour la même raison, et que le film me fait traverser une multitude d’émotions (je pleure toutes les larmes de mon corps à SOS) avant d’arriver à la joie finale, et je trouve ça très beau !

Avec Le journal de Bridget Jones et L’âge de raisonon est cette fois dans la pure comédie, que je connais par coeur mais qui fait toujours autant de bien ! Par contre, pas le troisième, il manque trop de Daniel Cleaver !

Vous pensiez vraiment que j’allais oublier Love Actually ? Bon, dans les faits je le regarde un peu moins souvent (à force je le connais par coeur) mais je l’aime toujours autant parce que tout cet amour cela fait un bien fou !!

Ghibli

Et puis comme beaucoup je me fais un marathon des films d’animation du studio Ghibli, opportunément disponibles sur Netflix. Ceux que j’aime d’amour (Le château ambulant, Chihiro) et tous ceux que je découvre avec bonheur. Alors ils ne sont pas tous très réconfortants (je déconseille fortement Le Tombeau des Lucioles en ce moment) mais tous sont des merveilles de poésie et d’amour !

Et vous, vous regardez quoi en ce moment ?

Une nouvelle page…

Le temps que nous expérimentons n’a pas du tout la même substance, la même épaisseur que d’habitude, vous avez remarqué ? C’est une sorte d’éternel présent, de minute élastique. Certains font même la comparaison avec Un jour sans fin et c’est vrai, il y a de quoi. On perd la notion du temps. C’est parce que dans notre situation finalement, le passé et le futur n’existent pas vraiment, ou pas complètement. Pour la première fois de ma vie j’ai le sentiment de comprendre ces deux impératifs du développement personnel : vivre le moment présent, et lâcher-prise. Surtout le deuxième : ne s’accrocher à rien parce qu’il n’y a rien à quoi s’accrocher. Certains de mes projets tombent à l’eau et… ça ne m’émeut pas tant que ça, parce que je reste persuadée que c’est pour que des trucs encore mieux puissent venir. Disons que je reste focalisée sur l’objectif final, mais plus sur ce que j’avais prévu pour y parvenir.

Pour vivre le moment présent, c’est plus compliqué. En un sens : oui, je suis plus que d’habitude dans l’instant, dans le je, ici, maintenant : lorsque je peins, lorsque je travaille sur mon journal poétique, lorsque j’écris, lorsque je lis, mais aussi lorsque je fais un peu de ménage ou lorsque je cuisine. Je ne cherche pas à accélérer le temps pour arriver aux vacances ou aux week-ends. Je vis chaque jour et je me consacre réellement à toutes mes activités.

Mais évidemment, comme tout le monde, je pense à ce que je ferai, après. L’après immédiat, lorsque nous serons (plus ou moins) relâchés. Je veux aller me promener dans un parc, longtemps, sentir mes pas, respirer les fleurs, toucher les arbres. Je veux aller boire un verre en terrasse. Je veux aller dans un musée. Je veux revenir faire mes courses chez les petits commerçants, faire la queue et discuter avec les gens, acheter des fleurs, acheter des livres, du matériel de création. Et puis, prendre, peut-être, quelqu’un dans mes bras et lui dire qu’il m’a horriblement manqué… et ça, ça nous emmène à l’autre après.

L’autre après, c’est l’après long. Je vois beaucoup de gens, en ce moment, faire des bucket listsfaire le pèlerinage de saint-Jacques de Compostelle, aller à New-York, sauter en parachute… les gens ont beaucoup d’idées. Moi mon idée est plus compliquée que d’acheter un billet d’avion. Je ne vois vraiment pas comment je pourrais recommencer comme avant, à faire un travail que je ne supporte plus, qui me rend littéralement, physiquement et nerveusement malade, et à ne vivre que pour les week-ends et les vacances. Malgré les événements, et même si c’est totalement paradoxal, je me sens beaucoup plus libre qu’avant le confinement, et j’ai réellement le sentiment d’avoir tourné enfin une page et d’en commencer une nouvelle, je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai vraiment cette intuition que c’est terminé, que rien ne sera comme avant, et que quelque chose de nouveau commence (mais ne me demandez pas quoi d’un point de vue rationnel : je n’en sais rien)…

Et vous qu’est-ce que vous allez faire après, à court ou long terme ?

Chez soi, de Mona Chollet : une odyssée de l’espace domestique

Or, dans une époque aussi dure et désorientée, il me semble au contraire qu’il peut y avoir du sens à repartir de nos conditions concrètes d’existence ; à repartir de ces actions – à peine des actions, en réalité – et de ces plaisirs élémentaires qui nous maintiennent en contact avec notre énergie vitale : traîner, dormir, rêvasser, lire, réfléchir, créer, jouer, jouir de sa solitude ou de la compagnie de ses proches, jouir tout court, préparer et manger des plats que l’on aime. À l’écart d’un univers social saturé d’impuissance, de simulacre et d’animosité, parfois de violence, dans un monde à l’horizon bouché, la maison desserre l’étau. Elle permet de respirer, de se laisser exister, d’explorer ses désirs. Bien sûr, on pourra hurler à l’individualisme ; mais j’aime assez l’image à laquelle recourt l’architecte américain Christopher Alexander : si une personne ne dispose pas d’un territoire propre, attendre d’elle qu’elle apporte une contribution à la vie collective revient à « attendre d’un homme qui se noie qu’il en sauve un autre»

Cela fait un moment que je voulais lire cet essai : étant moi-même plutôt « casanière », attachée à mon lieu d’habitation, à la décoration, à la cuisine, le sujet évidemment m’intéressait. Mais nonobstant que même si j’ai beaucoup apprécié Sorcières : la puissance invaincue des femmes je reste méfiante envers Mona Chollet à cause de Beauté fataleje n’ai surtout jamais pris le temps de le faire. Bon, là le temps je l’ai, et les éditions Zones, vu que l’ouvrage interroge des notions particulièrement parlantes en ces temps de confinement, l’ont mis en ligne gratuitement (ce qui m’a obligée à ressusciter mon i.pad et me battre avec le wifi, mais j’ai réussi !

Mona Chollet conçoit son essai comme une sorte de « vengeance » pour les casaniers, dont tout le monde a tendance à se moquer au profit des « voyageurs » : c’est le point de départ et le premier chapitre, cette condamnation du « rester chez soi » (sauf en ce moment) alors que le mouvement est valorisé ; dans un second temps, elle montre comment internet a changé la donne, en faisant que finalement le monde fait irruption dans notre salon ; elle étudie ensuite la question de l’espace et des inégalité sociale, puis celle du temps puisque jouir pleinement de son « chez soi » impliquerait d’être également maître de son temps (et non de voir son temps volé par le travail). Elle se pose ensuite la question des travaux domestiques, avant d’étudier le bonheur familial et cette question centrale : habiter, oui, mais avec qui ? Enfin, elle s’intéresse à la construction en elle-même, l’architecture et la maison idéale.

Un essai qui est vraiment passionnant, et dont certaines réflexions, dans la situation actuelle, ne peuvent que frapper : tout y est. Souvent drôle, plein d’autodérision, il est nourri de beaucoup de références, de questionnements riches et féconds, et ne peut manquer de nous obliger à réfléchir à notre propre rapport à notre espace de vie. Je l’ai dit, j’aime être chez moi, pour moi l’art d’habiter est à la fois une expression de soi, et un ancrage qui permet de pouvoir s’ouvrir au monde, mais j’ai aussi besoin de mouvement et de voyage (mais en voyage j’ai besoin de recréer un point d’ancrage, un chez moi provisoire, et c’est pourquoi je déteste les hôtels). Du reste, les écrivains sont l’archétype du casanier, même lorsqu’ils sont voyageurs. J’ai particulièrement été intéressée par le chapitre sur le temps, qui montre comment le travail nous emprisonne et qu’il y a peut-être certaines choses à revoir.

Au final, je trouve dommage d’avoir découvert Mona Chollet avec Beauté Fatale, parce que ses autres essais, à ce que je constate, sont vraiment très intéressants, riches et instructifs. Dans celui-ci, on sent déjà en germe la réflexion sur la sorcière, et vraiment, je vous conseille d’aller le lire, il suffit de cliquer !

Chez Soi. Une Odyssée de l’espace domestique
Mona CHOLLET
Zones, 2015