Lettres portugaises, de Guilleragues : je vous aime éperdument

Peut-on s’imaginer un état si déplorable ? Je vous aime éperdument, et je vous ménage assez pour n’oser, peut-être, souhaiter que vous soyez agité des mêmes transports : je me tuerais, ou je mourrais de douleur sans me tuer, si j’étais assurée que vous n’avez jamais aucun repos, que votre vie n’est que trouble, et qu’agitation, que vous pleurez sans cesse, et que tout vous est odieux : je ne puis suffire à mes maux, comment pourrais-je supporter la douleur, que me donneraient les vôtres, qui me seraient mille fois plus sensibles ? Cependant je ne puis aussi me résoudre à désirer que vous ne pensiez point à moi ; et à vous parler sincèrement, je suis jalouse avec fureur de tout ce qui vous donne de la joie, et qui touche votre cœur, et votre goût en France.

Le titre du recueil d’Elizabeth Browning, Sonnets portugais, a pour origine ce roman de Guilleragues, et je me suis dit à l’occasion que puisque je n’avais jamais lu ce classique de la littérature amoureuse, alors même que l’amour est mon sujet, il était temps. Aussitôt pensé, aussitôt fait (ou presque).

Nous avons donc là un roman épistolaire (présenté comme un recueil de véritables missives), composé de cinq lettres qu’une religieuse portugaise envoie à son amant français reparti dans son pays, et dont elle n’a plus tellement de nouvelles.

Le procédé est intéressant, et les lettres sont fabuleusement tournées, exprimant parfaitement la passion, et même la fureur d’une femme amoureuse, et ses incohérences. Néanmoins, j’ai trouvé ça un peu… court ! A peine 40 pages, j’avoue que je suis un peu restée sur ma faim : le caractère resserré fait qe, finalement, on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants de cette histoire, et cela m’a un peu frustrée. Néanmoins, je suis contente de l’avoir lu, désormais je sais vraiment de quoi il retourne, et il est vrai que l’expression de la passion y est parfaitement réussie !

Lettres portugaises (1669)
GUILLERAGUES
Flammarion, GF

La Fontaine, une école buissonnière d’Erik Orsenna

La Fontaine, une école buissonnière d'Erik OrsennaCes très jeunes gens ont reçu la même culture, riche et diverse, familiers qu’ils sont des poètes grecs et latins sans oublier les italiens, Boccace, Pétrarque… Dans les littératures plus récentes, ils se sont enchantés du Pâge disgracié, le chef-d’oeuvre de Tristan L’Hermite. Comme souvent, un livre vous touche parce qu’il annonce la suite de votre vie. La lecture est une prémonition. La Fontaine sera page (de Fouquet), disgracié (par Louis XIV). L’Astrée, roman-fleuve et best-seller, est leur promenade favorite, la machine à relancer leurs rêves.

On a souvent une image un peu austère des grands écrivains de la littérature française, on les imagine comme des gens (trop) sérieux, enfermés dans leur cabinet de lecture et d’écriture. On connaît mal leurs oeuvres aussi, influencés par l’école : de La Fontaine, on ne lit la plupart du temps que les Fables, alors qu’il a écrit tant d’autres choses merveilleuses ! Heureusement, il y a Erik Orsenna, qui dépoussière un peu son image.

Retranscription d’une émission diffusée cet été sur France Inter, La Fontaine, une école buissonnière se veut une flânerie biographique et historique : en courts chapitres, Orsenna nous retrace l’existence du plus célèbre des fabulistes mais aussi son époque. Une vie assez mouvementée, et dont il ressort l’image d’un La Fontaine libertin, jouisseur et hédoniste !

Émaillée de larges extraits, des fables bien sûr mais aussi d’autres oeuvres beaucoup plus polissonnes, cette biographie, menée sur un ton primesautier, est un véritable bonheur de lecture, qui finalement touche au coeur de l’idéal classique : plaire et instruire. Bien sûr, on apprend beaucoup de choses, notamment au cours des nombreux détours historiques et culturels (dont certains, de façon amusante, ne sont pas sans rappeler notre époque contemporaine, comme l’affaire Fouquet (et non l’affaire du Fouquet’s, comme il fut entendu à l’occasion d’un oral de bac par une de mes connaissances) : mais si Orsenna est doté d’une solide érudition, il est de ces gens qui savent la transmettre le plus agréablement et le plus légèrement du monde, avec humilité, simplicité et humour. Alors on se passionne pour la vie de La Fontaine comme pour un roman picaresque, et en refermant cette biographie, on n’a qu’une envie : se replonger dans les oeuvres de ce bon vivant parfois mal compris, qui préférait être le loup plutôt que le chien, et la cigale plutôt que la fourmi sa voisine…

A lire et à faire lire (ou écouter en podcast) aux ados !

La Fontaine, une école buissonnière
Erik ORSENNA
Stock/France Inter, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 3/6
By Herisson

A Little Chaos (Les Jardins du Roi), d’Alan Rickman

A little chaos
La Cour est une petite communauté… Nous ne sommes que 2000… Tout le monde connaît tout le monde !

Après la disparition d’Alan Rickman, j’avais envie de lui rendre mon hommage personnel en parlant d’un de ses films. Alors évidemment, j’aurais pu revoir Love Actually  pour la 1000ème fois (cela n’aurait jamais fait que la 4è en deux mois) ou Harry Potter pour la 1000ème fois. Et puis, je suis tombée par hasard sur ce petit film sorti l’an dernier, qui avait totalement échappé à mon radar, et qui a cette qualité extraordinaire qu’Alan Rickman ne se contente pas d’y jouer, mais qu’il l’a en outre co-écrit et réalisé.

Le Roi veut une salle de bal en plein air à Versailles (le bosquet des rocailles). Et ce que le roi veut, Dieu le veut. André Le Nôtre, chargé des jardins, décide de confier la tâche à quelqu’un d’autre, et malgré ses réticences initiales, finit par choisir Sabine de Barra, une femme paysagiste qui n’a pas tout à fait les mêmes idées que lui concernant l’ordre…

Le point de départ est donc la question des jardins et de l’opposition entre l’ordre et le chaos (d’où le titre) : Versailles, c’est le classicisme, et ses jardins « à la française », conçus pas Le Nôtre et marqués par l’ordre et la symétrie en sont la parfaite illustration ; ce que l’on appelle « jardins à l’anglaise » (qui n’apparaissent en fait qu’au XVIIIe siècle mais passons) sont moins figés, plus sauvages et poétiques. Et c’est bien cette opposition qui sous-tend tout le film, et pas seulement concernant les jardins, car Sabine de Barra, roturière, vive, gaie et spontanée, apporte une touche de désordre dans la rigidité de la cour. Et, malgré l’absence évidente de véracité et même de vraisemblance historique, cette romance est pleine de charme, grâce à une Kate Winslet lumineuse (comme à son habitude), un Matthias Schoenaerts extrêmement craquant. Quant à Alan Rickman, il fait un fantastique Louis XIV, charismatique, inquiétant et mystérieux !

Bref, une belle surprise que ce film, qui oscille entre légèreté et émotion, entre esprit anglais et art de vivre à la française, champagne, macaron, amour et fêtes extravagantes !

A Little Chaos (Les Jardins du Roi)
Alan RICKMAN
2015