Plus les années passent, plus j’ai l’impression d’être le dernier de mon espèce. A me brancher à la source antique, à avoir en tête les histoires de Thésée et d’Achille, à en tirer un usage pour aujourd’hui. Les histoires de kaïros, la culture du monde ancien. L’humanisme. Les mythes. Je l’avais ressenti profondément, dernièrement, à la mort d’Umberto Eco. Qui allait désormais nous parler avec une telle gourmandise du plaisir que peut donner une traduction, le décodage d’un récit surgi des temps anciens et qui nous parlait quand même ? De la poésie de Pindare, ce soleil en mots, qui donnait tant de force ? De l’énergie et des couleurs que cela avait communiqué à nos veines d’enfants qui deviendraient des hommes ? […] Ça aidait quand même à vivre, tout ça, non ? A s’ouvrir à l’autre.
J’ai fait du latin, mais malheureusement, je n’ai jamais eu l’occasion d’apprendre le grec : dans les établissements que j’ai fréquentés, ce n’était pas proposé. Néanmoins, depuis toujours, je me suis abreuvée à la source des mythes et de la vision du monde des grecs, qui m’a toujours semblée beaucoup plus intéressante, vivante et parlante que le judeo-christianisme, qui a glissé sur moi comme l’eau sur les plumes du canard. Je le dis souvent, d’ailleurs, à moitié plaisantant, mais à moitié sérieuse quand même : je suis païenne, et c’est à Zeus, Athéna et à Aphrodite que je voue un culte. Surtout Aphrodite, d’ailleurs.
Me voilà donc un point commun avec Christophe Ono-dit-Biot, et il était évident que ce roman, au titre si beau et au sujet qui me parle tant, ne pouvait pas m’échapper, d’autant que j’avais été profondément émue par Plonger, dont il est une sorte de suite.
Paz est morte depuis deux ans, et César ne s’en remet pas, tourmenté par la question de savoir si elle comptait revenir après son voyage ou si elle ne les aimait plus, lui et Hector. Il a mal, elle lui manque, et il a peur de ne pas être un bon père pour leur petit garçon. Alors, César décide de mourir. Mais son projet est interrompu par Nana, qui sonne chez lui en prétextant avoir oublié ses clés. Sa nouvelle voisine ? César est sûr de ne jamais l’avoir croisée dans l’immeuble. Mais peut-être ailleurs.
Solaire et lumineux même s’il fait aussi pleurer, Croire au merveilleux est un roman d’une sensualité et d’une beauté bouleversantes, tissé de symboles et de métaphores. On y retrouve la tension entre éros et thanatos qui constituait déjà l’architecture de Plonger, ainsi que le motif aquatique, à la fois source de vie et de mort. Comme Ulysse, César voyage autour de la méditerranée, cherchant son Ithaque et sa Pénélope, de la grotte de Calypso au chant des sirènes. Son récit est envoûtant, porteur d’une vision du monde nourrie d’antiquité : la Grèce, pas tant celle de la tragédie pour une fois que celle des mythes et des dieux, Zeus, Athéna, Aphrodite et Mars, une vision du monde d’où jaillit la vie, école de la chair et de la liberté. Le roman opère un retour à notre véritable source : celle du paganisme. L’enterrement du monothéisme. L’amour qui bouleverse tout.
Un roman émerveillant, qui parle à l’âme et met des étoiles dans les yeux lorsque tout, finalement, s’éclaire.
Parce que moi, j’ai envie d’y croire, que la magie n’a pas déserté le monde, et que les histoires qui nous berçaient, enfants, et qui ont fait de nous ce que nous sommes, peuvent encore nous sauver aujourd’hui.
Un énorme coup de coeur ! Il a conquis également Leiloona !
Croire au merveilleux
Christophe ONO-DIT-BIOT
Gallimard, 2017