Eloge du mariage, de l’engagement et autres folies, de Christiane Singer : une exigence existentielle

La vraie aventure de vie, le défi clair et haut n’est pas de fuir l’engagement, mais de l’oser.
Libre n’est pas celui qui refuse de s’engager.
Libre est sans doute celui qui ayant regardé en face la nature de l’amour — ses abîmes, ses passages à vide et ses jubilations — sans illusions, se met en marche,
décidé à en vivre coûte que coûte l’odyssée, à n’en refuser ni les naufrages ni le sacre, prêt à perdre plus qu’il ne croyait posséder et prêt à gagner pour finir ce qui n’est coté à aucune bourse : la promesse tenue, l’engagement honoré dans la traversée sans feinte d’une vie d’homme.

Il y a dix ans, j’avais lu de Christiane Singer le sublime texte qu’elle a consacré à Héloïse et Abélard, Une Passion entre Ciel et Chair ; j’avais été portée vers l’autrice par une citation magnifique sur laquelle j’étais tombée, et extraite de l’essai dont je vais vous parler aujourd’hui. Mais voilà : à l’époque un texte sur le mariage, ça résistait et j’avais donc habilement contourné. Et j’ai eu raison parce que, plus tôt dans ma vie, je n’aurais pas été en mesure de comprendre ce qui s’y joue, et je serais passée à côté. Il y a quelques semaines d’ailleurs, je vous en parlais, de l’engagement. Et lire ce livre ce livre s’est imposé comme un impératif.

Comment se lier indéfectiblement à un autre, alors qu’on ne sait même pas qui on est ? Comment s’engager sur un chemin dont on ne sait où il mène ? C’est un pari, un risque, une folie, mais la plus belle qui soit sans doute.

Dans une langue magnifique, à la fois d’une grande poésie et d’une grande sensualité, Christiane Singer nous invite à redéfinir la liberté, qui n’est pas de fuir mais au contraire de choisir l’engagement, qui est un impératif existentiel prenant naturellement la suite du papillonnage, et de voir le mariage comme un projet qui nous délivre au lieu de nous enfermer, car il nous transforme. L’autre est lié à notre âme, il met le doigt sur nos blessures car devant lui on se met à nu, on se montre vulnérable, et c’est ainsi qu’on peut guérir. Le couple est donc le plus merveilleux des creusets d’évolution : exigeant, mais merveilleux et conduisant à la joie.

Inutile de vous dire que ce texte m’a bouleversée et émerveillée, d’autant que c’est le sujet sur lequel j’écris depuis plus de trois ans, et qu’il a immédiatement rejoint la liste de mes livres préférés sur l’amour

Eloge du mariage, de l’engagement et autres folies
Christiane SINGER
Albin Michel, 2000

Une passion, entre ciel et chair, de Christiane Singer

une passion

Je veux parler d’amour dans ces pages, toutes ces pages.
Tout ce qui a été écrit sur terre, dit, murmuré, hurlé, crié, parle d’amour. Même si, en apparence, il n’est question que de désaccords, de stratégie, de malentendus, de guerres, de politiques et de pouvoir, le vrai sujet est l’amour. Même si ne s’expriment le plus souvent que ses déviances, ses convulsions, ses impuissances, ses dérapages dans l’orgueil, l’ambition, la haine. Il n’est pas un geste, pas un pas qui ne se pose sur terre sous une autre impulsion que l’amour : l’amour dépité, oui, souvent, l’amour bafoué, l’amour entravé, mais l’amour […]
Je veux parler d’amour dans toutes ces pages par honnêteté – car rien jamais – jamais – en toutes ces longues années n’a su m’en distraire – ni la solitude, ni le désespoir, ni les épreuves, ni les impitoyables duretés de notre siècle, ni la faim, ni la poussière des routes, ni le spectacle déchirant des errances humaines, ni la mortelle torpeur qui saisit parfois les âmes.

Vous connaissez maintenant ma passion pour les grandes histoires d’amour, en particulier si elles ont quelque chose de mystique. Autant dire que ce roman, qui récrit l’histoire d’Héloïse et d’Abélard, ne pouvait pas m’échapper plus longtemps…

Héloïse a soixante ans. Elle écrit. De sa cellule du couvent dont elle est l’abbesse, elle s’adresse à Abélard, mort depuis longtemps. Abélard auquel elle a consacré chaque seconde de son existence. Elle se confesse. Elle veut dire l’amour, celui que seuls peuvent comprendre ceux que la passion à consumés aussi. L’amour absolu. Un amour mystique, qui se fait religion et transforme l’être qui le vit. Le transfigure. Un amour passion qui se devait de mal se terminer…

Dire que j’ai été enchantée et bouleversée par cette lecture serait un euphémisme. Elle m’a littéralement transportée. Il s’agit de plus qu’un roman, mais d’un véritable poème, dans lequel Héloïse n’oppose pas son amour pour Dieu et son amour pour Abélard : pour elle, sa vie de femme et sa vie de nonne ne sont pas incompatibles, elles se nourrissent l’une l’autre et finalement ne font qu’une. Le texte est du coup empreint d’un mysticisme sensuel, l’extase amoureuse impose une véritable présence corporelle, un ancrage, il ne s’agit pas d’un amour désincarné, et l’amour physique se pose comme voie d’accès au sacré : on est ici plus proches des philosophies orientales que du catholicisme. Les deux êtres se reconnaissent au premier regard, car ils sont des âmes jumelles, créées l’une pour l’autre et… et bien cela m’a émue aux larmes, et j’ai lu de nombreuses pages les yeux humides tellement c’était beau. Je n’aurai qu’une critique : les citations en latin qui ne sont pas traduites. On s’en passe, mais c’est tout de même dommage…

A noter que l’adaptation du roman est en ce moment visible au théâtre du Lucernaire jusqu’au 17 juin, puis sera en tournée, j’espère pouvoir choper une représentation (en prévoyant les mouchoirs). Plus d’infos ici.

Une Passion, entre ciel et chair
Christiane SINGER
Albin Michel, 1992 (« Espaces Libres », 2000)

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Catégorie « histoire d’amour mythique »