Les dames du Graal, de Jean Markale : la coupe et l’épée

Car, à travers ces personnages de nature féminine, évanescents et souvent aperçus derrière des écrans de brume qui en déforment les visages, surgissent de façon inopinée des caractères, au sens que la langue anglaise donne au mot characters, c’est-à-dire des figures emblématiques dignes des dramaturgies grecques, portant des masques, des personnes, sans lesquelles aucune action ne serait possible. Et ces personnes ont des noms — d’ailleurs multiples et interchangeables — qui témoignent parfois de leur importance et de leur signification (au Moyen-Age on aurait dit sénéfiance) au regard de l’intrigue qui sous-tend l’ensemble des récits du Graal et les exploits des chevaliers arthuriens dans une mythique forêt de Brocéliande où les chemins, d’abord larges et somptueux, se perdent très vite dans le fouillis des ronciers pour n’aboutir nulle part. 

Toujours dans mes recherches sur le Graal, l’alchimie, le féminin tout ça, parallèlement aux romans de Marion Zimmer Bradley, je me suis lancée dans la relecture des essais de Jean Markale, un homme fascinant, spécialiste des Celtes et que j’avais eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois à Lire à Limoges.

Dans cet essai, Jean Markale s’interroge sur le rôle des figures féminines dans les aventures des chevaliers en quête du Graal, un rôle essentiel dans des aventures masculines. L’hypothèse de l’auteur est qu’elles sont des masques cachant les divers aspects de la divinité féminine, la Grande Déesse des Commencements, et qu’à travers elles resurgissent des mythes et des archétypes anciens toujours présents dans l’imaginaire collectif sous le vernis du christianisme. Il étudie ainsi les figures les plus connues, mais aussi celles qui apparaissent très peu : La Dame du Lac, Guenièvre, la Porteuse du Graal, la fille de Merlin, l’Impératrice, la demoiselle à l’Echiquier, Kundry la sorcière, la femme de Perceval, les femmes de Gauvain, la demoiselle d’Escalot, la demoiselle chauve et enfin, bien sûr, Morgane.

Un essai riche et vivement mené, qui s’appuie sur des sources très diverses et dans lequel on apprend des choses très précises sur les Celtes, les différentes mythologies, la gnose,  et aussi les différentes versions de ces romans de chevalerie : si certaines de ces femmes sont des personnages bien connus, d’autres au contraire ne sont présents que dans une seule version, mais ont pourtant une valeur symbolique essentielle. Ce qui ressort de tout cela, c’est que la recherche du Graal est un processus alchimique, processus dans lequel la figure féminine joue le rôle d’initiatrice, au sens où c’est elle qui éveille, qui donne au héros l’énergie de se mettre en route, et que c’est elle qui détient le vrai pouvoir.

Un ouvrage passionnant à de nombreux égards ; il nous permet surtout de comprendre comment, derrière le caractère ouvertement misogyne de certains de ces textes, qui ne sont ni plus ni moins que de la propagande chrétienne, se cache un message beaucoup plus universel et essentiel. Je pense que cet essai pourra notamment intéresser celles qui veulent en savoir un peu plus sur le féminin sacré.

Les dames du Graal
Jean MARKALE
Pygmalion, 1999

 

Excalibur, de John Boorman

Excalibur_AFFICHETerre et roi sont un. Bois de ce calice, tu renaîtras et la terre avec toi.

Film culte des années 80, Excalibur est sans doute l’une des meilleures variations sur la légende du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, adapté de La Morte d’Arthur de Thomas Malory (1485). C’est surtout un film que j’ai vu très jeune (pas à sa sortie néanmoins, mais disons que la première fois je ne devais guère avoir plus de dix ans) et que j’ai revu plusieurs fois depuis, mais pas depuis très longtemps. Néanmoins certaines scènes sont restées profondément gravées dans mon imaginaire. Et, lorsque vendredi soir je listais les films que je pourrais voir/revoir à l’occasion du mois anglais, celui-ci s’est imposé naturellement.

Lorsque Merlin l’Enchanteur remet à Uther Pendragon l’épée Excalibur, qui lui vient de la Dame du Lac, c’est pour lui permettre d’unifier la Grande-Bretagne, mais la passion d’Uther pour Ygraine, l’épouse du duc de Cornouailles, ruine les espoirs de paix de Merlin : après un siège sanglant, Merlin donne à Uther l’apparence du Duc afin qu’il passe la nuit avec Ygraine ; le Duc mort, Uther et Ygraine se marient, mais lorsqu’Arthur naît 9 mois plus tard, il est remis à Merlin, qui le fait élever en secret par un des vassaux du Roi. Peu après, Uther, pris dans une embuscade et sentant la mort approcher, plante l’épée dans un rocher : seul son légitime héritier pourra la retirer…

Véritable épopée mythique, ce film ne manque pas de scènes fortes et marquantes : la danse quasi-hypnotique d’Ygraine qui séduit Uther comme l’aurait fait Salomé, des scènes de bataille d’une violence absolue, des assauts au son des Carmina Burana (mais dans une orchestration que j’ai trouvée un poil trop rapide) ou de Wagner. Mais, dans l’ensemble, j’ai trouvé que le film avait tout de même beaucoup vieilli, et ne manquait pas non plus de scènes qui paraissent aujourd’hui assez kitsch.

Et puis, j’ai eu quelques déceptions. D’abord, j’ai eu un problème avec la narration : j’ai plus eu l’impression d’une succession d’épisodes que d’une véritable construction narrative (ce qui s’explique par le fait que l’histoire couvre un grand nombre d’années et que les ellipses sont indispensables, mais j’ai trouvé que certaines nuisaient à la compréhension pour peu qu’on ne connaisse pas bien la légende arthurienne, et ce d’autant plus que la version donnée par le film de certains épisodes m’a laissée perplexe). J’ai aussi eu un problème avec le casting, qui m’a semblé un peu manquer de charisme, à part Merlin et Morgane (et encore : dans mon imaginaire, Morgane est brune…). Mais c’est surtout le sens qui m’a échappé : nous assistons à la lutte millénaire du Bien contre le Mal, mais finalement, nous ne savons trop où chacun d’eux se situe, car cette lutte se double de la mort de l’Ancien monde. C’est Merlin qui l’explique à Morgane : « Pour notre espèce, les jours sont comptés. Le Dieu Unique chasse les dieux multiples. ».

Bref, encore une fois, je me dis que l’on ne devrait pas revoir les œuvres qui nous ont marqué, sous peine d’être déçu…

Excalibur
John BOORMAN
1982

Mois anglaisBy Titine, Lou et Cryssilda

Les Héritiers de Camelot, de Sam Christer

13034491635_10e54fab77_oSache que la connaissance n’est jamais absolue. Sache-le ou tu ne comprendras jamais le Cycle d’Arthur, comment il se meut avec les planètes et comment il façonne l’histoire de la Terre.

Lorsqu’un antiquaire américain semble-t-il peu scrupuleux est assassiné dans sa boutique, Mitzi Fallon, qui vient de prendre son nouveau poste au service des crimes historiques, religieux et inexpliqués est mise sur l’affaire, car une vieille relique apparaît liée au meurtre : une croix celtique, qui pourrait bien avoir plus de valeur qu’elle n’en a l’air…

J’avoue que j’ai eu un peu de mal à entrer dans ce roman qu’en raison de son genre je m’étais réservé pour les vacances : une écriture très lourde ( à cause de la traduction ?), des remarques et des dialogues parfois navrants voire affligeants et cherry on the cake un cliché que je ne supporte plus : celui du flic alcoolique au lourd passé douloureux.

Fort heureusement, ces désagréments sont rapidement passés au second plan, grâce à une histoire plutôt bien tournée, et je me suis retrouvée happée dans cet univers où le Bien, des chevaliers des temps modernes, descendants des chevaliers de la Table ronde, déguisés en lord anglais (j’avoue un crush total pour le personnage d’Owain Gwyn, et je tuerais pour avoir l’occasion de jeter un oeil dans son extraordinaire bibliothèque), lutte contre le Mal à l’état pur, qui prend ici le visage d’Al-Qaïda. Les personnages sont plutôt intéressants et intrigants, notamment celui de Myrddin. C’est évidemment très manichéen, mais bien fait, la fin est rude pour les nerfs et laisse présager une suite, car certains mystères demeurent…

Bref, un thriller qui ne révolutionnera pas le genre, mais qui ravira ses amateurs, au demeurant nombreux, et qui permet de passer un bon moment : parfait pour les vacances !

Les Héritiers de Camelot
Sam CHRISTER
MA, 2014