Françoise Sagan : De Bonjour Tristesse à Derrière l’Épaule, à la médiathèque Françoise Sagan

sagan_rouchonÀ y penser, les seuls jalons de ma chronologie seraient les dates de mes romans, les seules bornes vérifiables, ponctuelles et enfin presque sensibles de ma vie – Françoise Sagan

Toujours sur la piste des signes, mes pas m’ont menée à la médiathèque Françoise Sagan, dans le 10e arrondissement, pour voir cette exposition de photographies inédites pour laquelle Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan, a puisé dans plusieurs fonds photographiques de la Ville de Paris et dans ses archives personnelles, dans l’objectif de mettre en lumière la vie artistique et littéraire de Françoise Sagan aux différentes étapes de son œuvre.

La progression est donc chronologique, jalonnée par les dates de publication des œuvres. Sur chaque panneau, un titre de livre, une année, une citation, et une ou plusieurs photographies. Denis Westhoff explique : « J’ai réalisé une sélection chronologique en m’attachant bien évidemment aux qualités de chaque photographie – esthétique, cadrage, expression, contexte, personnages présents, originalité – mais principalement en pensant aux œuvres qui devaient occuper son esprit à ces périodes-là de sa vie ». Ici se dévoile Sagan intime, chez elle, en train de dédicacer les livres, avec des amis… des photographies toujours touchantes, émouvantes, qui permettent de saisir un peu de la femme qu’elle était.

Plus loin, d’autres documents : le manuscrit de la première ébauche de son dernier roman, les unes de presse à sa mort, différentes éditions de ses oeuvres, des extraits de journaux, des lettres. Une vitrine est aussi consacrée à ses inspirations : Proust, Faulkner, Rimbaud, Eluard, Stendhal Sartre…

Une très belle exposition, petite mais charmante et émouvante, qui permet de plonger au coeur de la vie et de l’âme de Françoise Sagan — les deux étant indiscutablement liés. Une exposition d’autant plus indispensable qu’elle est gratuite !

Sagan, de Bonjour Tristesse à Derrière l’épaule
Médiathèque Françoise Sagan
8 rue Léon Schwartzenberg, Paris 10e
16 mai – 30 septembre 2015 Entrée libre
(l’exposition sera ensuite présentée en Suisse, à l’automne 2015, au Boléro de Versoix (Genève) et à Deauville au printemps et été 2017, Galerie d’exposition Le Point de Vue, boulevard de la Mer)

Bonjour tristesse, de Françoise Sagan

Bonjour tristesseSur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd’hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres.

J’ai suivi la route des signes. Joyce Maynard m’a conduite à Anne Bérest, qui m’a ramenée vers Bonjour Tristesse. Un roman que j’ai lu un grand nombre de fois, comme pourrait en témoigner mon édition, qui tombe en morceaux, si c’était elle que j’avais photographiée : c’est l’édition originale du livre de poche et elle ne supporterait pas une lecture supplémentaire, il faudra que j’en rachète une. En français. Parce que, voilà l’histoire de l’édition de la photo : en promenade à Bruges, je tombe sur une librairie, et me vient alors une idée folle : et si je choisissais un livre, que j’achèterais dans plein d’éditions et de langues différentes au cours de mes voyages ? J’ai d’abord pensé au Petit Prince, mon livre culte (Bonjour Tristesse l’est aussi, mais pour une raison inconnue je ne songe jamais à le citer), que je possède déjà en anglais. Mais il n’y était pas. Et puis, toujours les signes : je tombe sur une pile de Bonjour Tristesse, en flamand donc même si le titre est resté en français. Alors, je suis les signes, même si je ne sais pas où ils me mènent. Bref, j’ai relu Bonjour Tristesse en français et avant mon voyage, mais je l’ai photographié en flamand à Bruges.

L’histoire, on la connaît : la narratrice, Cécile, raconte l’été de ses 17 ans. En vacances sur la côte avec son père et sa maîtresse, elle mène une vie de bohème chic. Elle vient de rater son bac, mais ce n’est pas grave : le monde est vaste, la vie est belle, il faut en profiter. Mais bientôt s’annonce Anne, qui va mettre fin à cette vie inimitable.

Comme dans une tragédie grecque, le destin tisse sa toile autour des êtres dès les premières lignes. Très fitzgeraldien, le roman est bâti sur la tension entre d’un côté l’amusement, la futilité, l’hédonisme, la légèreté d’une vie facile et luxueuse, et de l’autre la gravité, la rigueur, l’ordre incarné par Anne. Le dionysiaque, l’apollinien, et c’est stupéfiant de voir comment une gamine de 17 ans maîtrise cela à la perfection, en plus d’avoir une écriture qui atteint le sublime : je ne sais pas vraiment comment le lisent les autres, car finalement le lecteur reste seul avec lui-même et ces conceptions de la vie et du bonheur qui s’opposent. Pour ma part, je n’ai jamais aimé le personnage d’Anne, je n’arrive pas à la voir autrement que comme la statue du Commandeur, la censure contre la liberté de jouir et de profiter de la vie : un être sans doute sincère, mais qui veut faire le bonheur des autres malgré eux, en cherchant à les changer ; mais si on aime, on ne cherche pas à changer les gens, et on ne peux pas les rendre heureux en bridant leur nature profonde, même si on fait cela en les endormant.

C’est un roman d’une profondeur incroyable, une vraie réflexion sur la vie, une vraie vision du monde, portée par une écriture magistrale. Pour moi, on atteint le sublime !

Bonjour Tristesse
Françoise SAGAN
Julliard, 1954 (Le livre de poche)