Une Reine, de Judith Elmaleh : une histoire de femmes

A l’époque, je n’avais pas pris la mesure de l’affront. Pour une raison qui m’échappait, je ne m’étais jamais considérée comme « la femme de », « la maman de ». Avant tout, j’étais « la fille de » et « la petite-fille de ». Je ne m’étais jamais considérée, non plus, comme un individu maître de ses choix, de son destin. J’étais le maillon d’une chaîne silencieuse, et je m’interdisais de la briser.

C’est le titre de ce roman qui m’a appelée. Reine. C’est un des mots qui figurent en bonne place sur mon tableau de visualisation. Remettre sa couronne. Reprendre son pouvoir (mon mot de 2023, même si on était encore en 2022 quand je l’ai lu). Et ensuite, le résumé : une histoire de femmes, de lignée familiale, de secrets qui empêchent de prendre sa place. Problématique sur laquelle je réfléchis beaucoup, en ce moment.

Sur un coup de tête, et alors qu’elle a d’autres choses à faire pourtant, Anna, qui vient de divorcer pour la deuxième fois, saute dans un avion pour aller voir sa grand-mère paternelle à Casablanca. Ce n’est pas explicable, mais elle sent qu’elle en a besoin pour comprendre ce qui se passe dans sa vie.

Voilà un magnifique premier roman, tout en délicatesse, émouvant mais aussi, parfois, drôle. Bouleversant, quand il est question de la vie de Mimi. Ce dont il est question ici, c’est des liens transgénérationnels : ces loyautés qui nous étouffent malgré nous, les secrets de famille qui orientent nos vies sans même qu’on le sache. Et que le meilleur moyen de se libérer, c’est de parler.

Une Reine
Judith ELMALEH
Robert Laffont, 2022

Les Mal Aimées, de Caroline Bréhat : l’inceste, un piège transgénérationnel

Tu sais, ma mère s’appelait Aimée. Aimée Lafosse. Ma grand-mère aussi portait ce prénom, elle s’appelait Louise-Aimée. Incidemment, c’est aussi mon deuxième prénom. Ma mère détestait ce prénom, sans doute parce qu’il résonnait comme une injonction impossible. Toute sa vie, elle a lutté pour mériter ce prénom, mais elle ne savait pas comment s’y prendre et a toujours été mal-aimée. Elle me disait toujours qu’il fallait inventer une boussole avec un cinquième point cardinal qui nous dirigerait vers les gens qui savent aimer, ceux qui aiment sans blesser, il m’a fallu du temps pour comprendre ce qu’elle voulait dire. J’aurais tellement voulu qu’elle la trouve, cette boussole. Peut-être alors aurais-je pu la transmettre à Apolline ?

Les liens transgénérationnels est un sujet qui m’intéresse beaucoup, particulièrement en ce moment, et particulièrement les histoires de lignées féminines. J’avais donc très envie de lire ce roman, malgré son thème très douloureux, l’inceste, et la manière dont, telle une malédiction, il semble se transmettre de mère en fille.

Une voix de femme pour toutes les femmes victimes. Une voix de femme, en prison pour avoir sauvé sa fille d’un père violent et incestueux, une femme qui malgré elle a reproduit un schéma familial, et autour de laquelle se tissent d’autres destins de femmes marqués par la violence.

Dire que ce roman m’a secouée serait un euphémisme : il a fait remonter en moi une espèce de colère millénaire, et des peurs aussi, une infinie tristesse, et l’interrogation : celle de ces lignées maternelles à guérir pour sortir de ce piège transgénérationnel. Disons que ce roman a fait remonter beaucoup de choses liées à cette violence, des choses qui ont un lien avec ce fameux Saturne sur mon Ascendant, et, parce que la vie est magique, pendant que je lisais ce roman, j’ai fait un rêve étrange que je n’ai compris que le lendemain, lorsque s’est produit un événement important et libérateur, surtout sur le plan symbolique : ce roman, qui secoue, qui n’est pas facile émotionnellement, est donc pour moi intimement lié à cette synchronicité. Et c’est important.

Mais c’est un roman qui n’est pas seulement glaçant : il l’est, mais il est aussi porté par la lumière, celle de l’amour. Le vrai. Celui qui nourrit. Qui soutient. Qui guérit. Qui permet de renaître, entier. Et c’est l’essentiel.

Les Mal-Aimées
Caroline BREHAT
Art3, 2021

S’aimer, malgré tout de Nicole Bordeleau : histoire d’une renaissance

Quand vous sentez que votre existence tourne à vide, que plus rien ne semble la remplir, que les plaisirs n’on plus aucun goût, que vos rêves ne vous émerveillent plus, que les promesses de succès ne vous motivent plus, comment faire pour continuer ? Quand vous savez qu’aujourd’hui ressemblera à hier et que demain sera une pâle copie d’aujourd’hui, où trouvez-vous la force d’avancer ? Quand la routine vous étouffe comme un corset de fer, qu’est-ce qui pourrait vous inspirer le courage de vous en libérer ? Elle s’était souvent posé ces questions, mais s’en prendre le temps d’en chercher les réponses.

Nicole Bordeleau est bien connue dans le milieu du développement personnel et de la spiritualité : auteure, conférencière et chroniqueuse, elle enseigne le yoga et la méditation, travaille sur ce qui nous empêche d’être nous-même et de nous épanouir, comment réinventer sa vie, et à publié sur ces sujets plusieurs livres. Mais jusqu’ici, pas de roman. S’aimer, malgré tout est son premier, et il fait un bien fou !

Sur le papier, Edith a une vie de rêve. Mais pour elle cette vie est un cauchemar : elle se sent morte, déconnectée d’elle-même, vide. Sans savoir d’où sa vient. Elle boit, trop. Et refuse de se poser les bonnes questions. Lorsqu’elle perd son prestigieux poste, elle se voit obligée de faire face à ce qui l’entrave, et la réponse pourrait bien se trouver dans les carnets de son père…

Le thème est classique : un personnage qui vit une vie qui n’est pas la sienne, qui a honte d’être soi, de montrer sa vulnérabilité. Et qui, surtout, ne sait pas comment mettre fin à sa souffrance, à part en buvant plus que de raison afin d’endormir le mental qui tourne en boucle, et la souffrance. Mais ça ne fonctionne pas, bien sûr : ce qu’il faut, c’est faire le ménage dans le passé. Dans les blessures transgénérationnelles qui empêchent d’être soi, à cause de loyautés dont on n’a même pas conscience. Thème classique, mais le traitement ne l’est pas tant que ça, et surtout, si ce thème est autant traité, c’est qu’il s’agit d’un problème qui touche beaucoup de monde. Ce qui circule dans nos veines, transmis par nos ancêtres : peurs, échecs, hontes, déceptions, trahisons, limitations. Des schémas que l’on reproduit malgré soi, alors qu’ils ne nous appartiennent pas. Comment, alors, devenir pleinement soi ? Il n’y a pas de réponse unique, les chemins sont multiples et personnels, mais ce roman et la trajectoire d’Edith permettent de se poser les questions. Des questions que je me pose beaucoup en ce moment !

Un roman très intéressant et bien mené, assez émouvant, qui permet de réfléchir à ce qu’on veut de la vie !

S’aimer, malgré tout
Nicole BORDELEAU
Flammarion, 2021