Frida, de Julie Taymor

Frida, de Julie TaymorIl y a eu deux accidents dans ma vie, Diego, l’autocar puis toi. Tu es indéniablement le pire. 

Je n’avais jamais vu ce film, alors même que depuis longtemps je m’intéresse beaucoup à Frida Kahlo, la femme et l’oeuvre. Il faut dire qu’à sa sortie, j’étais plutôt occupée (je passais l’agrégation et c’est le genre de trucs qui vous fait vivre dans une grotte), et après, je n’en ai pas trop eu l’occasion. L’autre soir, je suis tombée dessus par hasard, et j’ai donc comblé cette impardonnable lacune.

Adaptation d’un roman de Hayden Herrera, le film retrace le parcours exceptionnel de cette femme libre que fut Frida Kahlo : l’accident de bus aux séquelles irréversibles qui la poursuivront toute sa vie, sa peinture totalement atypique, son engagement communiste, sa bisexualité et sa liaison supposée avec Trotsky, et bien sûr, sa passion faite de hauts et de bas pour Diego Rivera.

Lumineux, magnifiquement interprété (Salma Hayek n’interprète pas Frida, elle est Frida, tant physiquement qu’émotionnellement, allant jusqu’à peindre réellement dans certaines scènes), le film est, malgré quelques longueurs, un régal, car il parvient à rendre parfaitement le caractère exceptionnel de cette femme libre qu’était Frida, Artiste avec un grand A, corps souffrant et âme souffrante qui parvient à insuffler à ses oeuvres quelque chose de l’ordre de la pulsion de vie qui transparaît ici de manière évidente. Très sensuel, très coloré, dégageant une réelle énergie, il fait la part belle aux tableaux, à la pulsion créatrice, mais se concentre aussi et surtout sur son amour/passion pour Diego Rivera, quelque peu étonnante d’ailleurs : mais chez Frida, la passion amoureuse et la peinture sont intrinsèquement liées, deux faces d’une même médaille, celle de la célébration de la vie qui transcende la souffrance.

Un très beau film, donc, que je regrette d’avoir mis si longtemps à voir !

Frida
Julie TAYMOR
2002

Camus, de Laurent Jaoui

Camus, de Laurent JaouiComment peux-tu connaître les femmes aussi mal, toi qui les fréquentes tant ?

Encore une fois, c’est le hasard (ou la loi de la synchronicité, je ne sais jamais) qui m’a fait tomber sur ce film alors que je cherchais tout à fait autre chose (enfin tout à fait, pas vraiment, mais passons, de toute façon je n’ai pas trouvé ce que je cherchais, mais du coup on peut aussi parler de sérendipité). Donc comme j’aime Camus et que j’aime les films mettant en scène des écrivains, je n’ai pas hésité.

L’histoire commence à Alger, lorsque l’instituteur d’Albert Camus, confiant dans l’intelligence et les capacités du petit garçon, se démène pour que sa mère et surtout sa grand-mère le laissent continuer l’école. Mais si cet évènement ouvre et clôt le film, c’est aux dix dernières années de la vie de l’écrivain qu’il s’intéresse, prenant comme point d’ancrage le réveillon de 1959 avec Michel et Jeanine Gallimard, alors que Camus s’est enfin remis à l’écriture et compose Le Premier Homme, et procédant par flash-back…

L’intention est louable : un biopic, cela peut vite devenir pénible, et le mieux est de choisir un angle au lieu d’essayer de tout traiter. Ici, l’angle est à la fois chronologique, dix années qui englobent la rupture avec Sartre, le Prix Nobel et la guerre d’Algérie, et thématique : les femmes. Ici il est peu question d’écriture finalement : c’est un Camus intime que l’on nous montre, ses relations chaotiques avec sa femme Francine profondément dépressive, Maria Casares (mais pas tant que ça), et ses multiples maîtresses. Et, je l’avoue, ce choix de traitement m’embête un peu : non que je refuse qu’on casse le mythe, mais j’ai été peu touchée par ce Camus faible et assez égoïste, qui occulte un peu la grandeur du personnage et sa complexité. Disons que pour moi, dans ce film, il y a trop de Camus-Don Juan et pas assez de Camus grand intellectuel. D’autant que je n’ai pas du tout été convaincue par la prestation de Stéphane Freiss, qui est un excellent acteur mais qui ne parvient pas au niveau de l’incarnation. Ce qui est très difficile, j’en conviens.

Bref, ce film m’a déçue.

Camus
Laurent JAOUI
2009

Jackie, de Pablo Larrain

Jackie, de Pablo LarrainThere are two kinds of women, those who want power in the world and those who want power in bed.

Non, je ne devient pas obsessionnelle, ce n’est pas du tout mon genre : il se trouve juste que, quelques jours après que j’aie fini de visionner The Kennedysce biopic de Jacky est sorti en VOD, et j’avais très envie de le voir.

Quelques jours après la mort du Président, Jackie accorde une interview dans laquelle elle raconte la mort de son mari, et les jours qui ont suivi, notamment l’organisation assez compliquée des funérailles.

Un film extrêmement esthétique mais finalement très froid (même si, pour ma part, je pleure dès qu’on me parle de la mort de Kennedy) et insaisissable, qui repose sur une narration alternant le présent de l’interview et diverses strates du passé : le jour de l’assassinat en lui-même, l’organisation des funérailles, auxquels se mêle une reconstitution d’un reportage dans lequel Jackie faisait visiter la Maison Blanche aux téléspectateur. JFK, on ne le voit quasiment pas, finalement, et tout ici repose sur les épaules de Natalie Portman qui, de fait, incarne une sublime Jacky Kennedy, à la fois digne, hautaine, et émouvante par moments. Ce qui est en jeu ici, c’est la manière dont elle a voulu l’enterrement comme une mise en scène dans laquelle elle veut imposer une certaine image de JFK à l’histoire (et, de ce point de vue, on peut dire qu’elle a réussi) : cela commence d’ailleurs dès le rapatriement du corps, lorsqu’elle tient à sortir de l’avion par l’avant et à affronter les journalistes avec le tailleurs encore maculé de sang, et cela va jusqu’au trajet à pied et aux chevaux qui tirent le cercueil, au mépris de la sécurité et du protocole. Et c’est là que naît un sentiment étrange : durant ces heures, Jackie reste totalement maîtresse des apparence. Première dame plus qu’épouse.

Un film qui se révèle donc au final assez troublant, parfaitement maîtrisé mais déstabilisant par l’image qu’il donne de Jackie…

Jackie
Pablo LARRAIN
2016

 

Dalida, de Lisa Azuelos

Dalida, de Lisa AzuelosLa cosa piu importante sei l’amore…

J’ai toujours été fascinée par Dalida, et même si j’étais petite à l’époque, je me souviens très bien du jour de sa mort. J’aime ses chansons, que j’ai pour la plupart dans ma playlist, et j’aime la femme : il y a chez elle quelque chose qui me touche infiniment. Alors, je ne pouvais décemment pas passer à côté de ce film.

Mêlant différentes temporalités, Dalida nous raconte les événements marquants de ce destin hors du commun, de son enfance au Caire à son suicide, en passant par ses succès, et surtout les hommes de sa vie…

Esthétiquement et émotionnellement très réussi, sur une bande originale forcément sublime, le film de Lisa Azuelos se concentre sur l’intime, celui d’une femme (parfaitement incarnée par la divine Sveva Alviti) solaire mais totalement déchirée de l’intérieur : si elle sourit, si elle donne le change, si elle semble avoir tout pour être heureuse, elle est en réalité sans cesse au bord d’un gouffre, errant désespérément à la recherche de ce qui la fuit : l’amour, ici posé comme valeur cardinale. Des hommes dans sa vie, il y en a eu, qu’elle a aimé follement et qui l’ont aimée follement : Lucien Morisse, Luigi Tenco, Richard Chanfray dit le comte de saint-Germain. Mais il y a toujours eu, à un moment, un petit grain de sable qui a tout fait dérailler, et la mort rode autour d’elle, toujours, lui arrachant ceux qu’elle aime. Le spectre du suicide. Et puis, il y a Orlando, son frère, qui lui a dédié sa vie. Il y a, enfin, l’amour du public, mais cela ne peut pas combler le vide immense qu’il y a en elle.

Un film bouleversant, très sensible, qui m’a beaucoup perturbée — et fait pleurer !

Me reste maintenant à aller voir l’exposition au palais Galliera !

Dalida
Lisa AZUELOS
2016

Bonus-track : cette chanson absolument sublime !

(pour la petite histoire : pendant très longtemps, j’ai cru qu’elle mettait de l’or dans ses cheveux, et non de l’ordre)

Big Eyes, de Tim Burton

Big EyesCe qu’a fait Keane est sensationnel. C’est forcément bon. Si c’était mauvais, il n’y aurait pas autant de gens pour aimer ça. (Andy Warhol)

Dès le départ, ce film ne m’enthousiasmait pas plus que ça. Mais bon, Tim Burton est un des réalisateurs auxquels je fais une confiance absolue, donc j’ai dépassé mes a priori pour le voir quand même.

Margaret Ulbrich quitte son mari et s’installe à San Francisco avec sa fille, dans le but de prendre un nouveau départ. Elle essaie de vivre de son art, des portrait d’enfants sur lesquels les yeux sont surdimensionnés. Un jour qu’elle exécute des portraits de rue, elle fait la connaissance de Walter Keane, lui aussi peintre, et qui comme elle a du mal à vendre ses toiles. Ils tombent amoureux, se marient, mais Walter, sentant le bon filon, se fait passer pour l’auteur des Big Eyes, prétendant que le succès ne serait pas le même si on savait qu’ils ont été peints par une femme. Et, de fait, le succès des toiles devient monumental.

Le film ne manque pas d’intérêt dans les thèmes traités, l’art et la place de la femme dans la société. La thématique artistique notamment permet d’interroger les notions de valeur : les tableaux sont immondes (il faut bien être honnête, c’est laid !) mais ont du succès, notamment parce que Walter sait y faire niveau marketing et qu’il comprend vite l’intérêt des reproductions, vendues à bas prix un peu partout : l’inverse du ready made, finalement, et cette réflexion est assez finement amenée, lorsque Margaret achète une boîte de Campbell Soup avant de tomber nez-à-nez avec des reproductions de ses tableaux en tête de gondole d’un supermarché. D’ailleurs, avec la citation que j’ai mise en exergue, le film entier semble placé sous l’égide de Warhol. Peut-on alors parler d’art ? C’est une des grandes questions, et il est difficile d’y répondre : Walter n’est très certainement pas un artiste, c’est un petit escroc, Margaret en revanche a une âme d’artiste et d’ailleurs son travail évolue vers quelque chose d’assez intéressant.

L’autre sujet du film, c’est la femme : l’idée est tout de même qu’une femme ne peut pas être autonome, encore moins artiste, dans cette société étriquée du début des années 60, et le film raconte aussi la descente aux enfers d’une femme dans son couple. Margaret semble d’ailleurs avoir du mal avec la notion d’indépendance : elle quitte un premier mari dont on ne saura rien pour presque tout de suite tomber sous la coupe d’un second, et lorsqu’elle s’en débarrasse enfin c’est pour se faire prendre dans les filets des témoins de Jéhovah…

Bref : un bon film. Mais… où est Tim Burton ? Où est le merveilleux, l’onirisme, la poésie ?

Big Eyes
Tim BURTON
2014

Sylvia, de Christine Jeffs

SylviaYou have to write. It is what poets do.

Toujours une histoire d’écrivain, évidemment : j’avais adoré Les femmes du braconnierde Claude Pujade-Renaud, qui racontait également l’histoire de Sylvia Plath et de Ted Hughes. L’histoire ? La tragédie, en fait. Aussi, lorsque je suis tombée par hasard sur ce film, je n’ai pas hésité.

Cambridge, 1956 : deux poètes prometteurs, l’Américaine Sylvia Plath et l’Anglais Ted Hughes, se rencontrent, tombent amoureux et finissent par se marier. Malheureusement, s’ils sont d’abord heureux, d’un vrai bonheur, celui de deux êtres qui se sont trouvés et s’aiment à la folie, s’entendant parfaitement sur le plan physique et intellectuel, tout est pourtant miné depuis le départ : Plath, maniaco-dépressive, a fait plusieurs tentatives de suicide avant de rencontrer Hughes, a du mal à concilier sa vie d’épouse et l’écriture, et se montre d’une jalousie maladive (pas à tort, ceci dit). Et se met en place la machine infernale de la tragédie…

Voilà un film qui m’a enchantée, car il ne s’intéresse pas seulement à l’histoire du couple Plath/Hughes : il est aussi, et surtout, question des affres de l’écriture, avec une Sylvia qui, écrasée par son mari, son rôle de mère et d’épouse, finit par ne plus arriver à écrire, ce qui dans son cas, s’avère mortel : petit à petit, on la voit s’éteindre. Le film est tissé de citations de poèmes, qui donnent envie de se plonger dans les oeuvres des deux génies. Et puis, j’ai eu la surprise de trouver là Daniel Craig, assez jeune, et s’il ne me séduit pas plus que ça en James Bond, il dégage ici une sensualité animale proprement époustouflante !

Un film où s’affrontent Eros et Thanatos, l’amour et la littérature, à voir absolument !

Sylvia
Christine JEFFS
2003

Sade, de Benoît Jacquot

sadeJ’ai suivi les chemins de traverse quand on voulait m’obliger à la grande route.

Alors que l’on célébrait l’an dernier le bicentenaire de sa mort par plusieurs expositions, le marquis de Sade ne cesse de me fasciner. Pas tant l’oeuvre — il y a de grandes choses, mais c’est tout de même souvent assez indigeste — que l’homme, incompris, rebelle et précurseur dans son affirmation à la fois d’un athéisme radical et d’une liberté totale de jouir. Mais je n’avais jamais vu ce film, qui se concentre sur une période particulièrement violente et troublée de l’histoire de France, la Terreur.

En 1794, alors que règne la Terreur, Sade est enfermé à la clinique de Picpus, où d’autres nobles comme lui essaient de survivre et d’échapper à la mort. Si sa réputation sulfureuse le précède, il ne gagne pas moins l’estime de certains de ses co-détenus. Il s’attache notamment la jeune Emilie de Lancris, qui ne manque pas d’esprit, et l’initie à sa conception de la vie : profiter de chaque moment qu’elle offre.

Ici, Eros et Thanatos s’affrontent sans cesse. La mort rôde et vient s’afficher jusque sous les fenêtres de la clinique devant laquelle se dresse la guillotine et se creusent les charniers. Chacun, d’un jour à l’autre, peut être appelé et exécuté (certaines scènes sont d’ailleurs assez terrifiantes), et en particulier Sade, qui ne doit son salut qu’à son ancienne maîtresse et au nouveau compagnon de celle-ci, Fournier, un proche de Robespierre. Pourtant, Sade n’en a cure, et vit pleinement les jours, affirmant plus que jamais qu’il faut jouir de la vie jusqu’au dernier instant, même lorsque la mort toque à la porte. Sans jamais avoir de remords. Alors, il commande des alcools fins, écrit, monte une pièce de théâtre, et se fait l’éducateur de la jeune ingénue que, vieillissant, il ne veut pas déflorer lui-même, mai qu’il initie néanmoins à la sensualité et à la liberté.

C’est un très beau film, qui manque parfois un peu de rythme mais qui parvient à rendre parfaitement tout ce qui constitue la philosophie sadienne : plus qu’une sexualité débridée, ce qui est en jeu ici c’est cette affirmation de la vie jusque dans la mort. Daniel Auteuil incarne parfaitement le divin marquis et, si je ne suis habituellement pas une grande adepte d’Isild Le Besco, je dois avouer qu’elle est parfaite dans ce rôle d’ingénue libertine qui découvre que les plaisirs de la vie sont plus grands que la peur de la mort, elle qui craignait tant de mourir avant d’avoir vécu.

Sade
Benoît JACQUOT
2000