David Hockney à Beaubourg

David Hockney à BeaubourgJe suis persuadé que la photographie nous a causé du tort. Elle nous a conduits à regarder le monde d’une seule et même façon, plutôt ennuyeuse. […] Nous vivons à une époque où une grande quantité des images réalisées n’ont pas pour ambition d’être considérées comme des oeuvres d’art. Leurs auteurs revendiquent quelque chose de beaucoup plus douteux : ils disent qu’elles sont la réalité.

J’avais loupé Magritte (à cause de la foule), hors de question que je loupe Hockney (même si j’aime moins à la base).

David Hockney a 80 ans, et cette rétrospective de plus de 160 oeuvres (peintures bien sûr, mais aussi photographies, gravures, installations videos, dessins, ouvrage) restitue l’intégralité du parcours de l’artiste, de ses premières oeuvres à ses dernières, dont le vernis est à peine sec : soixante années de travail s’offrent donc sous nos yeux, avec leurs évolutions et leurs motifs récurrents, leurs influences changeantes, mais un regard unique, celui d’un artiste.

Pour être honnête, je n’ai pas autant aimé cette exposition autant que j’aurais voulu, pour une raison toute bête et matérielle : la foule (pourtant j’étais arrivée avant l’ouverture avec un billet coupe-file et donc dans les premières à entrer). Comment se laisser transporter par une oeuvre lorsqu’autour une nuée de sauterelles bruyante s’agite ? C’est l’une des expositions les plus courues de Paris, et cela lui nuit un peu. En outre, j’ai peu apprécié les oeuvres de jeunesse. Par contre, j’ai été bouleversée par la manière dont le désir traverse toute cette oeuvre : cela est évidemment sensible dans les toiles californiennes et les célèbres « Pool paintings » qui manifestent l’hédonisme : le bleu des piscines, les corps dénudés, il se dégage de l’ensemble une sensualité et un érotisme saisissant. J’ai également beaucoup apprécié les portraits, la série des collages polaroids, l’installation video des quatre saisons et les oeuvres dans les dernières, à la terrasse bleue, ainsi que le tout dernier tableau, avec une citation explicite de T.S. Eliot : «Birth, copulation, death/ that’s all the facts when you get down to brass facts» – naissance, copulation, mort.

Chronologique, aéré, le parcours serait parfait si l’on n’avait pas l’impression d’être dans un grand magasin la veille de Noël. Pour le reste, j’ai quand même apprécié cette découverte : même si tout ne m’a pas touchée, j’ai appris à mieux connaître un artiste fabuleux !

David Hockney – Rétrospective
Beaubourg – Centre George Pompidou
Jusqu’au 23 octobre

Gérard Fromanger à Beaubourg

Gérard FromangerPuisque j’étais à Beaubourg pour visiter l’exposition Anselm Kiefer, j’en ai profité pour voir aussi la rétrospective consacrée à Gérard Fromanger, un artiste que je ne connaissais pas du tout mais que j’ai eu plaisir à découvrir au fil de la cinquantaine d’œuvres exposées, datant de 1957 à 2015.

Après Kiefer et son univers sombre, plonger dans celui de Fromanger fait un choc : la couleur est un des ressorts principaux de son travail, et on a l’impression de respirer à nouveau, même s’il ne s’agit pas d’art ludique : la peinture de Fromanger se révèle au contraire particulièrement attentive aux mutations profondes de la société et à l’actualité, tout en restant consciente du geste artistique lui-même et empreinte d’un grand souci formel. Malgré la couleur, qui peut avoir quelque chose de gai et de léger, l’ensemble propose une véritable réflexion politique.

Un voyage fascinant, à ne pas manquer !

Gérard Fromanger
Centre Georges Pompidou
Jusqu’au 16 mai 2016

Anselm Kiefer à Beaubourg

KieferUne exposition que je ne voulais louper sous aucun prétexte, n’ayant absolument pas réussi à trouver le moyen de voir l’autre exposition Kiefer, à la BNF.

Anselm Kiefer, c’est la démesure et l’obsession. Immédiatement, le spectateur est saisi par la monumentalité des oeuvres, et leur aspect évidemment tourmenté : hanté par l’histoire de l’Allemagne, la ruine, la guerre, la violence, mais aussi la mythologie, kiefer travaille la toile dans l’épaisseur, la matérialité. Les tableaux, très sombres, souvent en relief, semblent vouloir laisser échapper monstres et fantômes, comme dans un cauchemar. Les vitrines mettent en évidence la fragilité, l’éphémère.

C’est saisissant et fascinant. Difficile de rester insensible devant ce travail absolument extraordinaire, où se multiplient les références. Un travail palimpseste, nourri de mythes nordiques et de mystique, ésotérisme, kabbale, mais aussi de littérature : beaucoup de textes écrits sur les tableaux, des livres brûlés, des références et hommages — Virginia Woolf, Céline, Genet…

Une exposition très riche, dont je suis sortie un peu sonnée et sans mots…

Anselm Kiefer
Centre Georges Pompidou
Jusqu’au 18 avril 2016

Sophie Calle, fictions de l’intime à Beaubourg

Non, Beaubourg ne propose pas une nouvelle rétrospective à Sophie Calle. Mais l’autre jour, profitant de ma découverte du nouvel accrochage des collections d’art moderne, j’ai pris le temps de musarder un peu à l’étage art contemporain, et notamment dans l’exposition « Une histoire. Art, architecture et design des années 1980 à nos jours » (visible jusqu’au 11 janvier 2016), qui propose des clefs de lecture sur la création la plus contemporaine. Je n’ai pas grand chose à dire sur l’exposition dans son ensemble, par contre j’ai passé un long moment dans une salle en particulier, celle qui est consacrée à l’artiste comme narrateur et aux fictions de l’intime. Ce sujet m’intéresse, d’autant que c’est le titre d’un des programmes de littérature comparée lorsque j’ai passé l’agrégation. Mais ici, ni Virginia Woolf, ni Paul Valery, ni Schnitzler, mais Sophie Calle, avec deux projets.

Le premier est celui qu’elle a mené en collaboration avec Paul Auster, on ne s’étonnera donc pas qu’il m’ait particulièrement intéressée. Dans Leviathan, pour construire le personnage de Maria, Paul Auster s’était inspiré de plusieurs travaux réels de Sophie Calle : la Suite vénitienne (1980) dans laquelle elle suit un homme de Paris à Venise, et le photographie à son insu ; L’Hôtel C. (1984), où elle se fait engager pendant trois semaines comme femme de chambre et où elle enregistre les faits et gestes des clients ; la filature réalisée en 1981 par un détective privé qu’elle paie pour la suivre et enquêter sur elle. L’ensemble donne un dispositif hybride de textes et d’image. A ces projets réels, Paul Auster ajoutait d’autres actions, inventées par lui. Du coup, Sophie Calle a eu envie, avec The Gotham Handbook, d’inverser le procédé et de tenter de se rapprocher encore plus du personnage de Maria en suivant les instructions de l’écrivain, réunies sous le titre « Mode d’emploi pour embellir la vie à New-York » : sourire aux gens, leur parler, leur offrir sandwich ou cigarettes, engager la conversation avec eux. Et voir ce qui en résulte*.

Deuxième projet exposé : « Douleur exquise » (1984-2003), qui fait le récit, à la manière d’une enquête, d’une rupture amoureuse, et s’inscrit dans le projet global de Sophie Calle de constituer des archives autour de son histoire. L’oeuvre met ici en regard le témoignage de Sophie Calle avec les paroles d’anonymes qui répondent à la question « quel est le jour où j’ai le plus souffert ? » et dresse ainsi un portrait intime de la douleur à visée cathartique.

Cela m’a passionnée, et m’a permis de comprendre quelque chose concernant ma relation avec l’art contemporain : je suis beaucoup plus touchée et réceptive lorsque l’artiste s’intéresse aux mots et inclut du texte dans son projet !

*Vous remarquerez que j’ai trouvé le moyen de m’insérer moi-même dans le projet grâce à un processus de mise en abyme réfléchi !

Nouvel accrochage des collections d’art moderne à Beaubourg

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J’aime de plus en plus Beaubourg. Pas seulement parce que l’endroit offre une des plus belles vues de Paris, mais aussi parce que les plateaux, clairs et aérés, permettent une circulation agréable : se promener dans les collections permet vraiment de rencontrer les oeuvres, de « musarder », de s’arrêter devant telle ou telle un moment, s’asseoir sur un banc, rêver, méditer, voire écrire.

J’étais curieuse de voir ce nouvel accrochage, et je n’ai pas été déçue, car il permet vraiment de s’attacher à l’histoire de l’art moderne, les courants, les grands noms, du moderne au contemporain. Une présentation lisible, claire, presque didactique. Le visiteur peut ainsi mieux appréhender les grands moments de l’art moderne dans leur complexité et leur richesse, entre fauvisme, cubisme ou surréalisme, abstractions lyriques et abstractions froides. De grands ensembles monographiques sont consacrés aux artistes emblématiques de la collection: Henri Matisse, Georges Rouault, Georges Braque, Pablo Picasso, Sonia et Robert Delaunay, Fernand Léger, Vassily Kandinsky, František Kupka, André Breton, Alberto Giacometti, Jean Dubuffet et bien d’autres…

Mais la nouveauté remarquable, ce sont les expositions-dossiers de différents formats, renouvelées chaque semestre à partir des fonds documentaires conservés par la Bibliothèque Kandinsky, qui jalonnent le parcours. Les premières sont consacrées aux « passeurs d’art » qui ont contribué à écrire l’histoire de la modernité – théoriciens, historiens, critiques, amateurs éclairés ou penseurs du temps : Georges Duthuit, Guillaume Apollinaire, Georges Bataille, André Breton, Michel Ragon, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Jean Paulhan ou Pierre Restany… Ces expositions-dossiers permettent au visiteur de mieux comprendre le rôle déterminant de figures intellectuelles majeures et constituent autant d’éclairages nécessaires à la compréhension de l’histoire de l’art et de celles et ceux qui la font. Elles permettent aussi de montrer les liens étroits entre la littérature et les autres arts, ce qui ne peut que me rendre heureuse !

Rétrospective Jeff Koons, à Beaubourg

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Jeff Koons est sans conteste l’un des artistes les plus influents mais aussi les plus controversés de ces dernières décennies. Imposteur pour les uns, génie pour les autres, une chose est sûre : il ne laisse pas indifférent. Et ses œuvres atteignent des sommes proprement inimaginables sur le marché de l’art contemporain.

Tout cela valait bien une rétrospective au Centre Pompidou, la première consacrée à l’artiste en Europe.

Tout est là, sous nos yeux, déployé sur l’immense plateau de la Galerie 1, qui offre en bonus un extraordinaire panorama sur Paris.

Organisée de manière chronologique de 1979 à nos jours, l’exposition est claire, aérée, et permet en un instant de capter l’essence de l’art de Koons, les lignes de force, les invariants, tout en mettant aussi l’accent sur les évolutions d’une série à l’autre depuis les premières œuvres conçues dans une veine héritée du Pop art et du ready made, aux œuvres actuelles dialoguant avec l’histoire de l’art et l’antiquité.

Le projet de Jeff Koons est, avant tout, d’interroger la société américaine et ses valeurs, de questionner le rêve américain, mais aussi de brouiller les frontières entre la culture d’élite et la culture de masse. C’est, aussi, un art qui se veut joyeux, ludique, créateur de bonheur. Tout en restant subversif, même si l’auteur s’en défend.

Comme c’est apparemment la mode, l’exposition dispose de son « cabinet noir » : un espace fermé, interdit aux moins de 18 ans, abrite la série « Made in Heaven », une série qui met en scène Koons avec la Cicciolina (Ilona Staller de son vrai nom), et qui s’intéresse à la sexualité grâce à une imagerie plus que kitsch, celle de la célèbre actrice porno (recyclée ensuite dans la politique, comme quoi…). Pas de quoi non plus s’affoler ni fouetter une chatte (désolée) : si, en effet, l’un des clichés (deux si l’on insiste vraiment) est clairement pornographique (je ne vous le montrerai donc pas), le reste des (peu nombreuses au demeurant) œuvres ici présentées n’a rien d’éminemment scandaleux.

Je ne saurais expliquer pourquoi, Koons me parle (pas directement : c’est une image, il n’a pas mon numéro de téléphone). Je me sens à l’aise face à ces oeuvres, alors que je suis souvent assez perplexe devant l’art contemporain. C’est enfantin, et assez parlant.

Et puis, il faut quand même insister sur le fait que le grand intérêt de cette rétrospective est qu’elle est avant tout une expérience : les oeuvres créent des effets de lumières et de miroirs dans lesquels elles se reflètent les unes les autres et se démultiplient à l’infini. Le spectateur lui même est pris dans cette réverbération, s’admire dans ces reflets. Les photographies, loin d’être interdites, sont au contraire encouragées et participent pleinement de la visite : le plateau devient alors le paradis du selfie et des poses cocasses au côté des oeuvres. L’art perd de sa sacralité, n’est plus intimidant : au contraire il devient jeu, et le visiteur artiste et oeuvre d’art lui-même. C’est une manière radicalement nouvelle de concevoir l’art et la muséographie, et ça fonctionne : je ne serais pas surprise que le succès de l’exposition soit en partie dû au déferlement de clichés sympathiques sur les réseaux sociaux. Je ne vous montrerai pas mes propres selfies (j’en ai un rigolo avec les easyfun parce que je l’ai fait en même temps qu’une autre visiteuse et nous avons exactement la même position) mais vous pouvez m’apercevoir sur certains clichés.

Voilà une exposition enthousiasmante et inspirante, très ludique, totalement kitsch, une exposition faite pour le visiteur qui n’est pas tenu à distance mais au contraire inclus dans la scénographie, et pour tous les publics, habitués ou non à l’art contemporain car elle se lit à plusieurs niveaux. Une exposition parfaite également pour les enfants, qui s’en donneront à coeur joie.

Leiloona l’a vue aussi et s’est beaucoup amusée également en matière photographique, même si elle est perplexe sur le contenu !

Jeff Koons – La rétrospective
Centre Pompidou – Beaubourg
Jusqu’au 27 avril 2015