Le Printemps suivant – 2. Après la pluie, de Margaux Motin : le grand oui de la vie

Rien n’est facile… Mais si je prends soin de moi, pleinement… Et si je suis attentive à lui… sincèrement… Alors, je crois que tout est possible…

J’attendais cet album, la suite de Vent Lointain, avec beaucoup d’impatience, mais quitte à avoir attendu, je me le suis réservé pour un moment où je pourrais pleinement en profiter, ce que j’ai fait l’autre après-midi : j’étais fatiguée, le moral n’était pas au mieux, et je me suis dit que ce serait parfait pour me donner une bouffée d’air frais tant, je l’ai déjà dit, j’adore le travail de Margaux Motin.

A la fin du tome précédent, nous avions quitté Pacco et Margaux un peu fâchés, et nous les retrouvons au bord de la séparation : Pacco boude, et toutes les tentatives de réconciliation de Margaux semblent se heurter à l’échec. Ce qui la renvie à une période douloureuse de son enfance : la séparation de ses parents, et son sentiment d’avoir été abandonnée par son père, et la peur qui ne la quitte pas de l’être à nouveau, ce qui l’empêche de faire confiance.

A nouveau il s’agit d’un magnifique album, à la fois léger et plein de vie, et d’une grande profondeur : l’amour, le couple, ce n’est pas facile, c’est du travail, et aussi un creuset de transformation : notre âme sœur, ce n’est pas l’amour sans nuages. Son rôle dans notre vie, c’est aussi de venir mettre au jour nos blessures enfouies, nos peurs profondes, pour nous permettre de nous en libérer, et c’est ce que montre magnifiquement cet album, avec beaucoup de douceur et de poésie. Et l’autrice s’y met à nu avec beaucoup d’authenticité : si elle apparaît toujours un peu fofolle, parle aux abeilles (même si elle en a peur) et se passionne pour les pierres, elle se montre aussi fragile et vulnérable. Il y a surtout beaucoup d’amour dans cet album, et cela fait un bien fou !

Le Printemps suivant – 2. Après la pluie
Margaux MOTIN
Casterman, 2022

María et moi, de María Gallardo et Miguel Gallardo : voyage au pays de l’autisme

Et voilà. María, c’est María, et moi, son papa. Parfois on se fâche, le plus souvent on rit, on parle tout le temps, surtout elle. J’aime dessiner pour elle, c’est une façon de communiquer entre nous. María est la meilleure fille dont un père puisse rêver.

Ma nouvelle habitude, à la médiathèque, c’est de farfouiller dans les rayons et les bacs de bandes dessinées, sans rien chercher, et de voir ce qui m’appelle. Je crois que c’est un excellent moyen de faire de magnifiques découvertes dues au hasard et à la sérendipité (ou à la nécessité, qui sait ?). C’est comme cela que je suis tombée sur ce petit album dont je n’avais strictement jamais entendu parler, mais dont le sujet, le trouble du spectre autistique, m’intéresse.

Il s’agit d’un album de voyage. Le séjour d’une semaine de María, qui de par son TSA, ne voit pas le monde de la même manière que les autres, et son père, dessinateur, dans un village de vacances aux Canaries : le voyage épique en avion, leur quotidien organisé autours de rituels et d’habitudes, les intérêts particuliers de la jeune adolescente, ses difficultés à comprendre toujours les interactions sociales et à gérer ses émotions, le regard souvent peu bienveillant des gens.

C’est aussi, de fait, un voyage au cœur de l’autisme : mieux qu’avec un essai sur le sujet, on comprend plus facilement (et concrètement) de quoi il est question, le quotidien. Miguel Gallardo montre également les outils qu’il a créés pour aider María : des dessins des gens qui font partie de sa vie, puisque son intérêt particulier ce sont les listes de personnes qu’elle a besoin de consulter, d’autant qu’elle retient les noms d’absolument tout le monde, et aussi des pictogrammes pour gérer l’emploi du temps et les activités de tous les jours.

Un album que j’ai trouvé à la fois drôle et attachant : María est unique (comme chacun d’entre nous), et sa relation avec son papa également. L’album déborde d’amour, de tendresse et de complicité, autour d’un mode de communication qui passe par le dessin et les images. Et j’ai trouvé ça beau, et instructif car on comprend mieux les particularités des personnes atteintes de TSA. Vraiment, si vous avez l’occasion, n’hésitez pas à vous y plonger !

María et moi
María GALLARDO et Miguel GALLARDO
Traduit de l’espagnol par Alejandra Carrasco
Rackham, 2010

Enferme-moi si tu peux, de Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg : art et liberté

Ils craignent ce qui ne peut pas être expliqué et tout ce qui ne rentre pas dans une boîte. C’est d’autant plus étrange que tant de choses ne peuvent pas être expliquées et tout le monde s’en accommode à merveille. Tenez, prenez les goûts, le temps qui passe, l’amour… Et la folie, vous en pensez quoi, vous autres ?
– La folie ? C’est plutôt la normalité qui est difficile à comprendre.
– Si la folie c’est de réussir à ne pas s’adapter à une vie de rien, alors la folie, c’est normal.

L’autre jour, en cherchant La Lionne, je suis tombée sur cette autre collaboration entre Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg et, comme le sujet et le résumé m’ont enchantée, je m’en suis emparée aussi.

Il s’agit de l’histoire vraie de six personnages qui à leur époque sont considérés comme des marginaux, et sont des représentants de ce qu’on a appelé l’art brut et qui se rassemblent, quelque part au paradis, pour raconter leurs expériences : Augustin Lesage, un mineur qui entend un jour une voix lui affirmant qu’il deviendra un artiste, et lui donne toutes les consignes pour le faire ; Madge Gill, une mère seule qui, elle aussi, croise un esprit, Myrninerest, qui lui ouvre une porte vers différents arts ; le facteur Cheval, sans doute le plus célèbre du groupe, qui consacre sa vie à la construction d’un mystérieux palais ; Aloïse, considérée comme folle et qui, enfermée dans son asile, passe son temps à dessiner ; Marjan Gruzewski, un medium lituanien (qu’il me semble avoir « rencontré » à l’exposition « Entrée des médiums ») dont la main semble animée d’une vie indépendante ; enfin, Judith Scott, atteinte du syndrome de Down, qui fabrique d’étranges cocons en laine.

Génialement scénarisé, ce magnifique album nous invite à pénétrer dans le monde de ces artistes atypiques, qui n’ont jamais appris ni l’histoire de l’art ni les techniques artistiques, et qui, pourtant, proposent des œuvres absolument fabuleuses, parfaitement rendues dans les bulles. Si j’avais déjà entendu parler de l’art brut, je ne m’étais pour autant jamais intéressée de plus près à la question, et cette bande dessinée m’a vraiment donné envie de me pencher plus avant sur le sujet, tant j’ai été passionnée et intriguée par tous les questionnements que cela implique, notamment en ce qui concerne l’inspiration voire l’enthousiasme au sens strict, lorsque les artistes se disent emparés par une entité bienveillante qui les guide.

Il est aussi question, à travers la création artistique, d’une réflexion sur la liberté intérieure : chacun, à sa manière, parvient, grâce à la peinture notamment, à reconstituer son unité intérieure et à s’échapper de l’enfermement, parfois au sens strict, parfois dans une vie remplie d’épreuves grâce à la force de l’imagination, du rêve et de l’art, et on en arrive à de vertigineux questionnements sur la folie et la normalité, et si on va plus loin que l’album lui-même, à la psychologie des profondeurs, à Jung et au processus d’individuation, et aux prémisses de l’art-thérapie !

Bref, j’ai eu un vrai coup de cœur pour cet album délicat et émouvant, qui m’a ouvert la porte de tout un champ de questionnements sur des sujets qui me passionnent !

Enferme-moi si tu peux
Anne-Caroline PANDOLFO et Terkel RISBJERG
Casterman, 2019

La Lionne, de Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg : un portrait de Karen Blixen

Tous ces chagrins, toute cette béatitude. Ces presbytères danois déprimants et cette Afrique ensorcelante. Ces chiens domestiques et ces lions sauvages. Ces êtres chers sur lesquels le temps est passé si vite. Je peux te donner le pouvoir de transformer tout cela en histoires, et de faire de tout ce qui t’arrivera encore une matière à construire ton œuvre.

Depuis presque toujours, je suis fascinée par la vie de Karen Blixen. Out of Africa est l’un de mes films préférés de tous les temps, et j’avais beaucoup apprécié le roman que lui avait consacré Dominique de Saint Pern en 2015. La même année que la parution de cette bande dessinée, qui était depuis dans ma liste d’envie mais enfin, les bandes dessinées, j’en achète fort peu pour des raisons bassement pécuniaires. Mais, dernièrement, je me suis réinscrite à la médiathèque pour le projet Adèle, et j’en ai profiter pour musarder dans le coin albums, et évidemment, c’est sur celui-ci que j’ai fait porter mon choix en priorité (mais la bande dessinée va redevenir une de mes lectures régulières).

En 1825, à Rungstedlund, entre Elseneur et Copenhague, naît la petite Karen Christentze Dinesen, surnommée Tanne. Sur son berceau se penchent sept drôles de fées : le philosophe Nietzsche, un lion, Shéhérazade, le Diable, Shakespeare, un roi africain et une cigogne. Tous ces personnages vont orienter et façonner son destin…

Il s’agit là d’un très beau travail à la fois narratif et graphique, très poétique et construit de manière originale autour de ces fées, ce ce qui donne un vrai dynamisme et permet d’éviter les écueils de ce type de projets. Le problème, avec la vie de Karen Blixen, c’est que la partie centrale, celle de l’Afrique, est la plus connue, et il est tentant de faire reposer tout l’équilibre dessus : ce n’est pas le cas ici, au contraire, on voit très peu Denys et Bror finalement, et cette partie n’est pas plus développée que les autres. Ce qui fait qu’on prend beaucoup de plaisir aux deux autres parties : j’ai beaucoup aimé découvrir plus avant la petite fille rebelle (et cela m’a amusée parce que je me suis rendu compte qu’il y a du Blixen chez Adèle, de manière assez inattendue car je n’avais pas consciemment imaginé ce pilotis là), et la femme mûre qui transforme sa vie en histoires, et sublime ses souffrances.

A la fin, encore une fois, j’ai été prise dans une faille temporelle qui fait que je suis toujours convaincue que Karen Blixen a bien obtenu le Prix Nobel de Littérature, et qu’elle la appris en trouvant une meute de journalistes devant sa porte, en revenant de faire les courses : en réalité, c’est ce qui est arrivé à Doris Lessing, mais je suis absolument certaine que dans une réalité alternative, Karen Blixen est nobélisée.

Bref : si vous aimez les histoires de femmes fortes et rebelles, inspirantes et passionnées, foncez !

La Lionne : un portrait de Karen Blixen
Anne-Caroline PANDOLFO et Terkel RISBJERG
Sarbacane, 2015