Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées de Carl Gustav Jung : mémoires d’une âme

Au fond, ne me semblent dignes d’être racontés que les événements de ma vie par lesquels le monde éternel a fait irruption dans le monde éphémère. C’est pourquoi je parle surtout des expériences intérieures. Parmi elles je range mes rêves et mes imaginations qui constituèrent de ce fait la matière originelle de mon travail scientifique ; ils ont été comme un basalte ardent et liquide à partir duquel s’est cristallisée la roche qu’il m’a fallu tailler.

A force de travailler sur Jung, de lire des livres sur lui et de lui, des articles, j’ai eu envie de me plonger dans ce qui n’est peut-être pas son œuvre essentielle, mais est pourtant capitale pour comprendre tout le reste : son autobiographie, écrite avec l’aide d’Aniéla Jaffé.

Il s’agit d’une autobiographie centrée non sur les événements extérieurs, mais sur la vie intérieure, ce qui en fait les « mémoires d’une âme ». Les premiers chapitres sont chronologiques : l’enfance, les années de collège puis d’études, l’activité psychiatrique. La suite est plus thématique : Freud, la confrontation avec l’inconscient, la genèse de l’œuvre, la tour, les voyages, les visions, une réflexion sur la vie après la mort, avant de terminer sur des pensées tardives et une rétrospectives. Le texte est complété d’un appendice, comportant lettres, portraits et autres textes éclairants, et d’un glossaire très pratique.

J’ai mis deux mois à lire ce texte, ce qui n’est pas du tout dans mes habitudes, mais il est d’une telle richesse et d’une telle densité qu’on ne peut pas le lire comme un roman : je me suis souvent arrêtée pour réfléchir ou creuser un point ou un autre. Le fait est que ce texte est absolument fondamental pour comprendre la pensée jungiene, puisqu’elle s’élabore sur ses propres expériences depuis l’enfance.

Le personnage lui-même est fascinant : « isolé dans sa singularité » depuis l’enfance (et cette lecture m’a finie de convaincre sur l’hypothèse de Frédéric Lenoir que Jung était haut potentiel), il a l’impression que personne ne le comprend, et d’être clivé entre deux personnalités, l’une ayant la charge de sa vie extérieure, l’autre de sa vie intérieure. Tout l’intéresse, tout le nourrit (alchimie, tao, astrologie… mais curieusement pas le Tarot, en tout cas pas consciemment même si je trouve que le chapitre « La Tour » tourne autour des arcanes majeurs), il établit des liens entre des choses disparates, et évidemment les rêves ont une importance capitale dans sa vie.

Bref : une lecture parfois complexe mais nourrissante et vivifiante, et que je conseille vraiment à ceux qui ont envie de découvrir plus avant Jung !

Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées
Carl Gustav JUNG
Recueillis et publiés par Aniéla Jaffé
Traduit de l’allemand par le Dr Roland Cahen et Yves Le Lay avec la collaboration de Salomé Bruckhardt
Gallimard, 1966-1973 (Folio 1991)

Les rameaux noirs de Simon Liberati

Les rameaux noirs (Mnémosyne) de Simon LiberatiLe sentiment qui me vient lorsque je regarde mon enfance n’est pas du regret. Quelque chose de meilleur que du regret. Une perspective qui comprend à la fois le regret et l’objet du regret ; ce n’est pas un manque, une absence, mais un paysage qui s’est éloigné et que je vois toujours. Il est là, hors d’atteinte et présent dans les lointains. Je ne le possède pas, mais il fonde ma vie et donne à chaque autre paysage son relief. 

J’avais été très touchée par l’antépénultième roman de Simon Liberati, Eva.  Mais je n’avais pas voulu lire son avant-dernier, consacré à l’affaire Manson, sujet sur lequel, je l’avoue, je n’ai guère envie de lire quoi que ce soit. Cette année, il revient à une veine plus personnelle, et il était donc évident que ce texte ferait partie de mes premières lectures de rentrée littéraire : le personnage de Liberati, baptisé « le poète » dans Un Roman Français de Beigbeder, m’intrigue et me fascine de plus en plus, donc comment résister à un livre dans lequel il raconte son enfance et son lien à la littérature ?

Difficile de résumer ce texte, tout comme il est difficile de le classer. A la fois livre du père, André, poète surréaliste, réflexion sur la poésie, l’orphisme, l’inspiration, la folie, la mémoire, et autobiographie littéraire où plus que sa vie (même s’il parle d’Eva, nécessairement) Liberati nous raconte les lectures qui l’ont construit et sa naissance à l’écriture, c’est avant tout un sublime hommage à ce qui nous fonde tous : les mots, la littérature.

Une lecture nourrissante et revivifiante, qui comme un journal n’épouse guère d’ordre sinon celui du jaillissement de la mémoire, Mnémosyne. Très érudit et exigeant (voire un chouilla snob par moments), ce texte orphique m’a donné parfois, malgré les différences notables de point de vue, l’impression de lire une âme-soeur : la solitude essentielle, l’impression de ne voir la réalité qu’à travers la littérature, la manière dont des passages souterrains entre les oeuvres se creusent à travers une âme, l’inspiration, la lecture (Lire, c’est aussi se contempler. Quand je lis trop, Eva me reproche de me contempler dans un miroir), le surgissement de l’écriture qui nous traverse. De très belles pages sur l’enfance. En fait, de très belles pages tout court, émaillées de fulgurances sublimes qu’on ne peut que noter pour les retenir. Une oeuvre qui donne envie aussi de se plonger dans certains textes plutôt méconnus, l’auteur ayant somme toute des lectures assez originales.

Un très très beau livre, qui m’a énormément touchée : un coup de coeur, en somme !

Les Rameaux noirs (Mnémosyne)
Simon LIBERATI
Stock, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 7/12
By Herisson

Et devant moi le monde, de Joyce Maynard

Et devant moi le mondeDès ma plus tendre enfance, j’ai été élevée en observatrice. Mes parents m’ont encouragée à enregistrer les moindres détails de ce qui m’entourait avec une oreille et un oeil de reporter. Que cela me plaise ou non, toute ma vie j’ai pris mentalement des notes. Cette habitude fait partie de l’histoire racontée ici ; de plus, c’est grâce à elle que je peux lui apporter autant de précision. Ce dialogue de mon passé, je l’ai reconstruit au mieux de mes capacités.

J’avais envie de lire ce texte depuis que j’avais découvert Une adolescence américainecar, je l’avoue, j’étais très curieuse de « creuser » un peu la figure de Salinger, mais aussi parce que les autobiographies d’écrivains, qui racontent leur « naissance à l’écriture », me fascinent. J’ai, de fait, laissé passer un peu de temps, mais cette relation entre Joyce Maynard et J. D. Salinger, racontée dans les grandes lignes dans l’avant-propos d’Une adolescence américaine, a si bien fait son chemin en moi que, ajoutée à d’autres éléments, je suis en train d’écrire un truc sur un thème un peu similaire. Enfin bref, il était indispensable que je le lise maintenant, donc je l’ai emporté avec moi à Amsterdam.

Comment devient-on écrivain ? C’est l’enjeu de cette autobiographie. Joyce Maynard y raconte son enfance et son adolescence avec des parents dysfonctionnels qui projettent sur elle et sa soeur leurs propres ambitions avortées, et l’encouragent à écrire ; sa première publication en 1972 dans le New-York Times Magazine, qui a fait grand bruit et lui permet de débuter une relation, épistolaire d’abord puis « amoureuse » avec Salinger ; et l’après Salinger, les hauts et les bas de sa vie de femme et d’auteure.

Ce texte, c’est une véritable entreprise d’exorcisme, de son enfance mais surtout du traumatisme Salinger. Elle y parle avec beaucoup de sincérité de ses parents, l’alcoolisme de son père, les névroses de sa mère, ses problèmes d’anorexie, dessinant le portrait d’une jeune fille brillante, qui très tôt écrit toutes sortes de textes, vend des articles, précoce donc, mais en marge de sa génération, et surtout très fragile : sa confiance en soi apparente, et qui pourrait parfois passer pour de l’arrogance, et elle même d’ailleurs regarde avec beaucoup de sévérité le fameux article du New-York Times, cache en fait un vrai mal-être, qui la rend forcément vulnérable au premier manipulateur venu. Et ce manipulateur, c’est Salinger, dont le fait de dire qu’il apparaît dans ce texte comme un odieux connard est encore un euphémisme : il se comporte comme un gourou, lui impose sa manière de vivre assez étrange en marge du monde et son régime alimentaire particulier, la façonne à son idée en se prenant pour un Pygmalion, tente de la couper de sa famille, pour finalement la rejeter violemment. Comment se reconstruire après ça ? C’est l’enjeu de ce texte, qui permet à Maynard de se reconstruire, tout en interrogeant son lien avec l’écriture, qui toute sa vie n’a jamais été aussi essentielle que ça, sinon pour gagner de l’argent.

Durant toute ma lecture, j’ai pensé à cette phrase que Beigbeder met dans la bouche d’Hemingway s’adressant à Salinger : Tout écrivain doit avoir un jour le cœur brisé, reprend Hemingway, et le plus tôt est le mieux, sinon c’est un charlatan. Il faut un amour originel complètement foireux pour servir de révélateur à l’écrivain. Finalement, à son insu, et tout en essayant finalement de lui briser les ailes, Salinger a été pour Joyce Maynard ce qu’Oona avait été pour lui.

C’est fulgurant, passionnant, à lire absolument !

Et devant moi le monde
Joyce MAYNARD
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale Haas
Philippe Rey, 2011 (10/18, 2012)

Bloc Notes

La nuit des arts et des mondes

nuitdesarts« La Nuit des arts et des mondes », festival des arts, de la culture et de l’inter-culturalité, se tiendra au château d’Asnières, du 4 au 12 juin 2016 et mettra à l’honneur les cultures Françaises, Roumaines et Américaines .L’association qui porte le Festival, ARTS-MONDES-CULTURES a pour buts de promouvoir les arts, la diversité culturelle et les liens entre les cultures, afin de rapprocher par l’inter-culturalité, les mondes, les peuples, les communautés, les cultures et les Hommes, et, de bâtir ensemble une humanité meilleure. Cette édition, la troisième, est placée sous le haut patronage de l’UNESCO, de la fondation d’Art Mona Bismarck, du Ministère des Affaires étrangères. Notre festival va s’inscrire dans le programme culturel de la ville de Paris pour la visite officielle du président Roumain du 9 au 11 juin 2016. Programme plus précis sur le site !

La champenoise : fête du Champagne

ChampenoiseLa boisson symbole de l’art de vivre à la française, et que je suis connue pour déguster en toutes occasions et même absence d’occasion, méritait bien une fête en son honneur : vin le plus festif et convivial au monde, roi des célébrations issu d’un savoir-faire unique reconnu dans le monde entier. Son berceau, la région Champagne, aux portes de Paris, a été récemment inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO : aussi, pour la première fois, La Champenoise – Fête du Champagne, va rassembler en un même lieu, à Reims (51), les touristes, les amateurs et les professionnels du vin : un événement populaire unique pour unir et faire se rencontrer les amoureux du Champagne. La Champenoise rassemblera 70 exposants Champagne et 10 exposants gastronomiques, qui présenteront leurs produits aux locaux, touristes et professionnels du vin. 5000 visiteurs sont attendus sur ces deux jours, les 25 et 26 juin 2016. Si vous passez dans le coin, n’hésitez pas à aller déguster une coupette à ma santé (avec modération bien sûr) !

Art et vin

logo-art-et-vin

Si vous préférez le vin, pas de souci : du 1er juillet au 31 août prochain, les Domaines et Châteaux du Var, des Alpes de Haute-Provence et des Bouches-du-Rhône se transformeront en lieux de prestations artistiques dans le cadre de la manifestation Art & Vin, rendez-vous oenotouristique estival majeur en Provence-Alpes-Côte d’Azur, organisé depuis 18 ans par la Fédération des Vignerons Indépendants du Var. L’édition 2016 s’annonce haute en couleurs avec comme thème : « Trois Couleurs : Rosé, Rouge, Blanc », un clin d’œil au 7ème art et à la célèbre trilogie de Kieslowski ! Ainsi cette année 89 artistes ou collectifs d’artistes peintres, sculpteurs, photographes, performeurs, graffeurs… seront accueillis le temps d’un été dans 50 Domaines et Châteaux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Parmi eux, des artistes français et internationaux, professionnels ou jeunes talents, qui auront à cœur de faire découvrir des techniques et des thèmes originaux et insolites : parcours et installations, photographies peu conventionnelles, sculptures monumentales… A l’instar du cinéaste polonais Kieslowski et sa célèbre trilogie des « trois couleurs » apportant une réflexion sur des valeurs humaines fondamentales, le thème 2016 d’Art & Vin porte sur la déclinaison des trois couleurs des vins, à savoir le Rosé, le Rouge et le Blanc. Artistes et vignerons déclineront ce thème dans une démarche d’adéquation entre l’œuvre et le lieu : la couleur au sens propre, avec sa palette de nuances, ou sa représentation dans la nature, dans l’art – qu’il soit réaliste ou abstrait – ou sa symbolique. Outre sa mission oenotouristique, Art & Vin est une manière de croiser les publics, de conjuguer la passion de l’art et du vin, de mettre en évidence un savoir-faire, un métier. Pour connaître le programme, c’est ici !

Saint-Maur en poche

smPochBon, il se trouve que je suis fâchée avec Gérard Collard (comme pas mal de monde) (il m’a bloquée sur Facebook un jour où je n’étais pas d’accord avec un de ses avis à l’emporte-pièce) (mais je m’en suis remise), mais n’empêche, il est à l’origine d’une très jolie manifestation (compliquée pour moi, mais tant pis) : le salon du livre Saint-Maur en poche, qui comme son nom l’indique est dédié à l’univers poche, et dont la 8e édition aura lieu les 18 et 19 juin, sera cette année placé sous le signe de l’Angleterre, avec un très beau programme. Le parrain David Nicholls et la marraine Victoria Hislop seront entourés, entre autres, de Sophie Adriansen, Jérôme Attal, Tonino Benacquista, Philippe Besson, Laurent Bénégui, Leonor de Recondo, Diane Ducret, Lionel Duroy, David Foenkinos, Serge Joncour, Brigitte Kernel, Yasmina Khadra, Alain Mabanckou, Gilles Paris, Valérie Tong Cuong… et mon cher Didier !

Estée Lauder Pink Ribbon photo award

Pink Ribbon photo awardCréé en 2012 par le Groupe Estée Lauder France à l’occasion des 20 ans du Ruban Rose en hommage à Evelyn H. Lauder, à l’origine d’Octobre Rose, ce concours photo, Pink Ribbon Award contribue à mobiliser le grand public en faveur de la campagne de sensibilisation au dépistage précoce du cancer du sein et à soutenir les actions de l’association Le Cancer du Sein, Parlons-en ! Seul concours d’envergure nationale sur le sujet, il rencontre chaque année un plus grand succès et il est devenu au fil des années un véritable engagement solidaire, artistique et humain autour du cancer du sein qui touche 1 femme sur 8. Pour cette cinquième édition, les photographes, amateurs ou professionnels, sont invités depuis le 20 mai et jusqu’au 20 août 2016, à adresser une photo et un message sur le thème « S’aimer ». A l’issue de cette période, le Jury sélectionnera une quarantaine de finalistes et les lauréats qui recevront leurs Prix à l’occasion du lancement d’Octobre Rose, mois dédié à la lutte contre le cancer du sein. Comme pour les éditions précédentes, le Jury compte de nombreuses personnalités réunies par leur passion de la photographie et leur engagement dans la lutte contre le cancer du sein autour de Jean-Christophe Jourde (Estée Lauder France) en sa qualité de Président de l’association Le Cancer du Sein, Parlons-en ! la grande photographe Jane Evelyn Atwood, Alain Génestar (Polka Magazine), Didier Quilain (Olympus), Ariane Goldet (Marie Claire), Marielle Fournier (journaliste, présentatrice radio & TV / Téva/ M6 / Europe 1), Cyril Drouhet (Le Figaro Magazine) et Henk van der Mark (Estée Lauder Compagnies Europe), initiateur du concours.

25èmes journées de l’autobiographie

logoapa_2015Les 25èmes journées de l’autobiographie, organisées par l’Association pour l’Autobiographie, se dérouleront à Nantes du 3 au 6 juin sur le thème « La mer et moi ». Il n’est plus possible de s’inscrire pour une participation complète avec restauration et hébergement mais plusieurs des événements qui s’y déroulent sont d’accès libre et gratuit et sans inscription. A voir sur le site !

Excursions dans la zone intérieure, de Paul Auster

excursions dans la zone intérieureC’était une chose, d’écrire sur ton corps, de cataloguer les multiples coups et plaisirs éprouvés par ton être physique, mais l’exploration de ton esprit à partir de tes souvenirs d’enfants sera sans aucun doute une tâche plus ardue — voire impossible. Pourtant tu te sens obligé de tenter la chose. Non pas parce que tu te considères comme un objet d’étude rare ou exceptionnel, mais précisément parce que ce n’est pas le cas, parce que tu estimes être comme n’importe qui, comme tout le monde.

Après avoir il y a quelques années entrepris son autobiographie sous l’angle de l’argent, puis l’an dernier sous celui du corps, Paul Auster, que je tiens pour l’un des plus grands écrivains contemporains, s’attache, d’une manière à la fois proustienne et montaignienne, à la vie intérieure. Toutes les émotions, les croyances, les joies et les chagrins, les pensées, les lectures de l’enfant, puis de l’adolescent, et enfin du jeune adulte, qui l’ont conduit à être la personne et l’écrivain qu’il est aujourd’hui.

Cette excursion dans la zone intérieure de Paul Auster, lieu fascinant s’il en est, se fait en trois étapes.

Dans la première, « Zone intérieure », il s’intéresse à l’enfant qu’il était, jusqu’à ses douze ans car au-delà il n’était plus un enfant. Il nous livre ses croyances, la naissance de sa conscience de soi en tant qu’individu mais aussi en tant que Juif et en tant qu’Américain, sa passion pour le base-ball. Il nous parle, surtout, de ses lectures et de la naissance, très tôt, de sa vocation à écrire, avec le plaisir, le besoin même, d’exprimer en mots ce qu’il ressent. Paul Auster a d’abord été poète avant d’être romancier, et on voit qu’il a commencé très tôt, de manière naïve ; il porte d’ailleurs un regard très sévères sur ces premières tentatives littéraires, qualifiant un poème sur le printemps de « plus mauvais poème jamais écrit », ce qui est très certainement faux car rien ne pourra jamais être pire que ce que j’ai moi-même écrit lorsque je me suis essayée à ce genre littéraire. Dans ce chapitre, qui n’a pas d’autre ordre que celui des souvenirs épars et de la sensibilité, Paul Auster tour à tour nous touche, nous émeut, nous amuse parfois par la restitution de ses souvenirs enfantins et sa naïveté qui ne peut que nous rappeler la nôtre au même âge.

Dans la deuxième partie, « Deux coups sur la tête », il nous raconte deux tremblements de terre cinématographiques qui l’ont beaucoup marqué. C’est la partie qui m’a le moins passionnée : Auster raconte bien et parvient à nous intéresser à des films qu’on n’a pas vus, mais je n’ai pas trouvé un intérêt immense à cette narration de l’histoire de deux films du début à la fin. J’aurais préféré qu’il développe plus les émotions qu’il a ressenties, et le rôle que ces deux films ont joué dans la construction de son imaginaire.

La troisième partie, « Capsule temporelle », m’a au contraire fascinée. Auster y revient sur la période narrée dans Le Diable par la queue, avant son premier mariage, mais de manière différente. En fait ici, on ne peut qu’admirer la magie du hasard : alors que tout à l’écriture de son texte il se lamentait sur la disparition irrémédiable des traces de son passé, et qu’il regrette de ne pas avoir tenu de journal car il considère l’écriture comme un mouvement allant de l’intérieur à l’extérieur et qu’il ne peut pas écrire sans destinataire, sa première femme le contacte pour lui proposer une copie des lettres qu’il lui a adressées avant leur mariage, et dont elle va faire dont aux archives. Ces lettres sont pour lui un trésor et fonctionnent comme une « capsule temporelle » lui permettant de retrouver l’état d’esprit exact dans lequel il était à cette époque. Le chapitre alterne alors entre ces lettres du passé, retranscrites sans corrections et dont parfois il a honte, et commentaires du présent. On y découvre un Paul Auster profondément mélancolique, solitaire, qui a du mal à décider de ce qu’il veut faire même si l’écriture est bien évidemment toute sa vie, souffrant de la séparation géographique avec celle qu’il aime. Pour autant, certaines lettres ne laissent pas d’étonner, par exemple lorsqu’il lui raconte avoir rencontré une fille avec qui il a fait l’amour jusqu’à l’aube. Du reste, il s’en étonne un peu lui-même…

Enfin, le livre se termine sur un album, qui n’est pas un album personnel, mais des images illustrant ce dont Auster nous parle au long du livre.

J’ai vraiment été enchantée de cette lecture : j’avais été un peu frustrée que, dans Chroniques d’Hiver, Paul Auster ne parle pas plus de l’écriture. Et là, comme s’il m’avait entendue, il traite le sujet à longueur de pages fascinantes qui ne peuvent que susciter la réflexion. En revanche, il ne parle pas du tout de Siri (sa femme, pas le concierge vocal de l’i.phone), ce qui est normal compte tenu de la période de sa vie qu’il évoque ici, mais je ne peux qu’espérer qu’il le fera dans un prochain texte. Moi, des textes autobiographiques de Paul Auster, j’en veux bien encore, je ne m’en lasse pas !

Excursions dans la zone intérieure
Paul AUSTER
Actes Sud, 2014