S’aimer, malgré tout de Nicole Bordeleau : histoire d’une renaissance

Quand vous sentez que votre existence tourne à vide, que plus rien ne semble la remplir, que les plaisirs n’on plus aucun goût, que vos rêves ne vous émerveillent plus, que les promesses de succès ne vous motivent plus, comment faire pour continuer ? Quand vous savez qu’aujourd’hui ressemblera à hier et que demain sera une pâle copie d’aujourd’hui, où trouvez-vous la force d’avancer ? Quand la routine vous étouffe comme un corset de fer, qu’est-ce qui pourrait vous inspirer le courage de vous en libérer ? Elle s’était souvent posé ces questions, mais s’en prendre le temps d’en chercher les réponses.

Nicole Bordeleau est bien connue dans le milieu du développement personnel et de la spiritualité : auteure, conférencière et chroniqueuse, elle enseigne le yoga et la méditation, travaille sur ce qui nous empêche d’être nous-même et de nous épanouir, comment réinventer sa vie, et à publié sur ces sujets plusieurs livres. Mais jusqu’ici, pas de roman. S’aimer, malgré tout est son premier, et il fait un bien fou !

Sur le papier, Edith a une vie de rêve. Mais pour elle cette vie est un cauchemar : elle se sent morte, déconnectée d’elle-même, vide. Sans savoir d’où sa vient. Elle boit, trop. Et refuse de se poser les bonnes questions. Lorsqu’elle perd son prestigieux poste, elle se voit obligée de faire face à ce qui l’entrave, et la réponse pourrait bien se trouver dans les carnets de son père…

Le thème est classique : un personnage qui vit une vie qui n’est pas la sienne, qui a honte d’être soi, de montrer sa vulnérabilité. Et qui, surtout, ne sait pas comment mettre fin à sa souffrance, à part en buvant plus que de raison afin d’endormir le mental qui tourne en boucle, et la souffrance. Mais ça ne fonctionne pas, bien sûr : ce qu’il faut, c’est faire le ménage dans le passé. Dans les blessures transgénérationnelles qui empêchent d’être soi, à cause de loyautés dont on n’a même pas conscience. Thème classique, mais le traitement ne l’est pas tant que ça, et surtout, si ce thème est autant traité, c’est qu’il s’agit d’un problème qui touche beaucoup de monde. Ce qui circule dans nos veines, transmis par nos ancêtres : peurs, échecs, hontes, déceptions, trahisons, limitations. Des schémas que l’on reproduit malgré soi, alors qu’ils ne nous appartiennent pas. Comment, alors, devenir pleinement soi ? Il n’y a pas de réponse unique, les chemins sont multiples et personnels, mais ce roman et la trajectoire d’Edith permettent de se poser les questions. Des questions que je me pose beaucoup en ce moment !

Un roman très intéressant et bien mené, assez émouvant, qui permet de réfléchir à ce qu’on veut de la vie !

S’aimer, malgré tout
Nicole BORDELEAU
Flammarion, 2021

S’il te plaît… apprivoise-moi !

– Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m’ennuie donc un peu. Mais, si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m’appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c’est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d’or. Alors ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé…
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
– S’il te plaît… apprivoise-moi ! dit-il.
– Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
– On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
– Que faut-il faire? dit le petit prince.
– Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près…

C’est un de mes passages préférés, dans mon livre préféré. Celui où le renard demande au Petit Prince de l’apprivoiser. « Créer du lien ». En ce moment, c’est mon challenge dans la vie : me laisser apprivoiser. Je suis une sauvageonne. Un ours. J’ai du mal à faire confiance. J’ai raconté pourquoi. Le fait est : je bavarde beaucoup, je suis plutôt sociable, mais ça reste superficiel, mais dès qu’on s’approche de trop près, dès qu’on essaie d’entrer dans mon intimité, de créer un vrai lien, je ferme ma coquille. D’huître. Il faut longtemps pour que je m’ouvre vraiment. Et souvent les gens se lassent. Ce qui ne fait que confirmer que j’ai raison de ne pas faire confiance.

On me reproche souvent, en fait, de ne pas savoir communiquer. Dans les communications interpersonnelles : c’est aussi pour ça que j’écris, parce que ça me permet de m’exprimer sans destinataire identifié et identifiable. Donc, sans communiquer, finalement. Par contre, faire lire ce que j’écris à quelqu’un que je connais, a fortiori, si je tiens à cette personne, c’est toute une histoire. Mais je l’ai fait, récemment, et j’ai vraiment eu l’impression de franchir un cap. Parce que cette personne compte beaucoup. Et aussi parce que, probablement, cette question est au cœur du fait que je n’arrive pas à publier mes textes. Forcément, si je publie un livre, les gens que je connais vont l’acheter et le lire. Enfin j’imagine.

C’est, bien sûr, encore une fois une question de vulnérabilité et d’authenticité.

Et comme la vie est un challenge perpétuel (et un challenge en spirale : on a l’impression de toujours faire face aux mêmes problèmes, mais sous des angles différents, ce qui fait qu’on a souvent le sentiment que ça ne progresse pas, alors que si) c’est exactement là qu’est venue me chercher la Pleine Lune en scorpion de la semaine dernière. La Pleine Lune en scorpion, c’est celle que je redoute le plus : les autres me secouent, mais alors celle-là, elle me dévaste. Parce qu’elle vient me titiller (c’était le cas cette année mais vue la configuration, les autres aussi la plupart du temps) dans ma maison 3, celle du lien à l’autre, de la communication, justement. Elle vient m’obliger à accepter de me laisser approcher, de créer du lien, de faire confiance et de me montrer vulnérable.

Et je crois que, enfin, j’ai envie que l’on m’apprivoise…

Aimer sans masque, de Sarah Serievic : jouer son propre rôle

On parle d’instinct de vie, on pourrait parler d’instinct d’amour. L’amour est l’aventure humaine la plus exaltante. Pourquoi en avons-nous si peur ? Qu’est-ce qui nous empêche d’ouvrir les vannes ? De mon histoire familiale, qui ressemble à tant d’autres dans le fonctionnement émotionnel des protagonistes, vient probablement l’intérêt que je porte au couple et à la guérison des cœurs depuis aussi loin que je me souvienne. Aujourd’hui thérapeute, je sais qu’il est possible de rééduquer les coeurs. Et je porte la conviction profonde que l’amour est le seul rôle de notre vie.

Bien sûr, il n’y a pas de hasard : lorsque l’autre jour j’ai écouté un podcast dont Sarah Serievic était l’invitée, ça a fait tilt par rapport à mon cheminement et mes questionnements au sujet de l’authenticité et de tout ce dont je vous parlais hier, et je me suis dit qu’il me fallait absolument ce livre, dans lequel elle aborde les masques que nous portons, qui ne sont pas les masques qu’on nous impose en ce moment (même si je suis convaincue qu’il y a un lien symbolique parce que l’Univers aime bien ce genre de jeux sur les mots) mais les masques de théâtre : dans la relation amoureuse, chacun joue un rôle, des rôles (comme dans le théâtre antique : un comédien jouait plusieurs rôles) et le but de cet ouvrage est d’apprendre à les reconnaître pour avancer vers l’authenticité : c’est d’ailleurs le nom de l’outil qu’elle a créé, le « théâtre authentique ».

Dans la première partie, « l’amour masqué », Sarah Serievic explique comment les blessures de l’enfance font naître des rôles, qui ont pour fonction de masquer cette blessure et empêcher que quelqu’un appuie dessus : c’est, au premier chef, le fameux triangle de Karpman sauveur/victime/bourreau, dont les rôles tournent et se déclinent, ce qu’on va voir dans la deuxième partie, « l’amour en conscience », où l’auteure analyse les différents masques que nous portons et comment s’en défaire ou en tout cas les jouer en conscience, pour trouver notre être véritable ; ces rôles sont la sauveuse, le romantique, le chevalier servant, la puritaine, le prédateur, l’amazone, chacun se déclinant aussi bien au féminin qu’au masculin. Dans la troisième partie, elle analyse ce qu’elle appelle « la danse des rôles », c’est-à-dire comment dans un couple les rôles changent, chacun réagissant et s’adaptant au rôle du partenaire. Enfin, dans les deux dernières parties, « sortir des rôles pour entrer en amour » et « découvrir le royaume de l’amour », elle explique comment jouer son propre rôle, avec authenticité.

Un essai qui est vraiment venu me chercher là où il le fallait, au moment où il le fallait, pour compléter mes innombrables lectures sur le sujet, avec une approche « théâtrale » qui m’a beaucoup parlé. Le principe de départ, c’est que le couple et l’amour sont un incroyable moteur d’évolution, qui nous aide à guérir, non pas que l’autre soit là pour nous guérir justement mais pour révéler, mettre en lumière nos points sensibles en appuyant là où ça fait mal (sans le faire exprès, le plus souvent). L’ouvrage permet de se poser des questions salutaires : quel est ce rôle que je joue et qui me fait souffrir à mon insu (probablement à mettre au pluriel) ? Qui suis-je authentiquement ?

A l’aide de nombreuses histoires, Sarah Serievic nous montre comment apprendre à aimer de mieux en mieux, en y investissant toutes ses forces. C’est ce à quoi je m’emploie !

Aimer sans masque
Sarah SERIEVIC
Le Seuil, 2020

Le vilain petit canard (ou : l’article que je ne voulais pas écrire)

Vous êtes en train de lire l’article que je ne voulais pas écrire. Ou plutôt, l’article que je voulais écrire, que j’avais besoin d’écrire, que je devais écrire, mais sans y parvenir, procrastinant sans arrêt. Depuis des semaines et des semaines. J’ai essayé de biaiser, de le prendre par des chemins détournés, distillant ce que j’avais à dire par-ci par-là. Mais l’Univers me susurre à l’oreille que non, ça ne fonctionne pas comme ça. Que si je veux être soulagée, que si je veux pouvoir passer à autre chose (et on sait combien, en 2021 je veux fermer certains livres pour en ouvrir d’autres), je dois affronter mes émotions en face, mon passé, et m’exprimer authentiquement sur le sujet qui me gâche la vie depuis tant d’années.

Tout le monde connaît le conte du vilain petit canard : celui qui est rejeté par tous les autres parce qu’il n’est pas un canard. Il est un cygne. C’est un oiseau aussi, mais différent. Et les autres lui donnent l’impression de juste être inapte, incapable, de ne pas mériter l’amour. Parce qu’il n’est pas comme eux.

Je connaissais ce conte, mais lorsque j’ai lu sa version dans Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola-Estes, quelque chose qui flottait à la surface de ma conscience a explosé (quand je dis que ce livre a changé ma vie, je n’exagère pas). Cette prise de conscience réelle que depuis toujours, je me sentais un vilain petit canard. Rejeté par les autres, qui ne veulent pas de lui, et qui se trahit pour essayer, quand même, de ressembler à un canard. Alors qu’il n’a pas à ressembler à un canard, à chercher à se déguiser en canard : il lui faut affirmer ce qu’il est, et trouver les autres cygnes.

Rejetée par les autres : c’est ce souvenir que je garde de mes années de collège et de lycée. Une forme de harcèlement insidieuse. Alors oui, il y a eu aussi des insultes, des moqueries, mais il y a surtout eu (c’est ce que je retiens) cette presque constante mise à l’écart parce que je n’étais pas conforme.
J’étais celle qui était souvent seule pour manger ou aux récréations.
J’étais celle qui n’était presque jamais invitée aux fêtes.
J’étais celle qui avait quelques copines mais qui savait que du jour au lendemain ces copines pouvaient ne plus lui adresser la parole, sans raison.
j’étais celle qui relisait ses copies et rajoutait des fautes pour ne pas avoir une trop bonne note qui l’aurait encore plus mise à l’écart.
J’étais celle qui ne disait rien, parce qu’elle pensait que si tout le monde la rejetait, c’était qu’il y avait chez elle quelque chose qui clochait, que c’était sa faute.
J’étais celle qui, jour après jour, se murait dans son monde intérieur.
J’étais celle qui rêvait qu’elle était une extra-terrestre, et qu’un jour elle trouverait sa planète.

Après, dans les études supérieures, ça s’est arrangé : j’ai rencontré des gens intelligents, qui m’appréciaient comme j’étais (enfin, comme je me montrais). Qui pour certains peut-être étaient aussi des cygnes. Mais moi, j’étais fermée, toujours sur la défensive, incapable de faire confiance. Quand je rencontre quelqu’un avec qui je me lie d’amitié ou d’amour, j’ai toujours dans un coin de ma tête l’idée de ne pas me reposer dans cette affection, dans ce lien parce qu’un jour ou l’autre cette personne ne voudra plus de moi. Et bien sûr, c’est ce qui se passe à chaque fois : les gens se lassent que je ne fasse pas trop d’efforts pour entretenir les relations. Essayer de m’aimer, c’est comme vouloir enlacer un hérisson. J’essaie de faire ce que je peux, la thérapie m’aide, mais comme on dit, long habits die hard. C’est devenu tellement un réflexe pour moi de me protéger qu’ouvrir mon cœur c’est pire qu’ouvrir une huître récalcitrante.

Ce lien aux autres, ce problème de lien aux autres, il est inscrit dans ma lune noire. Il est karmique, en plus d’être ma souffrance de cette vie, et c’est pour cela qu’il m’est aussi difficile de m’en défaire. Il est inscrit profondément en moi : m’ouvrir aux autres, c’est être en danger.

Et donc, au final, j’ai choisi le pire métier possible pour moi dans ce contexte. Et bien sûr, c’est exactement pour ça que je l’ai choisi : un métier où je dois faire face à des adolescents, un métier méprisé par à peu près tout le monde, vilipendé, insulté. Mais un métier « normal », qui entre dans une case, alors même que depuis toujours, ce qui m’appelle n’entre pas dans une case.

Je sais aujourd’hui que cette différence, mon hypersensibilité, mon probable multipotentiel ça fait aussi ma richesse, c’est ma part d’écrivain, et c’est de là que part ce que je veux créer. Un métier qui n’entre dans aucune case, mais qui me permettra d’être authentiquement moi, et de cesser de jouer un rôle.

L’an dernier (début 2020), j’ai participé à une formation sur le harcèlement. Quand on nous a demandé pourquoi on était là, j’ai choisi la sincérité, et avoué que c’était parce que je l’avais subi et que je cherchais des clés. Accepter comme ça de me montrer vulnérable devant les autres a libéré quelque chose, et quand on a fait une mise en situation (que pour le coup ressemblait beaucoup à une constellation symbolique), j’ai pu jouer le « rôle » du harceleur et ça m’a aidée à comprendre certains points. Je croyais que j’en avais terminé, mais visiblement non puisque cet article, que je ne voulais pas écrire et que pourtant vous êtes en train de lire, travaille en moi depuis. Besoin de lâcher. De me soulager.

Je ne peux pas changer le passé. Ce que j’ai vécu. Je peux juste essayer de pardonner à ces adolescents conformistes de ne pas avoir accepté celle que j’étais. Je peux juste essayer de choisir aujourd’hui que ce passé ne pèse plus sur moi, m’empêchant d’avancer.

Je peux surtout écrire, parce que c’est mon être authentique mais que je ne me suis jamais pleinement autorisée à le faire ailleurs qu’ici (oui, je suis persuadée que je me suis beaucoup agitée ces dernières années pour trouver un éditeur mais que mon inconscient sabotait mes efforts) (bon ici c’est déjà beaucoup, évidemment), parce que ça faisait partie des choses que les autres n’acceptaient pas. « whaaa l’autre elle se prend pour un écrivain ». Mais je ne veux plus me trahir. Faire semblant.

Je veux déployer mes ailes. Je veux ouvrir mon cœur. Etre authentiquement celle que je suis. Ces trois dernières années, je n’ai cessé de travailler sur moi, d’enlever des couches, celles qui me protégeaient mais m’empêchaient d’être moi. Maintenant, je crois que je suis prête.


Merci si vous êtes arrivé au bout de cet article dont l’écriture (fastidieuse), je l’espère, va me déverrouiller (et qui, c’est signe que ça commence à s’apaiser, ne m’a pas fait pleurer) : si j’ai pu l’écrire, et me montrer vulnérable, c’est aussi parce que je sens une grande bienveillance chez vous. Et pour ceux qui me connaissent personnellement, et qui ont pu parfois avoir l’impression que je ne m’impliquais pas pleinement voire que je les rejetais, vous avez la clé. Je suis désolée.

Fake it untill you make it

Désolée pour le titre en anglais, mais ce mantra (utilisé par beaucoup de coach américains) est assez difficile à traduire. Ça pourrait donner quelque chose comme « feins-le jusqu’à ce que tu le fasses vraiment » ou « fais semblant jusqu’à ce que ce soit vrai ». Enfin vous voyez. Non ?

En fait, à un moment, quand on veut du changement dans sa vie, il faut agir exactement comme si ce changement avait déjà eu lieu. Jouer le rôle. D’abord pour s’habituer, pour cultiver l’optimisme et se persuader qu’on en est capable, et pour, en quelque sorte, l’attirer. Parce que si on vibre haut on va plutôt attirer le positif, et on a plus de chances de réussir un projet si on est convaincu qu’on va réussir. Donc, pour devenir la personne qu’on veut être, il faut agir comme si on l’était déjà.

Alors, attention, il y a une subtilité subtile : cela fait des semaines que je vous rebats les oreilles avec l’authenticité, l’intégrité, tordre le cou à son faux-self, et là je vous encouragerais à feindre d’être qui vous n’êtes pas ? Et bien, pas tout à fait. Pas du tout même : le faux-self, c’est le personnage que l’on construit et qui nous permet d’agir dans le monde comme on croit que les autres voudraient qu’on agisse. Pour faire plaisir, pour être aimé, pour être accepté. Mais pas parce que ça nous correspond. Ici, il s’agit de « jouer un rôle » qui nous correspond, et qui nous correspond même bien plus que notre vie réelle dans laquelle nous avons souvent fait des choix justement guidés par notre faux-self (mon travail alimentaire, et qui pour l’instant est tout de même très réel, je l’ai « choisi » pour faire plaisir et avoir un travail « normal », alors qu’au fond de moi, mon vrai moi, je n’en ai strictement jamais eu envie et je suis totalement hors de mon intégrité quand je le fais : c’est là que je suis dans le mensonge).

Comme les enfants : on fait comme si. On matérialise à l’extérieur, même si au début on ne fait que semblant, ce qu’on est authentiquement. On fait ce qu’on est. 

Par exemple moi, en ce moment, je vis exactement comme si j’avais enfin la vie professionnelle qui me convient : je « travaille » de chez moi, à mon rythme, avec une routine qui commence à être bien en place. J’écris. Je fais exactement comme si je savais ce que je vais faire ensuite de ce que j’écris, comme si c’était mon vrai métier (pour mon boulot alimentaire j’utilise « travail » car c’est effectivement une souffrance, mais pour l’écriture je ne peux pas utiliser ce mot tellement pour moi c’est doux et heureux) : écrire des articles, des livres et… quelque chose d’autre à venir qui pourrait être la clé. Et de plus en plus, quand on me demande ce que je suis je dis que je suis écrivaine. Ce qui n’est d’ailleurs pas faux, dans les grandes lignes : un écrivain est quelqu’un qui écrit, et ce que je fais tous les jours c’est écrire parce que je sais que c’est ça que je dois faire et que je dois garder confiance dans le fait qu’un jour je pourrai avoir la vie professionnelle qui me convient : créative et variée. Et ça me rend parfaitement heureuse (enfin, il manque un petit truc que je peux difficilement feindre (sinon là je vais passer pour folle) mais c’est un réglage final de mode de vie qui viendra ultérieurement).

Et je me dis que oui, à force de jouer le rôle, de faire semblant, ça deviendra vrai.

Authenticité, sécurité, intégrité ?

Ça va vous ?

Moi je dois dire que ça secoue beaucoup beaucoup, j’ai l’impression d’être dans une machine à laver sur programme essorage, traversée par tout un tas d’émotions pas toujours très sympathiques. Disons que la plupart du temps ça va, je suis dans ma bulle, mais parfois, j’ai une émotion qui vient me titiller (euphémisme : me ravager, en vrai). Hier c’était la colère (et c’est, j’avoue, surtout la colère qui revient), mais une colère exponentielle contre à peu près tout et tout le monde, mais vraiment, si j’avais eu des pouvoirs magiques je crois qu’il ne resterait plus pierre sur pierre sur cette planète (donc, heureusement : je n’ai pas de pouvoirs magiques). Et je me retiens très très fort de ne pas insulter beaucoup de gens sur les réseaux sociaux. Et s’il y a du vent très violent, je vous prie de m’excuser parce que c’est souvent le cas lorsque je suis en colère : il y a du vent ou de l’orage.

Tout ça pour dire que ça remue beaucoup à l’intérieur.

Il faut dire que je suis dans la situation parfaite pour une période d’introspection seule face à moi : je n’ai même pas eu besoin de faire de faire une retraite Vipassana, elle est venue à moi ou tout comme (ce n’était pas mon truc de toute façon). Et ce qui est amusant (enfin, amusant, vous voyez l’idée) c’est que cette espèce de retraite en appartement, je l’ai écrite : à la fin de mon premier roman (oui je sais j’en parle beaucoup mais vous ne pouvez pas le lire : ce n’est pas ma faute, et c’est une des raisons de ma colère) mon héroïne reste plusieurs semaines confinée dans son appartement, non pas à cause d’une épidémie mais juste parce qu’elle en a ras-le-pompon des gens.

L’appartement est une grotte (enfin symboliquement : en vrai c’est un très bel appartement terrasse avec une vue magnifique sur les montagnes). La grotte de la nymphe Calypso mais aussi finalement peut-être la grotte de l’ours. Je dis ça parce que depuis des semaines (des mois !) je suis assaillie par les synchronicités à propos des ours : j’ai toujours toute une ribambelle de photos de grizzli dans mes flux, ou bien les gens parlent d’ours, d’articles sur les ours, que sais-je : tous les jours, plusieurs fois par jour, il est question d’ours. Alors, bien sûr, je me suis interrogée sur cette synchronicité assez envahissante même si pour l’instant je n’ai pas trouvé d’ours dans ma cuisine. Il y a une première raison, qui est tout à fait biographique et personnelle. Mais il y a aussi une raison symbolique : l’ours (tout comme le papillon et l’escargot) est un symbole de transformation. Chaque année, il entre dans sa grotte pour y rester durant l’hiver, et sort renouvelé au printemps. Dans l’ours, il y a aussi cet aspect dangereux, instinctif à apprivoiser : la colère (oui, tout fait sens).

Pour mon héroïne, sa grotte/appartement est une sorte d’utérus, lieu de gestation d’elle-même où, femme poisson océanique, elle plonge dans ses eaux profondes, meurt à l’ancien pour se mettre au monde à une nouvelle vie. Parce qu’à la fin, quand elle ressort, elle a trouvé ce qui lui manquait, cette force d’être enfin elle-même, authentique et intègre dans le monde, de s’y sentir en sécurité parce qu’elle n’a plus peur d’affirmer qui elle est — même si ce qu’elle est n’est pas conforme à la norme, à ce que les autres voudraient d’elle : elle cesse de jouer un rôle. Lorsqu’elle sort, elle est prête à prendre sa place dans le monde : celle de l’habiter poétiquement (vous l’aviez vu venir ?) et amoureusement.

Alors quand je ressortirai dans quelques semaines, serai-je réellement enfin moi ? Aurai-je trouvé authenticité, sécurité et intégrité ? Ce qui était plus ou moins de la fiction avait-il quelque chose de prédictif ? Et aurai-je le courage d’enfin vivre la vie que je souhaite au lieu de subir des choses dont je ne veux plus — qui me forcent à jouer un rôle ?

L’ours de la photo a été peint par la créatrice Julie Dru dont j’adore le travail !