Ateliers d’écriture thérapeutique, de Nayla Chidiac : écrire sauve

Le besoin de narrativité est là, afin de mettre du sens sur la souffrance, en donnant à voir et à savoir l’expérience intime ; la sublimation serait ici, à travers l’écriture, en forme de mise en sens du trauma adressée à l’autre. Ce travail, à travers l’écriture, permet une représentation et une élaboration de la souffrance ainsi partageable, partage par l’écriture puis par la publication, d’où une réconciliation entre le « moi intime » et le « moi public ».

Un jour, ma thérapeute m’a dit qu’écrire m’avait sans doute sauvé la vie, non seulement parce qu’elle lui donnait un but, mais aussi parce qu’elle m’empêchait de me fragmenter lorsque le réel devient insupportable. L’écriture dans tous les sens du terme (et aujourd’hui j’ajoute : la créativité au sens large, même si l’écriture avant tout). Comme le dit Elizabeth Gilbert dans une de ses conférences TedX, « l’écriture est ma maison ». C’est pour cela, aussi, qu’en plus d’écrire moi-même, j’ai créé Le Voyage Poétique, afin d’aider les autres à écrire — pas à devenir écrivains, d’autres font ça très bien, mais à trouver l’accès à la Grande Magie. Pas du tout dans une optique thérapeutique au sens strict, je ne suis pas thérapeute (même si, je pense, cela m’aurait intéressée), et je ne m’adresse pas à un public ayant de réels troubles psys, mais j’avais tout de même envie de lire quelque chose sur le sujet, augurant que j’y trouverais des pistes de réflexion allant au-delà de la thérapie par la médiation de l’écriture.

Et j’ai eu raison : dans son Atelier d’écriture thérapeutique, Nayla Chidiac s’appuie bien évidemment sur son expérience de psychologue clinicienne et sa pratique des ateliers thérapeutiques à Sainte-Anne : une pratique qui est très encadrée, nécessite une véritable connaissance des différentes pathologies et des traumas. Avec des vignettes cliniques précises concernant certains cas, comment cela se traduit dans l’écriture, et comment la pratique en atelier, appuyée sur le « triptyque théorique » et un rituel très défini, englobant et rassurant pour le patient, peut le faire progresser. Cela m’a évidemment intéressée vu que tout ce qui concerne le fonctionnement de l’humain m’intéresse, mais ce n’était pas vraiment là mon affaire.

En revanche, j’ai été enchantée par tout les développements théoriques et historiques sur l’écriture, ses fonctions, le développement des ateliers et cours d’écriture, l’écriture cathartique et l’écriture thérapeutique avec une passionnante réflexion sur l’écriture de soi, le fond et les différentes formes, et l’analyse de plusieurs « cas » d’écrivains. J’ai aussi beaucoup aimé la variété des déclencheurs qu’elle propose.

Un essai qui m’a donc beaucoup enrichie, m’a permis de creuser certains aspects théoriques et historiques, a allongé ma bibliographie et m’a permis de me poser des questions passionnantes. A lire si vous vous intéressez au sujet de l’écriture et de sa dimension thérapeutique. A lire si vous écrivez…

Ateliers d’écriture thérapeutique
Nayla CHIDIAC
Elsevier-Masson, 2013

Astrology for writers, de Corrine Kenner : écrire avec le zodiaque

Writers and astrologers have a lot in common. They’re both students of human behavior, with a fascination for discovering hidden motivations, secret fears, and boundless dreams. They’re natural observers who have knack for tuning in conflicting emotions, subconscious behavior, and mystery.
The langage of astrology is the langage of drama  — of conflict and resolution, courage and compassion, and life-changing growth and development. A lot of astrologers even describe the zodiac as a cosmic drama, and they point out that the planets move through the signs of the zodiac like players on a celestial stage.

Le mois dernier, je vous parlais de Tarot for writers, de la même autrice, et ma lecture active suivante a donc été son ouvrage sur l’astrologie  — les deux outils ayant en commun avec l’écriture de consister à raconter des histoires.

Ici, il s’agit de voir comment les concepts-clés de l’astrologie correspondent aux éléments organiques de la fiction : les planètes en seront les personnages, les signes l’histoire avec ses obstacles, ses conflits, ses thèmes, son symbolisme, le tout relié aux douze travaux d’Hercule (chaque signe représentant un travail) et bien sûr au voyage du héros, et les maisons le contexte, l’arrière-plan.

Encore une fois, il s’agit d’un excellent manuel, à la fois d’écriture et d’astrologie : le chapitre sur les planètes et les personnages, notamment, propose d’excellents déclencheurs et exercices d’atelier d’écriture, mais aussi de bonnes questions à se poser pour approfondir un personnage (je l’avais déjà fait avec François, du reste) ; ces questions peuvent aussi servir pour du journaling guidé à des fins d’introspection, et j’y ai trouvé beaucoup de matière pour nourrir le projet que j’ai autour de l’Invitation à un voyage astrologique, qui n’est plus disponible mais reviendra sous une autre forme.

Globalement, je n’ai pas appris grand chose au niveau astrologique, sauf sur les astéroïdes que je n’avais pas encore étudiés à part Chiron et Lilith (qui n’est pas un astéroïde mais un point théorique), et j’ai regretté qu’elle fasse si peu cas des angles, même l’ascendant, alors qu’ils sont essentiels dans ma pratique de l’astrologie. Néanmoins, il faut se souvenir qu’il s’agit d’une simple approche, avec un objectif créatif et non d’un cours d’astrologie, et dans cette perspective le but est parfaitement atteint : c’est clair, accessible (y compris d’un point de vue linguistique) et l’essentiel y est.

Astrology for Writers. Spark your creativity using the Zodiac.
Corrine KENNER
Llewellyn, 2013

Tarot for Writers, de Corinne Kenner : Tarot et créativité

Most people think of tarot cards as a fortunetelling device — but they’re also an excellent tool for writing and creative thinking. Writers from John Steinbeck to Stephen King have used tarot cards for inspiration, and Italian novelist Italo Calvino went so far as to call the tarot « a machine for writing stories. »
Calvino was right. An ordinary tarot deck can help you break through writer’s block, serve as a source of creative inspiration, and give you insights into your characters’ past, present and future. Tarot cards can help you generate new material or breathe new life into a project you’ve already started.

Une partie de mon été a été consacrée à la poursuite de mon apprentissage du Tarot, d’abord pour moi, ensuite parce que mon nouveau projet de roman est en partie basé sur la divination, et enfin parce que je voudrais proposer un programme de créativité plus riche et complet que ce que j’ai fait avec le Voyage Tarologique (qui va disparaître, donc si vous le voulez, c’est le moment). J’ai donc suivi plusieurs formations absolument passionnantes qui ont enrichi mon approche, et j’ai énormément travaillé sur ce manuel.

Tarot for Writers est, comme son titre l’indique, un manuel de Tarot a destination des écrivains. La première partie est consacrée à l’outil lui-même, les cartes, les tirages : elle ne m’a pas appris grand chose vu où j’en suis dans ma pratique, mais néanmoins j’ai trouvé qu’il s’agissait d’une excellente introduction. La deuxième partie se concentre sur la manière dont le Tarot peut servir aux écrivains : dans la phase d’écriture elle-même (construire les personnages, l’intrigue etc.) mais aussi comme coach . Enfin, la troisième partie est un voyage créatif à travers les 78 arcanes : leur signification, leur symbolisme, ce à quoi ils nous invitent dans notre pratique d’écriture, et quelques déclencheurs d’écriture.

Un manuel qui n’a pas fini de me servir, car il s’agit d’un excellent manuel de Tarot, dans un anglais facile, et qui adopte un angle original qui permet d’enrichir sa pratique tarologique et sa pratique d’écriture, avec beaucoup d’exercices ; c’est aussi un très bon cours d’écriture avec des chapitres intéressants sur la construction des personnages, de l’intrigue, qui donne beaucoup d’idées pour les ateliers d’écriture. Alors bien sûr je m’en sers surtout pour m’amuser : pour écrire un roman entier, je pense que c’est plus compliqué sinon à titre expérimental, mais on peut s’en servir pour creuser et développer.

L’autrice propose le même manuel mais en version astrologique, et j’ai hâte de m’y plonger car mon ambition est d’arriver à mêler plus étroitement les deux outils. Pour celui-là, je le conseille vraiment, que vous soyez curieux du Tarot et cherchiez quelque chose de moins impressionnant que le Tarot divinatoire, ou bien que vous ayez envie de varier un peu votre pratique d’écriture : c’est une mine d’or.

Tarot for Writers
Corinne KENNER
Llewellyn Publications, 2009

L’atelier noir, d’Annie Ernaux : la fabrique de l’écriture

Mais je sais que je ne peux pas échapper à cette phase d’exploration, quelle que soit sa durée. J’ai besoin de découvrir sur quoi j’ai le désir d’écrire, de connaître ma nécessité la plus dangereuse, celle qui me fera m’engager pour des mois dans un texte, vivre avec lui constamment et aller jusqu’à la fin, coûte que coûte. J’attends obscurément de ce journal qu’il m’éclaire sur ce désir et je suis stupéfaite de constater que, à mon insu, il m’a toujours menée jusqu’ici, dans des délais plus ou moins longs, vers ce que j’allais écrire, consentir à écrire enfin.

Bon. Devant mon échec à m’intéresser aux « romans » d’Annie Ernaux, échec plus ou moins cuisant selon les œuvres, je me suis dit que j’allais me plonger dans ses textes réflexifs, l’arrière-cuisine de son œuvre, et j’ai commencé par cet Atelier noir, son journal d’écriture.

Journal d’écriture ou plutôt journal d’avant l’écriture, puisque dès qu’elle a son sujet, le texte qu’elle a envie d’écrire à ce moment-là ou plutôt le texte qui veut être écrit, parmi les multiples idées, elle se lance dans le projet et n’écrit plus dans ce journal. Il s’agit donc, ici, de la suivre dans ses multiples questionnements : la quête du sujet, la quête de la forme…

Et ça, oui, j’ai trouvé ça très intéressant. Cette manière de mêler la vie et l’écriture (au début du Jeune Homme, elle écrit d’ailleurs : « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues »). Et il y a dans ce journal des passages magnifiques sur l’amour et le désir et comment l’écriture naît de là, et moi, c’est ça qui m’intéresse, et c’est justement ce qui me pose problème avec Ernaux : cette tension, cet élan, je ne les retrouve pas dans le produit fini.

En fait, cette lecture m’a finalement permis de mieux cerner ce qui me dérange : je serais assez curieuse d’ailleurs de lire ses premiers jets, tant j’ai l’impression que tout son travail de réécriture consiste finalement à assécher et décharner le style tout en historicisant et en sociologisant. Et ça, ça ne m’intéresse pas (je ne dis pas que ce n’est pas intéressant : juste, moi, je m’en fous).

Au final, je suis très satisfaite de cette lecture, qui nous fait entrer dans la fabrique des textes, j’ai noté beaucoup de réflexions inspirantes, et je continue mes investigations de ce côté-là !

L’Atelier noir
Annie ERNAUX
Les Busclats, 2011 – Gallimard, 2022

Instantané : bocal d’inspiration

Il y a presque deux ans, je vous avais parlé du fait d’écrire tous les jours pour « faire des gammes », et de mon carnet d’or. Evidemment, depuis, le processus a été un peu adapté : d’abord, je n’arrive plus à me tenir au « tous les jours ». Il est vrai que lorsque j’avais lancé cette idée, c’était pendant le confinement et l’été qui a suivi, donc une période où le temps ne manquait pas ; depuis, c’est plus compliqué : le travail alimentaire qui m’en prend beaucoup, du temps, et les autres projets, corriger les textes en cours, écrire le nouveau, écrire les livrets d’activités poétiques, la peinture, le collage… Bien sûr, si je le voulais vraiment, j’arriverais à trouver 10 minutes dans ma journée, mais je n’ai pas du tout envie que cela devienne un truc à cocher dans ma liste. Donc les writing prompts c’est lorsque j’ai besoin d’un boost, pour voir les choses autrement, me « décrasser » comme disent les sportifs…

Et puis, j’ai abandonné le carnet d’or : les sujets y étaient dans l’ordre, donc il n’y avait pas de surprise. J’ai écrit les sujets sur des petits papiers que j’ai mis dans un joli bocal, que j’ai mis dans la bibliothèque, et je pioche au hasard. Et c’est bon, cette surprise, et là manière dont, tout de suite, une idée se manifeste…

Je pense que je m’en servirai lorsque j’ouvrirai enfin mes cercles d’écriture (je pensais que je le ferais ce mois-ci, mais en fait, comme pour les masterclass, j’attends d’avoir trouvé mon rythme avec le reste).

Pourquoi écrire va vous rendre heureux, de Natalie Goldberg : le sel de la vie

En tant qu’écrivains, nous devons marcher dans le monde en restant reliés à cette partie de nous-mêmes qui est consciente, éveillée, ce sens animale qui regarde, voit et prend conscience des panneaux, des coins de rue, des bouches d’incendie, des kiosques à journaux. […] Si tu es un écrivain quand tu écris, tu l’es aussi en faisant la cuisine, en dormant, en marchant. Et que tu sois une mère, un peintre, un cheval, une girafe ou un charpentier, tu feras entrer tout cela dans ton écriture aussi. Tout cela t’accompagne forcément. On ne peut pas se séparer de ses différentes facettes.

Un essai avec un tel titre, vu que mon travail actuel consiste à développer une activité autour de l’idée de base que la créativité est essentielle à notre bien-être, ne pouvait évidemment pas m’échapper.

Il s’agit d’un essai qui date de 1986, et qui vient seulement d’être traduit en français. Beaucoup de textes de ce style, d’ailleurs, malgré leurs qualités et leur intérêt, ne sont toujours accessibles qu’en anglais : je pense par exemple à A Writer’s book of day, de Judy Reeves, dont je vous avais parlé, ou Making a literary life, de Carolyn See, dont je ne vous avais pas parlé. Peut-être que les choses sont en train de changer : on commence à enseigner l’écriture à l’Université, c’est un signe. Bref.

Writing down the bones, son titre original, est à la fois une réflexion sur l’écriture et la place qu’elle peut tenir dans nos vies, et un manuel d’écriture, regorgeant de conseils pratiques.

Et c’est très réjouissant. Souvent drôle, nourri de métaphores frappantes, cet essai jouit de l’influence de la méditation zen sur Natalie Goldberg, et fait donc aussi de l’écriture une forme de méditation qui peut réellement enrichir la vie. Nombre de conseils sont particulièrement intéressants, pas forcément pour tout prendre au pied de la lettre (je ne pourrai jamais écrire dans les cafés, sauf quelques lignes dans mon journal) mais pour y réfléchir. Et le cœur de tout, cela reste bien sûr une pratique régulière, comme un entraînement.

Un essai qui sera profitable à tout le monde, mais en particulier, bien sûr, à ceux qui écrivent ! Il rejoint mes indispensables sur la créativité, et nul doute qu’il me sera très utile pour développer mes projets.

Pourquoi écrire va vous rendre heureux
Natalie GOLDBERG
Traduit de l’anglais (américain) par Richard Doust
Robert Laffont, 2021

Les heures qui s’écoulent

Tic Tac, Tic Tac, Tic Tac. La pendule marque les secondes, qui deviennent des minutes, qui deviennent des heures qui s’écoulent et ne reviennent plus, comme un fleuve coule toujours vers la mer sans jamais revenir vers sa source. Image banale, usée, cliché, pour dire cette idée d’un temps linéaire où les heures s’écoulent et nous conduisent inexorablement vers la fin.

L’eau, le temps.

Mais le débit du temps n’est pas régulier, oh non. Parfois les heures s’écoulent à une vitesse vertigineuse, elles semblent des minutes, lorsqu’on est gai, lorsqu’on est dans les bras de la personne aimée, lorsqu’on fait l’amour le temps passe trop vite et tout autant il s’arrête, il est immobile et les horloges ne marquent pas cet instant qui est d’une autre nature.

Mais le débit du temps n’est pas régulier. Lorsqu’on travaille, lorsqu’on attend, les heures s’écoulent à une vitesse épouvantablement lente.

Les heures s’écoulent, pourtant. Deviennent des jours qui deviennent des semaines qui deviennent des mois. Rien, au regard de l’éternité. Une éternité, au regard d’une vie humaine. Et nous sommes humains, malgré tout, et les heures qui s’écoulent laissent des traces sur notre corps comme les larmes qui coulent sur les joues d’un enfant.

Les heures s’écoulent, pourtant, nous portant, nous supportant, nous emportant comme de frêles bateaux dans le courant. Nous transportant, où ?