On fait parfois des vagues, d’Arnaud Dudek : le mal de père

On devient feu et argile. On est agacé par la vie, qui est trop fade, trop étriquée. On déteste, on méprise le gris et le tiède. On se révolte, on lève le poing, on manifeste contre tout et pour rien, on distribue des tracts et des grandes idées comme on assène des coups de poing dans l’air. On invente des parenthèses dans la nuit, au coin du feu, avec quelques amis. On surfe sur les vagues, on tombe, on se relève, on recommence en se persuadant qu’on finira par tout dompter. 

C’est l’histoire d’un petit garçon qui grandit mais qui, malgré tous ses efforts, ne parvient pas à avoir une vraie complicité avec son père : entre eux, il y a une distance qu’il ne comprend pas avant, à 10 ans, que ses parents lui apprennent la vérité : son père n’est pas son géniteur, et il est né d’une insémination artificielle avec donneur anonyme. Devenu adulte, il décide de partir à la recherche de ce géniteur.

Un très beau roman, très délicat et sensible, qui s’interroge sur la paternité (ce qui me change un peu) : qu’est-ce qu’un père, la filiation, la transmission, la place. Comment se tisse ce lien entre père et fils, comment naissent les difficultés de communication. Sommes-nous notre éducation, ou la génétique a-t-elle un rôle dans la personne que nous sommes, nos goûts, notre manière de voir le monde. Et cet homme infertile : qui est-il, que ressent-il d’impuissance à ne pas pouvoir concevoir un enfant. Et bien sûr, le don de sperme et l’anonymat des donneurs (Nicolas trouve un moyen original de s’y prendre pour contourner le problème). Autant de questions abordées avec subtilité, sans y apporter de réponse mais en invitant le lecteur à y réfléchir par lui-même, avec en filigrane le thème de l’écriture puisque depuis qu’il est enfant Nicolas écrit des romans policiers, or c’est bien une enquête sur ses origines qu’il mène. Et l’amour, bien sûr.

Je recommande donc vivement ce joli roman, qui se lit assez vite et avec beaucoup de plaisir, et nous offre à la fin un chapitre absolument extraordinaire, d’une beauté absolu, sur ce que c’est que vivre !

On fait parfois des vagues
Arnaud DUDEK
Anne Carrière, 2020

Laisser des traces, d’Arnaud Dudek : splendeur et misère de la politique

Comme dans le poème d’Emma Nizan… « Je voudrais tant laisser des traces », martèle-t-il, je crois que c’est ce qui m’anime depuis toujours. Le petit gars qui a grandi dans une maison de poupée, qui a été élevé par un peintre en bâtiment et une employée de laboratoire, et qui n’a aucune envie d’être un figurant. Mon nom accolé à une loi qui changerait — en mieux — la vie des gens, mon visage associé à une grande réforme, que sais-je encore… J’ai trop peur de disparaître sans avoir… Trop peur que de mon passage ici il ne reste rien. Je vous ai raconté cette histoire de peinture entendue chez Chouchou ? Un type a trouvé un tableau du Titien chez un brocanteur. Le Titien… Il peut mourir, à présent, ce type. Il a laissé une trace dans l’histoire de la peinture. En revanche, moi… 

Nous voulons tous laisser des traces. C’est pour cela que nous avons des enfants, écrivons, créons, ou pour certains nous engageons en politique. C’est en tout cas pour cette raison que s’est engagé le personnage du nouveau roman d’Arnaud Dudek

Fraîchement élu maire de Nevilly au printemps 2020, Maxime Ronet découvre rapidement la réalité du terrain, et son impuissance : il fait de son mieux, mais il n’est pas parfait, commet des erreurs, certaines lourdes, comme avoir annulé plusieurs fois un rendez-vous avec une certaine Emma Nizan…

La vocation politique, l’idéal et le réel : c’est ce qu’interroge Arnaud Dudek dans ce joli roman, par le biais d’un narrateur qui ne se laisse pas effacer. On le sait le quotidien d’un maire est de moins en moins attractif, de plus en plus frustrant, ponctué de problèmes pratiques et de situations concrètes face auxquelles il se retrouve souvent démuni : comment aider les gens ? Car Maxime Ronet, malgré ses défauts, veut réellement aider les gens, être utile, améliorer leur vie — laisser des traces. Et il y parviendra, peut-être, mais pas forcément comme il le croyait.

J’étais un peu perplexe en commençant ce roman, parce qu’a priori le sujet ne me touche pas plus que ça : et puis, si, je me suis laissé emporter par l’écriture d’Arnaud Dudek, je me suis beaucoup attachée à Maxime malgré ses défauts et intéressée à ce questionnement qui par certains côtés m’a fait penser à Zadigj’avoue aussi que Maxime m’a beaucoup rappelé quelqu’un qui m’est cher. Sans parler de la poésie !

Bref, un très beau roman, à la fois tendre et ironique !

Laisser des traces
Arnaud DUDEK
Anne Carrière, 2019

L’avis de Clara

Les vérités provisoires, d’Arnaud Dudek

Les vérités provisoires Arnaud Dudek AlmaPour l’heure, Jules, le frère, vient d’emménager dans l’appartement de Céline. Deux ans et trois mois après la disparition. Partout où les gens vivent les souvenirs s’accumulent, comme les sédiments dans le lit d’une rivière* ; Jules a décidé de vivre parmi les sédiments de Céline Simone Gabrielle Carenti. Dans son musée, même, puisqu’on n’a touché à rien, puisque tout y est resté figé. Il s’agit d’une sorte de retraite, de pèlerinage. Bref. Jules fume une cigarette roulée. Il contemple de gros nuages noirs depuis le balcon. Et nous l’y rejoignons.

Parce qu’il n’y a rien de plus ennuyeux que les vérités définitives, le quatrième roman d’Arnaud Dudek nous en propose des provisoires.

Deux ans après la disparition non élucidée de sa soeur Céline, Jules Carenti s’installe dans son appartement, où rien n’a bougé, et dont le père a continué de payer le loyer. Le trait particulier de Jules ? Un rapport très personnel à la vérité et au monde. Et là, au milieu des objets de sa soeur, des restes de sa vie, il découvre des éléments qui l’intriguent, et décide de reprendre lui-même l’enquête.

Un roman court mais foisonnant, mené tambour battant par un narrateur interventionniste qui ne cesse de rappeler à son lecteur, par petites touches souvent humoristiques, qu’il est le maître du jeu. Rien d’étonnant : derrière l’apparence d’une intrigue policière, ce qui est en question ici c’est la relation complexe de la vérité et du mensonge, du réel et de la fiction. Jules ment comme il respire, d’autant que doté d’une mémoire très précise il parvient à ne pas se couper, ment pour rien, sans raison, pour de petites choses comme pour de grandes choses. Mais finalement, tout le monde ne ment-il pas ? Tout le monde ne réarrange-t-il le réel à sa guise ? Et Céline ? En cherchant sa soeur, qui lui manque, dont l’absence le mine, et en se servant du mensonge, son seul atout, comme porte d’entrée dans son enquête, n’est-ce pas lui finalement que Jules finira par trouver ?

Un roman très plaisant à lire, vif et plein d’humour, et en même temps sensible et délicat, qui aborde des thèmes essentiels : la famille, l’absence, la perte, le deuil — la quête de soi. Des personnages attachants dans leur fragilité. A découvrir !

Une lecture que je partage avec Leiloona !

Les Vérités provisoires
Arnaud DUDEK
Alma, 2017

*NDLR : je ne peux que confirmer ce fait : les couches sédimentaires s’accumulent, et bonjour la galère quand on déménage.