Respire, d’Anne-Sophie Brasme

RespireParler par pudeur, par violence, par colère, par douleur aussi. On écrit comme on tue : ça monte depuis le ventre, et puis d’un coup ça jaillit, là, dans la gorge. Comme un cri de désespoir.

Lorsque l’autre jour je vous ai parlé du dernier roman d’Anne-Sophie Brasme, beaucoup m’ont conseillé de lire son premier, Respire, qu’elle a écrit lorsqu’elle avait 17 ans, et qui vient de sortir au cinéma, adapté par Mélanie Laurent, donnant l’occasion au Livre de Poche de le rééditer. Bref, un beau faisceau de signes, n’est-il pas ?

Comme dans une tragédie grecque, on sait que tout va mal finir, puisque le roman commence en prison, où la narratrice est enfermée depuis deux ans pour meurtre. Âgée de dix-neuf ans, elle ne regrette pas son geste, mais décide de regarder enfin le passé et de mettre par écrit l’enchaînement des événements, en partant de la petite fille qu’elle était…

Ce roman m’a totalement bluffée par sa maîtrise absolue de l’engrenage fatal menant à la catastrophe et son utilisation très subtile de la métaphore filée : comme la narratrice dans son histoire, le lecteur est pris dans les filets du roman et ne peut qu’assister, impuissant, à ce qu’il sait inéluctable dès le départ. C’est presque pervers, d’ailleurs, mais cela permet au roman de gagner en profondeur : on ne se demande pas ce qui va se passer, on le sait, alors on peut mieux se concentrer sur l’analyse particulièrement fine des mécanismes psychologiques de la folie et de la dépendance affective, rendus encore plus bouleversants à cette période compliquée qu’est l’adolescence. Les souvenirs ici sont comme des bribes de passé à rassembler, des impressions, des flashs, des sensations diffuses, des émotions parfois, mais le pathos est étrangement absent. Le livre fait mal, est comme un coup de poing, mais pas tant par empathie pour la narratrice ou pour l’autre, même si parfois certains fait m’ont rappelé des petites choses douloureuses du passé ; non, si ce roman fait mal, c’est qu’il nous met face à nous-mêmes et nous oblige à regarder en face la complexité des rapports entre les êtres, la cruauté à un âge où on découvre le monde. C’est une histoire d’amitié et non d’amour et pourtant, tout y fonctionne exactement comme dans un couple, comme une histoire de passion amoureuse : le dominant et le dominé, le harcèlement, le pervers narcissique qui choisit sa proie et veut la détruire, la dépendance affective et obsessionnelle, comme une drogue. Et le sevrage, brutal, forcément.

Vraiment un grand roman, que je conseille à tous ceux qui ne l’ont pas déjà lu !

Respire
Anne-Sophie BRASME
Fayard, 2001 (LP 2002/2014)

Notre vie antérieure, d’Anne-Sophie Brasme

notre vie antérieureQuand on me demande pourquoi j’écris — question entendue un millier de fois —, je réponds toujours la même chose : je n’ai pas le choix. Sans cela, je me serais fissurée au premier coup.

Laure est écrivain. Ses livres se vendent honorablement, lui permettant de vivre de sa plume, mais ne fait pas partie des grands écrivains dont la postérité retiendra le nom. Ce n’est pas bien grave : à soixante-cinq ans, elle se sent à bout de souffle, et se lance dans l’écriture de ce qu’elle sait être son dernier roman. Le plus important, celui qu’elle porte en elle depuis toujours. Un roman dans lequel elle va enfin raconter ce qui est sans doute à l’origine de tout, et qui la projette quarante-cinq ans en arrière, l’été où elle a connu Aurélien et Bertier…

Avec ce roman, je découvre la plume d’Anne-Sophie Brasme, et j’en suis ravie. Evidemment, me direz-vous, il est question dans ce roman d’écriture, de lecture, de littérature en somme, et c’est évidemment passionnant : le récit fait alterner le journal de Laure, qui est une sorte de carnet d’écrivain dans lequel elle note ses pensées intimes et la progression de son travail, et le récit lui-même, qui nous montre comment naît le besoin d’écrire. Il est aussi question de jeunesse, d’insouciance, de quête du bonheur à travers des moments pleins et riches où l’on est présent au monde et où c’est tout ce qui compte. Il est question d’amour aussi, bien sûr, avec ce qui aurait pu être un simple triangle amoureux mais se révèle beaucoup plus profond que cela. Par contre, il n’est pas question de réincarnation, contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre : c’est, simplement, la question lancinante de la mémoire et du retour du passé, qui semble hanter tellement d’écrivains.

C’est donc un roman que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire, et que je recommande chaudement, même si j’ai deux bémols : d’abord, j’ai trouvé la « ficelle » beaucoup trop grosse, au point que j’avais deviné la clé dès le début, alors même qu’habituellement je me laisse très facilement mener par le bout du nez. Ensuite, je n’ai pas compris l’intérêt du choix chronologique, qui m’a fait croire à un moment qu’il y avait une incohérence (et vous savez combien les incohérences me font facilement tiquer) avant de comprendre que non, mais je m’interroge. Du coup, c’est plus une interrogation qu’un bémol… mais que cela ne vous arrête pas : c’est, malgré tout, un très bon roman !

Lu par Charlotte

Notre vie antérieure
Anne-Sophie BRASME
Fayard, 2014

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By Hérisson