Ces petits rien qui nous animent, de Claire Norton : il n’y a que des rendez-vous

Tu sais, je suis assez fataliste. Je pense vraiment que les choses arrivent rarement par hasard. Y compris les moments difficiles. Mais toutes ont un sens. Là je n’en trouve aucun. 

Aude, qui vient de trouver son mari en posture acrobatique avec une autre, se réfugie au parc des Buttes-Chaumont. C’est là que se trouvent également Alexandre, qui doit faire un choix entre l’amour et sa famille, et Nicolas, dont le frère vient d’annuler leur rendez-vous au dernier moment. Et Charlène qui, en conflit avec son père, menace de se jeter d’un pont.

Un très joli roman, que j’ai pris beaucoup beaucoup de plaisir à lire : il nous parle de vulnérabilité, de courage, de solidarité, de soutien. Plein de rebondissements mais de sensibilité et d’émotions, il peut parfois paraître peu vraisemblable, et les coïncidences exagérées, mais en fait, non, parce que la vie est remplie d’événements improbables. Et ça fait du bien, ces personnages qui apprennent à se connaître, eux et les autres, et qui s’unissent pour le bien, et qui finissent par tisser des liens indéfectibles. Oui, ça fait du bien !

Parfait pour l’été donc, ce roman permet de réfléchir à nos choix, au sens qu’on veut donner à sa vie, à la manière de se sentir vivant. A lire sans hésitations, ça fait du bien.

Ces petits riens qui nous animent
Claire NORTON
Robert Laffont, 2020

Le crâne de mon ami, les plus belles amitiés d’écrivains d’Anne Boquel et Etienne Kern : une même âme en deux corps

Car la vie littéraire ne se réduit pas aux coups bas, aux règlements de comptes, aux noms d’oiseaux, à tout ce qui fait qu’Horace déjà, il y a deux mille ans, se désolait devant « la race irritable des poètes ». La vie littéraire, c’est aussi Tolstoï et Tourgueniev qu’on surprend un jour à jouer à la balançoire ; Edith Wharton qui demande à son éditeur de verser ses droits d’auteur sur le compte bancaire d’Henry James ; Pasternak qui, jusqu’à sa mort, conserve sur lui, pliée dans son portefeuille, une lettre que Rilke lui a envoyée trente-quatre ans plus tôt ; George Sand qui prend le ton d’un enfant pour amuser Flaubert : « Pourquoi je t’aime plus que la plupart des autres ? »
C’est aussi Goethe qui, très âgé, cache dans sa bibliothèque une relique sacrée : le crâne de son ami Schiller. 

Plutôt que de se focaliser sur ce qui ne va pas, la méchanceté, la haine, la jalousie et autres sentiments négatifs, concentrons-nous plutôt sur les émotions positives. Et changeons un peu : plutôt que de parler d’amour, parlons, en cette veille de Noël, d’amitié, qui est du reste une forme d’amour. Et, plus spécifiquement, d’amitiés entre écrivains.

Evidemment, on pense à Montaigne et La Boétie dès qu’on aborde ce sujet, mais les treize histoires choisies pour cet essai sont beaucoup plus récentes, pour des questions de source : Goethe et Schiller, Wordsworth et Coleridge, Hugo et Dumas, Tourgueniev et Tolstoï, Flaubert et Sand, James et Stevenson, Woolf et Mansfield, Cocteau et Radiguet, Char et Eluard, Senghor et Césaire, Mishima et Kawabata, Kerouac et Ginsberg, Vargas Llosa et Garcia Marquez.

Passionnant, fourmillant d’anecdotes, cet ouvrage donne à voir les écrivains tels qu’on ne les connaît pas toujours, à découvrir une nouvelle face de leur personnalité, parfois à les découvrir tout court. Alors, ce n’est pas toujours facile, les amitiés d’écrivains (cela dit, l’amitié comme l’amour n’est pas toujours facile), parfois s’y mêlent des questions d’égo, des problèmes de rivalité, des désaccords politiques, surgissent aussi des brouilles provisoires ou définitives. Mais parfois aussi ces amitiés sont fécondes littérairement, la rivalité fait place à l’émulation, voire à la collaboration.

Treize belles histoires donc, très différentes les unes des autres et qui nous apprennent beaucoup de choses. Un parfait cadeau de Noël de dernière minute pour un ami !

Le crâne de mon ami, les plus belles amitiés d’écrivains
Anne BOQUEL et Etienne KERN
payot, 2018

Lovesick, de Tom Edge

Lovesick, de Tom EdgeTrouver l’amour c’est passer par des ruptures, c’est subir des déceptions, c’est souffrir un max, jusqu’à ce que tu trouves la bonne.
– Comment on sait que c’est la bonne ? 

L’autre jour, lorsque je faisais des recherches sur le film intitulé Lovesickje me suis rendu compte qu’il existait aussi une série du même nom, initialement d’ailleurs intitulée Scrotal Recall. Bien entendu, je me suis précipitée dessus, pour mon plus grand bonheur.

Lorsqu’il découvre qu’il a une MST, Dylan se voit contraint de contacter pour les prévenir toutes ses partenaires sexuelles. Mais au lieu de leur envoyer les cartes toutes faites qu’on lui a données, il décide de les appeler, parfois de les revoir, et pour ce faire il choisit de procéder par ordre alphabétique. La série fonctionne donc sur une double temporalité où on suit l’évolution de Dylan et de ses amis : le passé de ses histoires d’amour loupées, et le présent.

Le sujet essentiel de la série, c’est bien évidemment la grande aventure de la quête de l’amour d’une bande de jeunes adultes tous extrêmement attachants, à commencer par Dylan, un véritable coeur d’artichaut qui s’investit totalement dans ses histoires malgré les échecs douloureux, parce qu’il a compris aussi que les erreurs amoureuses sont nécessaires pour nous conduire à la bonne personne (qui n’est parfois pas loin du tout) ; sa galerie d’ex, de fait, comprend tout de même bon nombre de cinglées de compétition. Mais tout le groupe, scellé par une amitié indéfectible, est vraiment attachant et chacun a sa propre manière de concevoir l’amour, que ce soit Luke, Angus ou Evie.

Une série donc à la fois très très drôle, et extrêmement attendrissante, qui met du baume au coeur et redonne foi en l’amour !

LoveSick
Tom EDGE
2014-2018 (3 saisons)

De l’amitié aujourd’hui, de Michel Serres et Michel Polacco

De l'amitié aujourd'hui, de Michel Serres et Michel PolaccoJe voudrais partir de la chimie. Depuis des siècles, les chimistes s’étonnent qu’il existe des corps qui interagissent et d’autres qui font comme s’ils étaient complètement indifférents. Or, beaucoup de philosophes ou de littérateurs ont essayé d’appliquer aux passions humaines les résultats des sciences. Les socialistes utopistes du XIXe siècle on voulu, par exemple, utiliser l’attraction universelle de Newton pour comprendre la politique et les passions humaines : je t’aime, tu m’aimes, nous sommes attirés l’un vers l’autre.

Comme l’amour, l’inclination amicale a quelque chose de mystérieux et d’inexplicable. Lorsqu’on pense à l’amitié, il est difficile de ne pas songer à Montaigne parlant de La Boétie, Parce que c’était lui, parce que c’était moi ; Aristote disait aussi une chose très jolie, qu’un ami c’est une même âme en deux corps. L’amitié est donc un sujet de réflexion éminemment philosophique, et après le bonheur et l’impertinence, c’est à lui que s’intéressent Michel Serres et son ami Michel Polacco, dans ce nouveau recueil de leurs chroniques diffusées sur France Info.

De l’amitié en philosophie. Mais aussi la BD, la Belgique, la captivité, la confiance, la jalousie, le Japon, la langue de Raymond Devos, la mer, les phalanstères, privé et public, René Girard, le salut, le suicide, Tintin et le Capitaine Haddock, vouvoiement et tutoiement : tels sont les sujets très éclectiques abordés dans l’ouvrage.

Pour être honnête, le lien avec le thème de l’amitié est souvent très ténu (voire presque inexistant sans quelques contorsions). Il n’empêche qu’encore une fois, chemin faisant de chronique en chronique dans lesquelles on grapille agréablement, on apprend beaucoup de choses sur nombre de sujets, philosophiques, historiques, parfois scientifiques. La chronique sur la jalousie est particulièrement passionnante, et donne à réfléchir. Et comme pour les autres ouvrages de la collection, on ne peut que souligner et féliciter la clarté et la pédagogie dont sait faire preuve Michel Serres, qui montre ici, dans certaines chroniques, un aspect nouveau de sa personnalité : il n’hésite pas à parler de lui et de ses expériences intimes, le ton est parfois très personnel, et il en devient émouvant, par exemple lorsqu’il parle du suicide ou de René Girard (son ami !).

Un petit recueil intéressant et vivifiant, parfais pour l’été car il permet de réfléchir sans prise de tête !

De l’amitié aujourd’hui
Michel SERRES et Michel POLACCO
Le sens de l’info / Le Pommier, 2017

Ma vie de Cougette, de Claude Barras

Ma vie de courgetteOn ne compte plus les récompenses et nominations obtenues par ce petit film d’animation sorti en octobre. Et, si je n’ai pas lu le roman de Gilles Paris dont il est une libre adaptation, j’aime particulièrement l’univers tendre de l’auteur, et j’attendais donc avec impatience qu’il soit enfin disponible en VOD.

Icare dit Courgette a 9 ans. Sa vie bascule lorsqu’il perd sa mère, alcoolique et violente ; quant à son père, il est depuis longtemps parti avec « une poule ». Courgette se retrouve donc au foyer des Fontaines où, après des débuts un peu difficiles, il se trouve une nouvelle famille : la directrice, Mme Papineau, les éducateurs Rosy et monsieur Paul, et les autres enfants qui ont tous une histoire tragique, Simon, Ahmed, Jujube, Béatrice, Alice. Il y a aussi Raymond, le policier qui s’est occupé de lui et qui lui rend visite. Et bientôt arrive Camille, dont il tombe amoureux.

Un film résolument bouleversant et dans lequel on reconnaît l’univers tendre de Gilles Paris et sa capacité absolue à saisir l’âme des enfants. La grande réussite de ce film est d’arriver à se mettre à leur hauteur et de parvenir à dégager une certaine naïveté, une candeur qui contrebalance les histoires effroyables dont ils sont les victimes innocentes : Courgette dessine son papa avec une poule (une vraie, qui pond des oeufs, parce qu’il n’a pas compris les remarques de sa mère), ils se posent des questions sur l’amour et la sexualité. Cela donne donc un film qui fait parfois pleurer, qui émeut toujours, et qui fait à l’occasion sourire, aussi : une belle histoire d’optimisme, de résilience, avec des enfants blessés mais qui parviennent à retrouver foi en leur vie grâce à l’affection qu’ils se portent les uns aux autres et aux adultes qui font tout pour leur offrir une vie meilleure.

Un très très beau film, à voir absolument, avec vos enfants si vous en avez !

Ma vie de Courgette
Claude BARRAS
D’après Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris
2016

Une question d’harmonie, de Bérengère de Chocqueuse

Une question d'harmonieComment voulez-vous vous sentir seul quand vous êtes entouré de livres et que surtout vous avez pour compagne une magnifique contrebasse ?  

Encore un premier roman, encore un roman délicat et léger qui pourra agréablement accompagner votre été.

Julia n’a pas eu de grands-parents. C’est pour cette raison qu’elle s’est inscrite dans une association qui vise à tisser des liens entre les générations, en proposant à des jeunes d’entrer en contact et de s’occuper de seniors isolés. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Paul Varande, 80 ans et ancien musicien à l’Orchestre National de France. Mais la communication est au départ un peu difficile : Paul est attaché à sa solitude et voit Julia comme une intruse.

Un très joli roman, dans lequel le présent de Julia et le passé de Paul alternent afin de nous montrer les échos entre les personnages, qui petit à petit s’apprivoisent autour de l’amour de l’art et de la musique. Ce qui est en jeu, ici, outre le lien entre les générations et les liens très forts qui peuvent se tisser malgré les années d’écart, c’est de trouver sa voie : si Paul a tout de suite su que la contrebasse était son destin, Julia elle hésite beaucoup ; de la même manière, en amour, comment sait-on qu’on a rencontré la bonne personne ?

Bref, un roman très agréable, sur lequel il n’y a pas grand chose à dire, mais qui permet de passer un bon moment…

Une question d’harmonie
Bérengère de CHOCQUEUSE
Belfond, 2016

Les Mijaurées, d’Elsa Flageul

Les MijauréesParfois pourtant, nous sommes saisies de terreur, de terreur oui le mot n’est pas trop fort, tant chaque choix nous semble alors si important, si définitif alors si important, si définitif alors que, nous ne le savons pas encore non, ce ne sont pas des choses qui s’apprennent à l’école et encore moins dans celles que nous avons fréquentées, il y a tant d’errances dans une vie, tant de chemins rebroussés, tant de routes abandonnées et d’autres prises presque par hasard, par accident dirait-on mais justement les accidents mes amis, les échappées, les embardées qui font virer de bord et prendre des chemins de traverse qui se révèlent être des routes, il y a tant de moments d’égarement dans une vie qui ne sont pas des faiblesses non mais des respirations, des ponctuations.

Les amitiés construites dans l’enfance sont souvent les plus fortes : on grandit ensemble, on a la même histoire, et c’est un pilier essentiel de la vie, un refuge pour les moments difficiles. Enfin, je dis ça, je n’ai pas cette chance, car la personne à laquelle je m’étais attachée lorsque j’étais très jeune était toxique pour moi, et nos chemins se sont séparés vers l’âge de vingt ans, lorsque je me suis rendu compte qu’elle préférait ses nouveaux amis plutôt que d’être là pour moi alors que j’en avais besoin. Bref. Du coup, pour moi ces amitiés qui durent toute la vie sont un peu mythiques, et c’est avec beaucoup d’intérêt que je me suis plongée dans le nouveau roman d’Elsa Flageul, qui nous raconte une telle amitié.

Septembre 1992. Clara et Lucille entrent en quatrième et ont un coup de foudre à retardement. Il faut dire que dans ce collègue élitiste et huppé, elles font un peu figure d’erreurs de casting, élèves médiocres aux parents peu fortunés qui ne vivent dans ce quartier qu’à la faveur d’un loyer bloqué. Alors, elles deviennent inséparables. Par petits flashs sur les années marquantes de leur vie, Elsa Flageul nous raconte cette amitié, ses hauts et ses bas, les joies et les épreuves. L’amour, la mort, les études, la maladie… tout ce qui fait une vie !

Tout en délicatesse, ce très joli roman doté d’une grande force narrative nous montre, finalement, ce que c’est que grandir. Il s’en dégage un doux parfum de nostalgie : à travers ces deux fillettes qui deviennent femmes et cette amitié très forte, c’est aussi toute l’histoire d’une génération qui transparaît : Freddy Mercury et la découverte du sida sur lequel bien des idées fausses circulent, Nirvana et le suicide de Kurt Cobain, la coupe de monde de 98, le 11 septembre, le mariage pour tous. A travers ces jalons historiques, l’histoire personnelle de Clara et de Lucille se construit, une histoire singulière et qui pourtant pourrait ressembler à tant d’autres, et c’est justement ce qui fait la force de ce roman : l’universalité du particulier. Émouvantes souvent, agaçantes parfois, Clara et Lucille nous touchent par la foi qu’elles ont l’une en l’autre. Parfois la barque tangue et leur lien est mis à l’épreuve parce que la vie est parfois cruelle, mais la force de l’amitié, la vraie, comme celle du grand amour, est de surmonter les obstacles sur la route…

Un très beau roman sur l’amitié, une très belle écriture : à découvrir absolument !

Les Mijaurées
Elsa FLAGEUL
Julliard, 2016