La création, en chemin, n’a jamais rien perdu de son mystère. Comment vient l’idée de départ, le projet initial ? Existe-t-il quelque chose que l’on nomme vocation ? Quels chemins un artiste suit-il pour aboutir à l’oeuvre qu’il nous sera donné de lire, écouter, contempler ? En écoutant ou en lisant les verbatim de ces entretiens, on sera sans doute surpris de découvrir qu’il y a presque autant de méthodes qu’il y a de créateurs, alors même que, pour chacune et pour chacun, la méthode qu’elles et ils ont élaborée semble la seule possible pour mener à bien cette chose si résolument incertaine qu’est une oeuvre d’art. Mais à l’issue de ce processus, d’autres questions demeurent. Une oeuvre est-elle un jour terminée ? Les créateurs sont-ils anxieux de leur postérité ?
Ce livre m’intéressait depuis sa sortie, mais comme d’habitude, j’ai été prise par autre chose, le temps a passé, et voilà. Mais l’autre jour je suis tombée dessus par hasard (c’est toujours comme ça que ça se passe), et voilà…
Créer est la retranscription de sept Masterclasses de France Culture dont l’objet était de convier des créateurs divers et variés, dans toutes les disciplines, et de les interroger sur ce qu’ils font et la manière dont ils le font. Sont ainsi interrogés Amélie Nothomb, Jean-Claude Ameisen, Jean Nouvel, Denis Podalydès, Maylis de Kerangal, Angelin Preljocaj et Joann Sfar.
Et c’est (mais comment pourrait-il en être autrement) absolument passionnant et fascinant : une plongée dans l’arrière-cuisine du travail créatif sous toutes ses formes. Étonnamment, je n’ai pas seulement été intéressée par les entretiens avec les auteurs (cela étant, j’ai été passionnée par les réponses de Maylis de Kerangal alors même que je n’aime pas ce qu’elle écrit) : au contraire, c’est Jean-Claude Ameisen, chercheur en immunologie, donc à mille lieues de mes sujets d’intérêt habituels, dont les réponses m’ont le plus fascinée (et fait réfléchir).
Bref, un petit ouvrage à avoir dans sa bibliothèque, nourrissant et vivifiant, émaillé de petites phrases qui font mouche et donnent à voir le monde autrement.
La naissance de Déodat fut un atterrissage brutal. Nécessité faisant loi, ils devinrent cette sorte d’adultes qu’on appelle des parents. D’avoir été enfants beaucoup plus longtemps que la moyenne des gens les handicapait : ils conservèrent l’habitude de se réveiller le matin avec pour première pensée leur bon plaisir. C’était toujours Honorat qui se rappelait à voix haute : « Le Petit ! » Conscient de décevoir, le bébé se fit d’emblée discret. On ne l’entendait jamais pleurer. Même affamé, il attendait patiemment le biberon qu’il tétait avec l’extase goulue d’un mystique. Comme Enide avait du mal à cacher l’épouvante que lui inspirait son visage, il apprit très vite à sourire.
Après Barbe Bleue en 2012, Amélie Nothomb s’intéresse à nouveau à Perrault en cette rentrée littéraire, et nous livre une version moderne de Riquet à la houppe…
C’est sur le tard (elle a 48 ans) qu’Enide et Honorat ont leur premier enfant. Baptisé Déodat (plus original que Théodore), il est d’une laideur repoussante, mais d’une intelligence redoutable. Au même moment, lierre et Rose donnent naissance à une petite fille d’une beauté éblouissante mais qui manque un peu de vivacité d’esprit : Trémière.
Tout de suite on se sent en terrain connu dans l’univers si particulier de Nothomb, un peu étrange, avec ces prénoms sortis de nulle part, ces personnages un peu particuliers et fantaisistes (mention spéciale à la grand-mère de Trémière), ce ton à nul autre pareil. Et, de fait, la réécriture des contes va bien à cet univers singulier et séduisant. Virevoltant, le roman aborde et interroge de nombreux sujets, proposant des réflexions intéressantes sur la beauté et la laideur, le harcèlement et la cruauté des enfants, les oiseaux, la liberté, et l’amour.
Une lecture tout ce qu’il y a d’agréable et de réjouissant ! Un bon cru !
Riquet à la houppe Amélie NOTHOMB
Albin Michel, 2016
10% Rentrée Littéraire 2016 – 11/60
By Lea et Herisson
Et oui, la rentrée est déjà là. *soupir* J’ai l’impression que l’été est passé à une vitesse folle… comme d’habitude. L’heure est donc venue de revenir à nos moutons culturels (ce qui est, soyons honnêtes, la seule chose qui me motive dans la rentrée…)
<« Dessine-moi le bonheur » : L’opération ‘bonheur’ de Balzac Paris x l’Unesco>
Je vous ai déjà parlé de Balzac Paris, la marque de mode inspirée par la littérature. En hommage aux 70 ans de l’UNESCO, elle s’associe à Guila Clara Kessous, la plus jeune Artiste de l’UNESCO pour la Paix en soutien au Fonds Malala pour l’opération «Dessine moi le bonheur». Le but de cette initiative est d’aider l’accès à l’éducation des jeunes filles pour poursuivre l’action de Malala Yousafzai, prix Nobel de la Paix 2014. Guila Clara Kessous a donc réuni autour d’elle de nombreux artistes (Charlie Winston, Garance Doré, Laetitia Casta, Thomas Dutronc, Louis Chedid, Alfred Cointreau le «Professeur de Bonheur» de l’université de Harvard, Tal Ben Shahar) qui ont chacun créé un T-shirt unique et personnalisé pour exprimer leur idée du bonheur. Ces T-shirts seront en vente exclusive chez Colette et sur le site www.balzac-paris.fr à partir de Septembre 2015. J’avoue une petite préférence pour celui de Garance Doré !
<Fyctia : restez lecteur, devenez auteur>
Fyctia est la première plateforme de concours d’écriture web et mobile qui permet à des auteurs de toucher une grande communauté de lecteurs, d’interagir avec eux, d’être conseillés par des professionnels du livre et publiés par une maison d’édition en cas de victoire. Sur Fyctia, le succès des auteurs est lié à l’engagement des lecteurs sur les textes grâce à la mécanique des concours : ainsi les auteurs peuvent échanger avec leurs lecteurs sur les chapitres publiés et la sélection du livre destiné à la publication n’est plus le fait de l’éditeur, mais celui des lecteurs. Le principe est simple : sur un thème donné, les auteurs publient un chapitre, et à partir de là ce sont les lecteurs qui choisissent les séries qu’ils souhaitent voir continuer, puisqu’il faut un certain nombre de « likes » pour pouvoir continuer à publier. C’est cruel, mais stimulant, d’autant qu’au fur et à mesure de la progression les éditeurs donnent des « coups de pouce » en mettant en lumière certains textes et en donnant quelques conseils ! Les premiers concours s’inscrivent dans des univers de fiction dont le succès en numérique, en France et ailleurs, est très fort : le Young Adult, New Adult, et la Fan-Fiction. La plateforme est faite pour lire et écrire n’importe où, n’importe quand sur smartphone, tablette et ordinateur. C’est pour les auteurs la possibilité d’une publication au format numérique, voire papier, par la maison d’édition Hugo & Cie (qui a notamment édité les séries best-sellers Beautiful Bastard et After) et les conseils de professionnels du livre tout au long des concours. Pour les lecteurs, c’est la possibilité de participer activement au processus d’élaboration et de sélection d’un livre. Bref, une nouvelle façon d’écrire à étudier de plus près !
< art3f Paris : l’art contemporain autrement, accessible et ouvert à tous>
Fort de son expérience de 4 années dans l’organisation de salons internationaux d’art contemporain dans 8 villes majeures de province (Bordeaux, Nice, Mulhouse, Montpellier, Nantes, Metz, Lyon, Rennes), art3fs’implantera à Paris les 3,4,5 et 6 septembre 2015 dans les murs du tout nouveau Paris Event Center, le nouveau parc des expositions porte de la Villette. Au programme : de jeunes artistes en vogue, des expositions de galeries parisiennes et internationales avec les œuvres d’artistes émergents, de très belles signatures (Pasqua, Soulages, Combas, Di Rosa, Vasalery, de Stael, Dubuffet…), du street art, des animations vivantes, des expositions et des performances live, des happenings dédiés à la créativité des enfants, des pôles dégustation : bars à vin, à sushi, à huîtres, « green bar »… Bref, une sympathique idée de sortie pour le premier week-end de septembre que ce salon qui a pour but de faire découvrir aux novices l’art contemporain à un prix plutôt abordable (10€ l’entrée, gratuit pour les -18 ans accompagnés).
<Magdalena Montpellier France>
Magdalena Montpellier France 2015 est un événement organisé par La Bulle Bleue en association avec le Théâtre de la Remise et Réseau en scène Languedoc-Roussillon. Magdalena Project est un réseau international d’échanges dédié au théâtre et aux arts vivants créés par des femmes. Depuis bientôt trente ans, Magdalena traverse les continents et les générations par le biais des événements régulièrement organisés dans différentes villes du monde et pour cette première en France, des femmes artistes du Danemark, d’Angleterre, de Suisse, de Biélorussie, d’Argentine, d’Inde, d’Allemagne, du Brésil, de Pologne, d’Espagne, d’Italie, du Japon et d’Australie seront à la rencontre des professionnel(le)s de la région et de tous les publics : spectacles, formations, conférences, expositions et performances, le tout du 21 au 26 septembre à Montpellier !
<Ex-libris>
Un coup de coeur : le site de la graphiste Morgane Rospars, qui propose notamment de magnifiques ex-libris pour personnaliser vos livres. Vous pouvez même lui demander de vous en créer un rien que pour vous ! Sinon, vous pouvez aussi choisir un des modèles déjà existants. Pour ma part, je lorgne sur le hibou !
<La Grande Librairie>
Une huitième saison qui s’ouvre en beauté jeudi, avec un plateau de choc : Astrid Manfredi pour La Petite Barbare, Amélie Nothomb pour Le Crime du comte Neville, Laurent Binet pour La Septième fonction du langage et un entretien exclusif tourné à Livingstone dans le Montana avec Jim Harrison qui publie Péchés Capitaux, et dont les amateurs ont déjà pu voir quelques images si comme moi ils suivent le Grand Maître (Busnel, pas Harrison) sur Instagram (compte grâce auxquels j’ai pu constater que Busnel avait les mêmes addictions que moi : les livres bien sûr, les huîtres et le vin blanc — même si lui déguste ces derniers à l’île de Ré et non au Cap-Ferret) !
Les Journées européennes du patrimoine, c’est le 19 et le 20 septembre. Que de choix encore cette année ! Par exemple, grâce à un parcours de 45 minutes, en français ou en anglais, les visiteurs auront le loisir de découvrir les secrets du grand magasin à travers un itinéraire retraçant la naissance des grands magasins parisiens et l’évolution des Galeries Lafayette depuis 1894. Mais, évidemment, il y en a pour tous les goûts, il n’y a qu’à demander le programme !
Si l’un de ses amis s’était vu adresser une prophétie semblable et l’avait racontée à Henri, celui-ci aurait éclaté de rire et lui aurait dit avec la dernière conviction de ne pas croire à ces histoires de bonne femme. Malheureusement, il était comme presque tout le monde : il ne croyait les prédictions que si elles le concernaient. Même le sceptique le plus cartésien croit son horoscope.
Que serait une Rentrée Littéraire sans Amélie Nothomb ? Et bien, ce ne serait pas vraiment une Rentrée Littéraire, de fait. Alors, comme tous les ans, soumettons-nous au rituel du Nothomb nouveau, et apprécions la cuvée 2015.
Le Comte Neville n’est pas homme à consulter des voyantes. Et s’il se retrouve ce jour-là dans le cabinet de Mme Portenduère, c’est juste pour chercher son étrange fille de 17 ans, Sévère, que la dame a retrouvée en pleine nuit dans la forêt, et qu’elle a recueillie. Pourtant, entre deux portes, et alors qu’il ne lui demande rien, l’extralucide lui livre une inquiétante prophétie : au cours de sa prochaine fête, il tuera un des invités. Mais « tout se passera bien ». C’est peu de dire que cette prédiction va lui gâcher les jours suivants. Tuer un invité ? Quel manque de savoir-vivre, pour un homme aussi attaché aux conventions.
L’intertextualité avec le conte de Wilde, Le Crime de Lord Arthur Saville, est évidente, et assumée, et se mâtine ici de tragédie grecque et d’une interrogation sur le destin : arrive ce qui doit arriver, quoi qu’on fasse. Henri Neville n’a pourtant pas très envie d’être un nouvel Agamemnon, et s’il a appelé ses aînés Oreste et Electre, il n’a pas poussé la provocation jusqu’à nommer Iphigénie sa seconde fille ; cela dit, elle porte le nom de Sévère, et de fait, c’est une jeune fille étrange, qui essaie de vivre mais ne ressens rien. Ici, tous les ingrédients pour une belle tragédie sont réunis, mais dans un décorum de conte de fées, et notamment un beau château dans lequel on donne de belles fêtes, où l’invité est ce qu’il y a de plus précieux. Et puis, nous sommes chez Nothomb : c’est loufoque et décalé, souvent très drôle, un peu satirique envers l’aristocratie belge arc-boutée sur l’honneur et le paraître.
Ce n’est pas un millésime, mais ça se lit avec plaisir, c’est distrayant et sympathique !
Le Crime du Comte Neville Amélie NOTHOMB
Albin Michel, 2015
Pourquoi du champagne ? Parce que son ivresse ne ressemble à nulle autre. Chaque alcool possède une force de frappe particulière ; le champagne est l’un des seuls à ne pas susciter de métaphore grossière. Il élève l’âme vers ce que dut être la condition de gentilhomme à l’époque où ce beau mot avait du sens. Il rend gracieux, à la fois léger et profond, désintéressé, il exalte l’amour et confère de l’élégance à la perte de celui-ci. Pour ces motifs, j’avais pensé qu’on pouvait tirer de cet élixir un parti encore meilleur.
Chaque année, la parution métronomique du nouveau roman d’Amélie Nothomb est l’un des événements de la rentrée littéraire, et sans être une nothombomane convaincue, je l’attends toujours avec beaucoup de curiosité, même s’il m’arrive comme l’an dernier de louper le coche. Mais cette année, il n’en était pas question (de louper le coche) : l’amatrice résolue de champagne que je suis ne pouvait pas passer à côté d’un roman dans lequel Amélie, champagnophile devant l’Éternel, fait l’éloge de sa boisson favorite.
La narratrice, appelons-là Amélie Nothomb, est au début du roman une jeune romancière de 30 ans qui commence à avoir du succès. Elle aime le Champagne, mais pas seulement pour le savourer : comme un chamane, elle recherche l’ivresse particulière que procure ce breuvage. Mais, lasse de s’alcooliser seule, elle cherche une « convigne » parmi les gens qui viennent faire dédicacer ses livres. C’est là qu’elle rencontre Pétronille…
Avec ce roman, Amélie Nothomb revient à son meilleur niveau, et nous propose une lecture savoureuse et pétillante. C’est, avant tout, une histoire d’amitié entre deux filles, deux écrivains, complètement toquées il faut bien le dire, construite autour des livres (Pétronille est une lectrice d’Amélie avant de devenir elle-même écrivain) et surtout, évidemment, du champagne. Le récit ne manque pas de moments forts, lyriques parfois (les premières pages sur l’ivresse procurée par le Champagne sont absolument magnifiques et parleront à tous ceux qui apprécient cette boisson), mais surtout drôles et burlesques, empreints d’un grand sens de l’autodérision et de la mise en scène : la rencontre d’Amélie avec Vivienne Westwood est un vrai moment de comédie à la limite de l’absurde, et on ne pourra qu’y admirer la patience d’ange de la romancière déjà notée dans Stupeur et Tremblements (moi je serais partie en claquant la porte, non sans avoir gratifié l’impératrice punk d’un « fuck you » bien senti, mais il est vrai que la patience n’est pas ma vertu principale). Mais le tour de force principal de l’auteur dans ce roman, c’est tout de même d’arriver magistralement à brouiller les frontières entre la fiction et le réel, et de mener le lecteur par le bout du nez jusqu’aux dernières pages : la narratrice s’appelle Amélie Nothomb et il n’est pas très difficile de reconnaître Stéphanie Hochet dans le personnage de Pétronille. Mais. Est-ce aussi simple que ça ?
Un millésime donc, qui se savoure comme une coupe de Dom Pérignon, ravira les aficionados de la romancière belge et convaincra les autres, je l’espère !
Ma visite au musée des lettres et des manuscrits m’a plongée dans des abîmes de réflexions métaphysiques. Ceci dit, tout chez moi est prétexte à des réflexions métaphysiques, même l’achat d’une paire de chaussures. Mais enfin, errer au milieu des écrits de nos chers génies m’a amenée à cette question : vaut-il mieux écrire à la main, ou à la machine ? Que préfère l’inspiration pour s’épanouir ? Le stylo ou le clavier ? Je sais bien, il n’y a pas de règle, mais tout de même…
Evidemment, pendant longtemps, les écrivains n’avaient pas le choix : ils écrivaient à la main, d’où le terme de manuscrit.
Et puis est venue la machine à écrire, emblème littéraire par excellence. Le tchic-tchic des touches, l’encre dont on tâche ses doigts en changeant le rouleau, la page qu’on insère… tout cela fait partie d’une certaine imagerie un peu romanesque de l’auteur à son bureau. Et presque uniquement là, car de fait, même les machines portatives étaient peu transportables. Mais l’objet lui-même est un fantasme, et je rêve d’une vieille Remington posée sur une belle table, dans un coin du salon.
Enfin, l’ordinateur est venu, le portable et le netbook, les tablettes qui permettent de prendre des notes n’importe où. C’est bien pratique : plus besoin de refaire toute une page parce qu’on a changé un mot ou ajouté une dizaine de lignes. Les paragraphes peuvent être coupés et collés à un autre endroit. Les corrections sont plus faciles, plus rapides, on peut multiplier les sauvegardes et éviter l’angoisse de perdre le Précieux dans un incendie, une inondation ou un cambriolage.
Aujourd’hui, aucun écrivain n’oserait remettre à un éditeur un manuscrit qui serait réellement manu-script (ou alors, un écrivain très en vue à qui on passe tous ses caprices). Et pourtant, ils sont nombreux à écrire encore à la main, le clavier ne leur parlant pas : Paul Auster, Didier Van Cauwelaert, Amélie Nothomb vantent chacun à leur manière la sensualité de la création manuscrite. Le toucher du papier, le scritch-scritch du stylo, l’odeur de l’encre peut-être. Ce qui est formidable, au-delà de la beauté d’une écriture qui est l’une des choses qui nous sont les plus personnelles, c’est que le manuscrit garde la trace d’un texte qui se construit. Les différentes versions, les ratures, les corrections sont tellement signifiants, et tout cela se perd avec l’ordinateur.
Et moi, dans tout ça ? Comme d’habitude, je ne choisis pas mon camp. Souvent, la première version est faite à l’ordinateur, parce que j’ai la hantise de la perte et que j’ai besoin pour être tranquille que chaque texte soit enregistré sur mes deux ordinateurs, mon disque dur portable et cinq clés USB (je vous ai déjà dit que je suis une grande angoissée ?). Mais je corrige à la main, et comme je corrige beaucoup (souvent chaque page tapuscrite est doublée d’une page de corrections à la main) cela donne un texte hybride, avec des collages, des flèches, des renvois, un code de couleurs compris de moi seule.
Et puis, il y a mon carnet Moleskine. J’ai toujours eu la passion des petits carnets mais depuis que je me suis offert ce mythique petit livret en cuir noir, j’ai acquis le réflexe d’y noter mes pensées les plus diverses. Cela donne un objet étrange, à la fois journal intime, recueil de citations et couveuse pour bribes de textes en devenir. Et c’est vrai que j’aime beaucoup cette sensualité qu’il y a à coucher ses réflexions dans un objet que l’on peut avoir toujours sur soi et sortir à n’importe quel moment. Par contre, si je le perdais, ça serait un vrai drame…
Le Japon est le pays qui s’est forgé le corset le plus strict de toutes les civilisations parce que les Japonais étaient conscients de leur nature excessive. Il y a un règlement pour toutes les actions de la vie japonaise. L’écriture, c’est beaucoup plus que l’écriture. Il faut se contenir aussi pour contenir l’écriture. Il faut contenir sa violence pour la garder pour l’écriture. Je suis moi aussi profondément excessive et l’écriture est le plus efficace de mes corsets.
Alors que le dernier roman d’Amélie Nothomb, La Nostalgie heureuse, caracole en tête des meilleures ventes de livres, France 5 rediffusait jeudi soir, après La Grande librairie, le documentaire Amélie Nothomb, une vie entre deux eaux, qui en est la genèse.
Au printemps 2012, la romancière belge s’envole pour le Japon, un pays où elle a passé les cinq premières années de sa vie et où elle ne s’est pas rendue depuis 1996. A l’occasion de ce reportage réalisé par Lucas Chiari, de Tokyo à Kobe, elle se lance à la recherche de son passé, de sa première école qu’elle détestait mais où les institutrices, bienveillantes, recherchent les albums photos à sa nounou adorée, Nishio-San, en passant par son amour de jeunesse (que l’on ne verra pas dans le reportage).
Malgré mon manque d’enthousiasme pour le Japon, ce reportage m’a beaucoup intéressée et à l’occasion bouleversée. Car ce n’est pas à un simple voyage d’agrément que nous invite la caméra, mais bien à une plongée au cœur d’une personnalité complexe. Amélie Nothomb s’y livre avec à la fois beaucoup de sincérité et de pudeur : son attachement viscéral à ce pays qui est finalement plus le sien que la Belgique est au cœur de sa créativité, et c’est sur le sol de sa petite enfance qu’elle parvient au plus juste à se confier. Confier cette tragédie fondatrice que fut pour elle l’épisode effroyable qu’elle nomme « les mains de la mer » et qui a donné naissance à cet « ennemi intérieur » contre qui elle se bat chaque nuit. Confier son rituel d’écriture que l’on a envie de qualifier de monacal : se lever à 4h du matin, avaler 1/2 litre de thé en trois gorgées (2 silencieuses et la troisième un peu bruyante), se laver les mains pour se purifier, et écrire, quatre heures, dans un jet. Confier ses doutes, ses angoisses, sa victoire sur l’anorexie, sa difficulté à trouver la stabilité après une enfance passée à déménager d’un pays à l’autre. Confier, dans une scène bouleversante, son amour pour sa « maman nippone », la délicieuse Nishio-San.
Durant 52 minutes, on a réellement l’impression d’apprendre à mieux connaître l’écrivain Amélie Nothomb, mais aussi la femme, qui, sous des dehors excentriques, cache de nombreuses failles.
Amélie Nothomb, une vie entre deux eaux Laureline AMANIEUX et Luca CHIARI
Réalisé par Luca CHIARI
Cinétévé, avec la participation de France Télévision, 2012 A revoir sur Pluzz