Le Poison d’amour, d’Eric-Emmanuel Schmitt

le poison d'amourOn ne choisit pas en amour, on est choisi par l’amour. La passion fond sur Juliette et Roméo comme un virus contamine une population. Venue de l’extérieur, elle les infiltre, elle creuse son lit, prospère, se développe. Ils la subissent, cette passion, ils se tordent de fièvre, ils délirent, ils laissent toute la place à ce fléau, au point d’en mourir.
Roméo et Juliette, pièce romantique, constitue en vérité un rapport clinique, le procès-verbal d’une pathologie où j’incarne la patiente numéro 1.

Avec ce roman, qui clôt le diptyque sur la passion amoureuse ouvert avec L’Elixir d’amour, Eric-Emmanuel Schmitt poursuit son exploration du sentiment amoureux, un terrain sur lequel je le trouve particulièrement brillant, et s’intéresse à cette période trouble qu’est l’adolescence.

Julia. Anouchka. Colombe. Raphaëlle. Quatre adolescentes de 17 ans, les meilleures amies du monde. Elles viennent d’entrer en première, et c’est à travers leurs journaux intimes que nous allons suivre cette année où elles vont découvrir la passion amoureuse, pour le meilleur et pour le pire.

L’adolescence, quatre jeunes filles qui découvrent l’amour, le thème peut sembler éculé, il est vrai, mais le talent d’Eric-Emmanuel Schmitt est de parvenir à renouveler la réflexion à travers le fil rouge de Roméo et Juliette, à la fois réinterprété et réécrit. Ce qui est en jeu, c’est la folie de l’amour, dans un lycée qui ne s’appelle sans doute pas Marivaux pour rien, mais où les jeux finiront en tragédie. Comme chez Shakespeare, mais pour d’autres raisons. Il est question de perte de repères : le corps qui change et auquel on ne se fait pas, mais aussi cette question épineuse : comment croire à l’amour alors que tous les couples autour se délitent et se séparent ? Tous, sauf les grands-parents de Raphaëlle, petite lumière dans l’obscurité, mais lumière fragile et douloureuse. Alors, nos adolescentes apprennent : elles apprennent la séduction, le pouvoir qu’elles ont sur les garçons ; elles apprennent aussi la manipulation, la jalousie, la trahison. Dans le secret de leur journal, elles ne s’épargnent pas les unes les autres. Elles deviennent des femmes.

Quoique je l’ai trouvé moins profond dans l’analyse que le précédent, j’ai été émue par bien des pensées sur cette découverte du sentiment amoureux. Néanmoins, j’ai un bémol : je ne sais pas quel est le degré de fréquentation des adolescents par Eric-Emmanuel Schmitt, mais pour les côtoyer au quotidien, j’ai eu un peu de mal à croire au ton et au style de ces journaux : trop bien écrits, trop littéraires, trop lyriques pour être totalement crédibles… mais du coup, c’est plus agréable à lire !

Le Poison d’amour
Eric-Emmanuel SCHMITT
Albin Michel, 2014

challengerl201416/18
By Hérisson

Pétronille, d’Amélie Nothomb

PétronillePourquoi du champagne ? Parce que son ivresse ne ressemble à nulle autre. Chaque alcool possède une force de frappe particulière ; le champagne est l’un des seuls à ne pas susciter de métaphore grossière. Il élève l’âme vers ce que dut être la condition de gentilhomme à l’époque où ce beau mot avait du sens. Il rend gracieux, à la fois léger et profond, désintéressé, il exalte l’amour et confère de l’élégance à la perte de celui-ci. Pour ces motifs, j’avais pensé qu’on pouvait tirer de cet élixir un parti encore meilleur.

Chaque année, la parution métronomique du nouveau roman d’Amélie Nothomb est l’un des événements de la rentrée littéraire, et sans être une nothombomane convaincue, je l’attends toujours avec beaucoup de curiosité, même s’il m’arrive comme l’an dernier de louper le coche. Mais cette année, il n’en était pas question (de louper le coche) : l’amatrice résolue de champagne que je suis ne pouvait pas passer à côté d’un roman dans lequel Amélie, champagnophile devant l’Éternel, fait l’éloge de sa boisson favorite.

La narratrice, appelons-là Amélie Nothomb, est au début du roman une jeune romancière de 30 ans qui commence à avoir du succès. Elle aime le Champagne, mais pas seulement pour le savourer : comme un chamane, elle recherche l’ivresse particulière que procure ce breuvage. Mais, lasse de s’alcooliser seule, elle cherche une « convigne » parmi les gens qui viennent faire dédicacer ses livres. C’est là qu’elle rencontre Pétronille…

Avec ce roman, Amélie Nothomb revient à son meilleur niveau, et nous propose une lecture savoureuse et pétillante. C’est, avant tout, une histoire d’amitié entre deux filles, deux écrivains, complètement toquées il faut bien le dire, construite autour des livres (Pétronille est une lectrice d’Amélie avant de devenir elle-même écrivain) et surtout, évidemment, du champagne. Le récit ne manque pas de moments forts, lyriques parfois (les premières pages sur l’ivresse procurée par le Champagne sont absolument magnifiques et parleront à tous ceux qui apprécient cette boisson), mais surtout drôles et burlesques, empreints d’un grand sens de l’autodérision et de la mise en scène : la rencontre d’Amélie avec Vivienne Westwood est un vrai moment de comédie à la limite de l’absurde, et on ne pourra qu’y admirer la patience d’ange de la romancière déjà notée dans Stupeur et Tremblements (moi je serais partie en claquant la porte, non sans avoir gratifié l’impératrice punk d’un « fuck you » bien senti, mais il est vrai que la patience n’est pas ma vertu principale). Mais le tour de force principal de l’auteur dans ce roman, c’est tout de même d’arriver magistralement à brouiller les frontières entre la fiction et le réel, et de mener le lecteur par le bout du nez jusqu’aux dernières pages : la narratrice s’appelle Amélie Nothomb et il n’est pas très difficile de reconnaître Stéphanie Hochet dans le personnage de Pétronille. Mais. Est-ce aussi simple que ça ?

Un millésime donc, qui se savoure comme une coupe de Dom Pérignon, ravira les aficionados de la romancière belge et convaincra les autres, je l’espère !

L’avis de JosteinValou

Pétronille
Amélie NOTHOMB
Albin Michel, 2014

challengerl20143/6
By Hérisson

Les Perroquets de la place d’Arezzo, d’Eric-Emmanuel Schmitt

11384213384_2c1130bc4b_oBeaucoup de gens se protègent de l’amour. Ils vivent mieux sans. La plupart du temps, s’ils acceptent d’en recevoir, ils ne tiennent pas à en donner. C’est déstabilisant, l’amour, une percée contre l’égoïsme, la chute d’une citadelle, la mort d’un règne : un être compte plus que soi ! Quelle catastrophe… En plus, par cette brèche d’amour, l’altruisme peut entrer et changer l’équilibre intérieur.

Comment réagiriez-vous si un matin, dans votre courrier, vous trouviez cette énigmatique missive : Ce mot simplement pour te signaler que je t’aime. Signé : tu sais qui. ». Cette lettre, c’est celle qu’a reçu chaque habitant de la place d’Arezzo, au coeur du quartier le plus huppé de Bruxelles. Chacun va réagir différemment mais, pour tous, elle va être l’instrument d’un bouleversement, pour le pire ou pour le meilleur…

Le moins que l’on puisse dire est qu’Eric-Emmanuel Schmitt sait raconter des histoire et prendre son lecteur par la main pour l’entraîner dans la plus étonnante des histoires où, comme dans une ronde effrénée, le désir circule et les destins s’entrecroisent, se mêlent ou se séparent. On pourrait croire que l’histoire, sur 730 pages, court le risque de s’essouffler, et ce n’est pas du tout le cas, au contraire, car les personnages, au fil des pages, acquièrent de la profondeur, changent, tissent des liens avec d’autres, tombent de leur piédestal ou amoureux. Car l’amour est bien le cœur de ce roman. L’amour, le désir, l’érotisme : volontairement encyclopédique, le roman, par le biais de cette cohorte de personnages qui tous ont une vision différente du couple, de la fidélité, des sentiments, embrasse la totalité des possibles des relations amoureuses, un peu comme dans le Dictionnaire de l’amour qu’écrit l’un des personnages mais en récit. Foisonnant, étourdissant, le roman nous fait passer du rire aux larmes, parfois drôle et gentiment libertin, d’autres fois triste et tragique, le tout rythmé par le cri des perroquets qui ont élu domicile sur la place…

Ce roman est pour moi un coup de coeur, que je conseille vraiment à ceux que ne rebutera pas l’épaisseur certaine du volume !

Les Perroquets de la place d’Arezzo
Eric-Emmanuel SCHMITT
Albin Michel, 2013

logorl201322/24
By Hérisson

coeurRL2013

Barbe bleue, d’Amélie Nothomb

Ceci est l’entrée de la chambre noire, où je développe mes photos. Elle n’est pas fermée à clef, question de confiance. Il va de soi que cette pièce est interdite. Si vous y pénétriez, je le saurais, et il vous en cuirait. 

Tous les ans, pour la Rentrée Littéraire, avec une régularité métronomique qui personnellement m’angoisserait, paraît le dernier Nothomb. Comme le beaujolais nouveau (qui sort aujourd’hui, d’où ma comparaison), sa sortie est un rituel, attendu avec impatience des amateurs. Personnellement, je n’aime pas le beaujolais (si Bernard Pivot tombait par hasard sur ces lignes : je suis désolée…), donc la comparaison s’arrêtera là, car j’aime plutôt bien Amélie Nothomb, sans être pour autant une nothombophile acharnée. Disons que lorsque l’occasion se présente, je ne dis pas non (je ne dis pas non plus non au beaujolais, ceci étant), et l’occasion s’étant présentée grâce à Price Minister, j’ai lu Barbe-Bleue.

Quelle arnaque se cache donc derrière l’annonce immobilière à laquelle Saturnine à répondu ? Il y a de quoi se pincer : en plein Paris, une colocation dans un luxueux appartement, avec une chambre de 40m2, une salle de bain, le tout pour 500€. Forcément, elle n’est pas la seule à se présenter pour la visite, mais elle se rend vite compte que les autres candidates sont là par pure curiosité. Et il y a de quoi être intrigué : les 8 femmes ayant précédemment loué la chambre ont tout simplement disparu. Don Elemirio, l’étrange propriétaire qui ne sort pas de chez lui, serait-il un nouveau barbe-bleue ?

Alors, ce n’est pas un millésime, pour rester dans la métaphore viticole et coller au flot de champagne, millésimé lui, qui coule dans ce roman. Pour autant, ce n’est pas non plus un raté. C’est un roman qui se lit avec beaucoup de plaisir, bien qu’un peu trop vite malheureusement. C’est drôle, c’est farfelu et malgré le thème qui pourrait sembler glauque, plutôt léger. J’ai beaucoup apprécié le personnage de Don Elemirio, grand d’Espagne à cheval sur sa lignée aristocratique et dont l’unique occupation est d’être digne. J’ai adoré Saturnine, vive, drôle et vraiment les pieds sur terre. J’ai aimé leurs conversations incisives. J’ai aimé cette manière de revoir l’idée de conte de fées, avec du champagne, du caviar, du homard, comme une sorte d’art de vivre un peu décalé. Oui, j’ai beaucoup aimé, vraiment, mais je sais aussi que comme celui de l’an dernier, dont je serais incapable de dire quoi que ce soit aujourd’hui, je l’oublierai sans doute assez vite.

Les avis de Stephie (contre) et Géraldine (pour)

Barbe Bleue
Amélie NOTHOMB
Albin Michel, 2012

challenge album12/14
By Hérisson

Tuer le père, d’Amélie Nothomb

Le suprême objet de la danse est la monstration du corps. Nous vivons avec ce malentendu que chacun possède un corps. Dans l’immense majorité des cas, nous n’occupons pas ce corps, ou alors si mal que c’est une pitié, un gâchis, comme ces superbes palazzi romains qui servent de sièges à des multinationales quand ils étaient destinés à être des lieux de plaisir. Personne n’habite autant la totalité de son corps que les grands danseurs.

Je ne fais pas partie des fans d’Amélie Nothomb. Non pas au sens où je ne l’aime pas, mais au sens où je ne me précipite pas sur ses romans chaque année à l’époque de la Rentrée Littéraire. D’ailleurs, je dois avouer que sa régularité de publication, digne de celle d’un métronome, aurait un peu tendance à m’angoisser. Ceci dit, à chaque fois qu’il m’a été donné de lire un de ses romans, j’ai plutôt bien aimé, en particulier Stupeur et Tremblements. Donc ayant eu l’occasion de choisir plusieurs livres de parrainage pour l’opération des matchs de rentrée littéraire organisée par Priceminister, je me suis dit « tiens, pourquoi pas le dernier Nothomb ? ». En effet, pourquoi pas !

En octobre 2010, Amélie Nothomb se rend dans un club, où elle repère deux hommes qui de toute évidence se détestent et ont sans doute un lourd passé commun. Elle mène son enquête : les deux hommes sont de grands magiciens, et en effet une longue histoire ensemble. Nous voilà ramenés à Reno, dans le Nevada, en 1994. Joe Whip a quatorze ans, s’entraîne de longues heures à faire des tours de cartes, et ne connaît pas son père. Lorsque sa mère le met à la porte, il trouve refuge chez Norman Terence, qui prend soin de lui comme un fils et lui apprend les ficelles du métier. Mais Norman est fiancé à Christina…

Je n’attendais rien de particulier de ce roman, et j’ai vraiment passé un très bon moment. Ce livre se lit vraiment bien (mais très rapidement aussi). L’histoire est intelligente, bien menée, elle nous entraîne dans un milieu assez particulier, celui des magiciens, des joueurs de cartes et des casinos, mais surtout pose avec beaucoup d’originalité le problème de la filiation, et de la paternité, celle qu’on se choisit. L’auteur nous mène d’ailleurs complètement par le bout du nez et c’est finalement ce qui a achevé de me convaincre : on croit lire une histoire plaisante mais somme toute assez classique, et en fait, pas du tout et la fin m’a laissée complètement désarçonnée tant je n’avais rien vu venir (ceci dit ce n’est pas forcément un critère). Ce qui est admirable alors dans le travail de Nothomb sur ce roman, c’est l’adéquation complète entre le thème du roman et la manière dont il est mené : l’illusion complète du spectateur/lecteur. Donc j’admire ! Je ne crois par pour autant que l’an prochain je me précipiterai sur sa livraison de l’année, mais si l’occasion m’est donnée de le lire, je le ferai avec plaisir !

Les avis de : Géraldine, Liyah, Lili, Sandrine, Mango, Hérisson

Tuer le Père
Amélie NOTHOMB
Albin Michel, 2011

RL2011b Challenge 1% Rentrée Littéraire 2011 9/7
By Hérisson